Etape 18
Evacuons tout de suite les poncifs : si le classement général doit se jouer sur une étape, ce sera celle-là. Comme toute étape reine du Tour de France, ces 194 kms entre Barcelonette et Auron seront très durs. Et après 18 jours de course plus fatigants les uns que les autres dans les jambes, personne n’arrive frais à 100%. C’est cette fatigue-là qui promet une étape épique, mais pour cela il faudrait que les attaques fusent. On pense alors bien sûr à Quintana, qui est à deux minutes de la victoire finale ; ou encore à Gallopin, qui doit encore sécuriser son maillot à pois. Quoiqu’il en soit, en devrait y voir plus clair sur les différents classements ce soir.
Dès le premier kilomètre, le décor est planté : cette étape sera épique. En effet, certains leaders ont décidé d’en découdre dès le début. Ainsi, l’habituelle échappée composée de baroudeurs est littéralement court-circuitée par les favoris. De ce fait, la première attaque est l’œuvre de Rodriguez. Purito n’a pas été rassasié par sa victoire de la veille, Gallopin, Riblon et Costa le suivent immédiatement.
Quelques minutes plus tard, ce ne sont pas un, ni deux, mais bien trois hommes placés au général qui sortent du peloton. Dumoulin, Kelderman et Porte accompagnent un groupe aussi composé de Majka, Vuillermoz, Bakelants, les deux Sanchez et De Gendt. La Sky tente tant bien que mal de filtrer, et finit par rattraper tout le monde, y compris les quatre premiers attaquants. Mais finalement, il aurait certainement plus judicieux de laisser tout le monde partir vu ce qu’il va suivre. L’attaque de Rodriguez a donné des idées à certains favoris, qui attendent les premiers pourcentages du Col d’Allos pour retenter leur chance. C’est ainsi que dès les premières pentes à près de 10%, le bordel est total. Rodriguez, Contador, Pinot, Porte et Dumoulin ont décidé de sortir, chacun avec un équipier. Les rejoignent aussi d’autres outsiders. Finalement, ce sont douze coureurs qui formeront l’échappée 5 étoiles du jour. En plus des leaders précédemment cités, on y retrouve Van Den Broeck, Majka, Bakelants, Costa, De Gendt, Reichenbach et Luis Leon Sanchez. Au général, El Pistolero est le mieux placé, il est 7e à 8’29’’ de Froome. Nous sommes à peine au kilomètre 18, et les coureurs vont pouvoir enfin souffler.
Dans le peloton, quatre coureurs peuvent perdre gros si cette échappée va au bout. Il s’agit de Bardet, Uran, Kruijswijk et Kelderman. Le top 5, quant à lui, a assez d’avance pour voir venir. C’est ainsi qu’AG2R et Cannondale impriment un tempo soutenu dans Allos, œuvre notamment de Dombrowski et Gastauer. Au bout des 16 kms à 6.8% de moyenne, Pinot va prendre les points. Concernant le maillot à pois, Gallopin a pris un risque en choisissant de ne pas suivre les attaques. Certes, dans l’échappée, le mieux placé au classement du Grand Prix de la Montagne est à 42 points de lui, mais les 75 unités donnés au cours de cette étape peuvent renverser un classement que le coureur de la Lotto domine avec… 75 points. Dans la descente d’Allos, le peloton ne compte plus que 50 hommes. Ce tempo effréné porte ses fruits, et l’écart n’est que d’1’55’’ au pied du Col des Champs. Dès les premières rampes inaugurant les 13 kms à 6.2% de moyenne, l’échappée explose complètement. A 7000 mètres du sommet, Porte, Dumoulin, Pinot, Costa, Rodriguez, Contador et le surprenant Bakelants s’envolent. Une minute derrière eux, on trouve Van Den Broeck, De Gendt, Reichenbach et Majka. Enfin, Sanchez est près de se faire reprendre par un peloton qui roule vite, mené par Péraud.
Deux bornes plus tard, tous les poursuivants sont rattrapés par le peloton, qui va maintenant se livrer à un duel contre sept grimpeurs. Mais dans le paquet, seuls Péraud et Dombrowski roulent, et à eux deux, ils ne peuvent rien contre des leaders tels Contador, Rodriguez ou Pinot. De ce fait, au sommet, l’écart se stabilise autour d’1’50’’. Les points sont pris par Bakelants. La situation est claire, les leaders visent un rapproché au général et ne se soucient pas des pois. Mais alors que cet état de fait lui est idéal, Gallopin décide d’attaquer peu avant le Col de la Cayolle. Le Français réalise ici un coup de poker : soit il rejoint l’échappée, soit il sera obligé de couvrir une grande partie des 14 kms à 7.1% seul, derrière Contador, Pinot & co. Toutefois, le porteur du maillot à pois réussit son pari, et il rattrape les fuyards en seulement trois bornes.
