Manuel, à Courmayer, le 22 mai 2026,
Nouvelle étape de transition pour une reprise en douceur.
C’est du moins ce que j’espérais. Seulement, je chute, pour la 2e fois de ce Giro, à 30 km du but.
Je repars avec 2’ de retard alors que devant ils sont 47, avec des coureurs comme
Hindley,
Mas ou
Powless, à rouler à bloc. Toute l’équipe m’attend. Suite à cette grosse chute, un peloton se reforme derrière le peloton de tête. Plusieurs équipes mènent la chasse, à commencer par les
Jumbo de
Vingegaard. Pour notre part, nous remontons le groupe avec difficulté pour éviter de nouvelles cassures. Nous parvenons finalement à recoller en queue du groupe de tête dans le dernier kilomètres et je ne perds donc rien. Gros stress mais alerte sans frais.
Vernon s’impose au sprint.
Pas le temps de souffler vu que la
9e étape est un chrono accidenté qui s’annonce décisif pour le général.
Je m’élance alors que toute l’équipe est jusque-là aux fraises. Cela ne donne pas trop confiance.
Raul me dit de ne surtout pas consommer la moindre énergie sur la partie plate. Je tente de m’exécuter, mais c’est dur, j’ai le sentiment de ne pas avancer. Je passe au 1e intermédiaire à 21’’ de
Foss,
Hindley n’en perd que 7.
Raul me hurle de ne pas accélérer pour le moment. Je craque et appuie un peu plus fort avant le 2e inter que je passe à 44’’ quand
Hindley pointe à seulement 18’’ de
Foss. Sur ligne, c’est bien
Foss qui s’impose mais
Arensman est revenu à seulement 7’’.
Hindley finit 5e à 36’’ et moi seulement 9e à 56’’. La seule consolation du jour est que je bats
Vingegaard pour 5’’. Au général je perds le maillot rose pour 23’’ au profit d’
Arensman,
Hindley est revenu à juste à 4’’. Suivent
Evenepoel et
Vingegaard. Je vis là ma première grosse déception sur ce
Giro. C’est dur à encaisser.
Raul et
Fernanda tentent de me consoler et surtout de me remobiliser pour la suite. Je ne les écoute pas trop, je n’ai qu’une envie, me recroqueviller dans ma bulle et faire le vide.
Je suis plutôt content que cette
10e étape s’annonce tranquille après ma déconvenue de la veille.
Au départ, cela fait un peu bizarre de troquer mon maillot rose pour le maillot blanc. Je m’étais habitué. Je tente de chasser les pensées négatives et de me concentrer sur la course. Si je reste bien entendu au chaud dans le peloton,
Abner part lui à l’avant et prend 24 points pour le cyclamen ce qui le replace en tête de ce classement, devant
Walls. Alors que le final approche, je me mêle à la lutte pour ne pas prendre une cassure. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais je me retrouve au sol. Seul. A 5 km de la ligne. Je tombe une nouvelle fois sur mon côté gauche, encore meurtri par ma chute deux jours plus tôt. La douleur est intense, mon vélo inutilisable. Je ne parviens pas à me relever tout de suite. Je reste en boule priant que personne ne me roule dessus. Ce n’est qu’une fois la meute passée que je parviens à me relever. Ma voiture est déjà là et mon vélo de rechange prêt. Je me hisse péniblement dessus et mon mécano me pousse. C’est seulement à ce moment que je réalise que je suis sans doute en train de perdre le
Giro. La rage m’envahit et une force insoupçonnée me propulse jusqu’à ligne dans un état second. J’apprends que
Van Poppel s’est imposé au sprint. Quelques secondes plus tard, le verdict tombe : 2’10. C’est le temps perdu. Je retombe à la 11e place du général. Modène aura été le cimetière de mes ambitions.
Après l’arrivée, le staff s’active, je me fais d’abord soigner. Les plaies sont nombreuses et profondes, tout mon côté gauche est entièrement brulé.
Raul passe me voir durant le massage pour prendre des nouvelles. Devant ma mine déconfite et ma peau brulée, il autorise
Fernanda à passer la nuit avec moi. Bercé par ses caresses, je m’endormirai sur sa poitrine. Accablé par la fatigue, le stress de la course s’est envolé en même temps que mes espoirs, pour la première fois depuis des semaines je dors bien.
Avant même le début de la
11e étape, la journée commence par un coup de tonnerre :
Hindley, victime d’un virus, abandonne. Avec la relative méforme de
Vingegaard, il faisait pourtant figure de favori. Coté vélo, la journée est comme prévu tranquille.
Dainese la conclue au sprint. Alors que je me dirige vers ma chambre après le massage,
Raul me tombe dessus :
« Manuel, je peux savoir ce que tu fous ?
- Pardon ?
- Tu as passé la journée en queue de peloton sans tenir compte de mes demandes de te replacer, tu as totalement changé d’attitude, tu étais tendu et concentré, tu es maintenant tout sourire et relaxe.
- C’est un problème ? C’est en luttant pour rester en tête de peloton que j’ai chuté. Maintenant que je me bats pour un Top 10, je peux être un peu plus cool, si cela se trouve cela sera payant !