Ce retour est surtout réalisable car l’échappée est à portée du fusil du peloton : au pied de Cayolle, les dorénavant huit hommes sont à 2’44’’ du paquet, alors qu’il reste plus de 100 kms à couvrir. Comme dans les deux autres difficultés du jour, l’écart de l’échappée remonte. Ces derniers lèvent en effet le pied en descente et sur le plat avant de se donner à fond dans les pourcentages positifs. Et ça marche : à mi-montée, ils ont 4’23’’ d’avance sur un peloton où Talansky et Gautier ont pris les choses en main. Costa passe en tête de ce col Hors Catégorie, lâchant au passage Gallopin dans les derniers hectomètres de montée. Le Français prend tout de même quelques points mais sa stratégie laisse clairement à désirer… Cinq minutes après, les 34 coureurs formant le groupe maillot jaune passent au sommet du Col de la Cayolle. Tous les principaux protagonistes du général sont dedans, excepté ceux s’étant échappés. Dans la descente et la vallée qui suit, les rôles s’inversent une nouvelle fois : le peloton accélère alors que l’échappée lâche du lest. Au sprint intermédiaire, l’écart est redescendu à trois minutes. Roulant depuis le début de l’étape, la Cannondale et AG2R demandent du soutien. Mais ni la Sky, ni la Movistar ont un intérêt à gâcher des équipiers maintenant : Froome et Quintana sont beaucoup trop loin au général pour être inquiétés par Contador, Pinot, Rodriguez et Dumoulin. Mais les tractations vont bon train tout en se dirigeant vers le toit du Tour : la Cime de la Bonette. Dès le pied, Gallopin fait son retour dans le peloton. Le coureur de la Lotto va maintenant devoir espérer que Costa ne passe pas parmi les trois premiers au Grand Prix de la Montagne, sinon il pourra dire adieu aux pois. Néanmoins, son espoir réside dans le fait que le Portugais ne joue pas vraiment la gagne dans le classement. Il reste alors 20 kms d’ascension, et l’écart remonte à nouveau : 4’15’’ pour les sept hommes de devant.
C’est à ce moment qu’un homme décide de durcir le rythme de la course. Contador prend les devants de l’échappée et imprime un tempo comme seul lui sait le faire. Les dégâts sont immédiats, et Bakelants et Costa sont lâchés. Grâce aux oreillettes, l’information circule vite et le peloton sait rapidement qu'El Pistolero a démarré son effort. Et alors qu’il s’approche des cinq minutes d’avance, il devient de plus en plus dangereux au général, sachant que Talansky et Péraud ne font que perdre du temps sur l’échappée. C’est à ce moment que les favoris décident de réagir. Un va mettre le feu aux poudres. Il s’agit de Froome, décidement grand animateur de ce Tour de France. Le maillot jaune décide lui-même de prendre le relais et fait exploser le peloton. Fixant son SRM, le Kenyan blanc s’envole au train, mais huit coureurs le suivent de près : Roche, Mollema, Valverde, Kruisjwijk, Moreno, Quintana, Rolland et Uran ne sont qu’à 15’’ du maillot jaune.
A deux kilomètres du toit du Tour, le même phénomène se produit dans une échappée déjà bien éparpillée par Contador. A 2000 mètres du sommet, El Pistolero n’a plus que Purito dans sa roue. Ce dernier en est décollé après une ultime accélération du leader de la Tinkoff. Le double vainqueur du Tour passe en tête à la Cime de la Bonette et remporte donc le Souvenir Henri Desgrange. Une longue descente l’attend avant la montée finale vers Auron.
Derrière, la Bonette fait énormément de dégâts. Beaucoup de coureurs sont à la dérive, et les autres sont au rupteur. La descente permet de lisser la situation et d’en avoir un premier aperçu global. Devant, Contador compte 2’48’’ d’avance sur Rodriguez, l’étape lui est promise. A 1’05’’ de Purito, on retrouve Porte et Pinot. Et à 1’47’’ de ces deux-là, les inséparables Froome et Quintana ont repris Dumoulin et fondent sur les restes de l’échappée. Contador compte donc 5’40’’ d’avance sur ce groupe maillot jaune. Lui qui avait un débours de 8’29’’ ce matin peut maintenant rêver au podium. Derrière les deux premiers du général, Nibali fait la descente à fond et finit par rentrer sur Froome et Quintana au prix d’un gros effort. Derrière lui, Mollema, Uran et Kruisjwijk comptent près de 2’30’’ de retard sur le groupe maillot jaune. Le podium s’envole pour le leader de la Trek, et le Colombien est accroché au top 10 que par un maigre fil. Juste derrière eux, Valverde pourrait aussi faire une mauvaise opération. Mais la plus grosse défaillance est à mettre sur le compte de Bardet : le Français compte trois minutes de retard sur le Murcian, et donc près de 10’ sur Contador ! Il dit là adieu au top 10. Et alors que le coureur d’AG2R passe à peine la Cime de la Bonette, El Pistolero débute déjà la montée d’Auron.
Ces 6.8 kms à 6.3% de moyenne sont durs pour tous les coureurs, même pour le vainqueur du Giro 2015 qui compte alors 5’30’’ d’avance sur le groupe maillot jaune. Les forçats de la route sont partout dans cette dernière difficulté, les écarts vont être conséquents. Tout en lâchant Dumoulin, le groupe maillot jaune aperçoit Pinot et Porte. Froome, Quintana et Nibali donnent tout dans cette montée et reprennent logiquement du temps à Contador. L’Italien se prend même à rêver de sauver son podium. Derrière, dans le groupe composé d’Uran, Mollema, Kruisjwijk et Valverde (qui a réalisé une belle descente), le Colombien voltige littéralement. Sans décoller de sa selle, le coureur de la Cannondale tracte tout le monde. Il est en train de perdre sa 7e place, voire le top 10, il ne peut plus ratonner. Le contraste avec Mollema est frappant : l'ancien porteur du maillot vert ne peut prendre aucun relais et accuse clairement le coup de sa folle deuxième semaine. Dans le dernier kilomètre, ce groupe en vient quasiment à rattraper un Dumoulin qui paie là tous ses efforts de la journée. Mollema et ses amis passent la ligne près de six minutes après Contador. El Pistolero signe là une de ses plus belles victoires. Il remonte grandement au général, et si le jaune lui reste inaccessible, il contribue une nouvelle fois à sa légende et à celle du Tour. Son raid a même fait de l’ombre à la bataille entre Froome et Quintana pour le maillot jaune. Bataille qui d'ailleurs n’a pas eu lieu, le Colombien n’ayant même pas attaqué dans Auron. Pas les jambes ou trop focalisé sur Contador ? A part un exploit du coureur de la Movistar lors du cronoescalada demain, Chris Froome vient de gagner son troisième Tour de France. Derrière, tous les coureurs arrivent la tête dans le guidon. Comme prévu, les hors-délais sont légions, et cette-fois ci les commissaires ne sauvent personne. Bos, Pelucchi, Porsev, McLay, Gène, Sinkeldam, Vanbilsen, Groenewegen, Docker, Richeze, Stuyven, Eisel, Delage, Ferrari, Petit, Renshaw, Farrar, Phinney, Boonen et même Ion Izagirre disent adieu au Tour. Victime de nombreuses chutes tout au long de ces 18 étapes, le Basque n’avait plus la force de continuer.
DU COTE DES LEADERS
Le classement général est totalement chamboulé à la suite de cette étape épique. Froome et Quintana se tiennent toujours en 2’04’’, un écart qui devrait permettre à l’Anglais de voir venir à Isola. Derrière, les enjeux sont multiples et importants. Pour la dernière place sur le podium, Nibali et Contador se tiennent en neuf petites secondes. Pour la cinquième place, Mollema n’a que 35’’ d’avance sur Valverde. Enfin, Rodriguez est remonté 7e, mais lui, Pinot, Uran, Bardet et Dumoulin se tiennent en moins de deux minutes. Tout sera possible à Isola. Pour les autres classements, Gallopin et Cavendish profitent de ce bordel généralisé. Le premier a de la chance : malgré sa tactique douteuse, il conserve les pois. Concernant le ManxExpress, il profite de la défaillance de Mollema pour garder trois petits points d’avance sur le Néerlandais. Le maillot vert et le maillot à pois profitent que l’étape de demain ne donne aucun point (de n’importe quel type). Enfin, cette étape a failli faire basculer le classement du meilleur jeune : alors que Kelderman est paré de blanc depuis la 9e étape à Annemasse, le coureur de la Lotto-Jumbo n’avait tout simplement pas les jambes aujourd’hui. Cela a failli profiter à Barguil, qui reprend dix minutes sur les 15’ qu’il comptait sur le Néerlandais avant cette étape. Mais cela ne suffit pas pour succéder à Quintana.