- Mais tu délires ou quoi ? La chute t’a rendu stupide ? OK tu as perdu 2’, mais tu as vu le programme ? La montagne n’a pas commencé. A supposer que tu ne puisses pas reprendre du temps, à quelle place penses-tu finir si tu pointes à 2’ du vainqueur ? Demain on a une occasion de reprendre du temps et les 2 jours suivants on aura les premières étapes de haute montagne. En ce qui me concerne on joue toujours la victoire finale et on vise clairement le podium. Sans Hindley une place s’y libère. Alors tu vas me faire le plaisir de relire les classements généraux des 10 derniers Giro, de méditer tout ça et de descendre prendre le petit déjeuner 30’ avant tout le monde, en tête à tête avec moi. C’est compris ? »
Pas grand-chose d’autre à répondre que oui. Mais qu’est-ce qu’il croit, que je vais reprendre 2’ à
Vingegaard sur les arrivées au sommet ?
Le petit déjeuner se passe mieux. J’ai pu réaliser durant la nuit que rien n’était joué et que je pouvais encore légitimement viser un Top 5 voire mieux si les jambes répondent bien en montagne. Avec une nuit de recul, la perspective d’un Top 5 reprend de la valeur et justifie que je me remobilise.
Raul insiste aussi sur mon rôle de leader :
« Tu prétends être notre leader mais le respect des coéquipiers cela se gagne non seulement par ses performances mais aussi par son attitude. Un leader se doit de rester professionnel en toutes circonstances. Pourquoi miserais-je sur toi si tu baisses les bras à la première difficulté. Kevin lui ne lâche jamais rien. Quand tu bossais pour Pablo, si ça se passait mal un jour, tu la prenais à la cool le lendemain ?»
Je me retiens de lui faire remarquer que 3 chutes et une contre-performance sur le chrono, ce n’est pas tout à fait « la première difficulté ». Mais sur le fond il a raison et Pablo n’aurait pas accepté le moindre retard ou la moindre indiscipline. Je dois grandir en tant que leader.
Cela commence dès le briefing de cette
12e étape :
Une belle occasion de refaire un peu de mon retard. L’échappée met du temps à se former.
Fisher-Black, le 8e du général tente de s’y mêler ce qui nous met sur la défensive. Au final, un groupe de 10 coureurs se regroupent à l’avant et prend 3’ d’avance.
Abner, accompagné de
Martin, y figurent. Mais le peloton ne lâche rien et l’écart dépasse à peine la minute en bas du col de Montoso. Les 40 points de la Montagne sont l’objectif du jour pour
Abner.
Martin se porte alors en tête et roule à bloc mettant au supplice ses compagnons d’échappée non grimpeurs qui lâchent un à un, avant de craquer lui-même à 2 km du sommet. Cette tactique est payante puisqu’
Abner peut s’envoler dans le dernier kilomètre de la montée face aux derniers échappés, à bout de force. Le peloton est monté plus tranquillement et l’écart est remonté à 2’30 au sommet. Il restera 20 km de plat après la descente.
Abner commence par se relever, mais
Raul lui hurle de continuer. Il s’exécute et à 10 km de la ligne il est toujours seul en tête et compte 45’’ sur le trio de contre-attaque. Le peloton pointe à 3’ et abandonne la chasse. A 3 km de l’arrivée, la dernière cote pavée ne dérange pas
Abner qui file vers une 2e victoire d’étape, en solitaire. Derrière, les trains des favoris se sont mis en place mais c’est le nôtre qui a remporté la bataille. Je reste callé dans la roue de
Jhonatan qui part au sprint dans la cote. Cela fonctionne : nous nous détachons du peloton et reprenons les derniers ex-compagnon d’échappée d’
Abner sur le haut.
Jhonatan me laisse la 2e place du jour pour les secondes de bonifications. Le bilan comptable de la journée est excellent : j’ai repris 40’’ aux autres favoris,
Abner prend une belle avance tant au cyclamen qu’à l’Azul mais le bilan moral est encore meilleur : je me suis totalement remobilisé et j’ai repris confiance à la veille de la première étape de montagne.
Ce matin, la tension est palpable. Ce n’est pas l’étape la plus dure mais c’est la première qui va tester les forces en présence et établir une première hiérarchie.
La lutte pour l’échappée est féroce.
Abner parvient à la prendre mais avec des coureurs comme
Evenepoel et
Ciccone il se fait battre tant au sommet du 1er catégorie qu’au sprint intermédiaire.
Raul, furieux, lui ordonne alors de se relever pour venir m’épauler. Au sommet suivant l’écart avec la tête de course est pourtant monté à 5’30 alors que les
Jumbo ont fortement accéléré le rythme et que nous ne sommes plus que 28 dans le groupe des favoris. Mais les parties de transition sont défavorables aux échappés qui doivent économiser leurs forces. Au pied du Lago Serru,
Jumbo a réduit l’écart à 3’. Dans la 1er partie du col,
Uijtderbroeks attaque avec
Bernal et fait le jump sur les rescapés de l’échappée matinale.
Mais là encore, le replat, n’est pas favorable aux attaquants et les lieutenants de
Vingegaard font l’effort pour nous ramener.
Lecerf relance alors la course et s’isole avec
Ciccone,
Powless,
Uijtderbroeks et
Bernal.
Foss, le dernier équipier de
Vingegaard, donne tout pour réduire l’écart. Quand il s’écarte, ce dernier attaque et revient à grande vitesse sur la tête de course. Même si mes principaux adversaires sont devant, je décide de ne pas suivre le danois et demande à
Abner de prendre le contrôle du groupe de chasse. Il explose vite et
Nixon, mon dernier lieutenant, prend son relais. Il reste encore plus de 7 km et pas mal de coureurs à mes côtés. Je lui demande de ralentir sachant que je ne pourrais de toutes les façons pas tenir à ce rythme jusqu’au sommet. Devant
Vingegaard roule à son rythme sans se préoccuper des coureurs dans sa roue. Et cela va vite, très vite : à 5 km l’écart est monté à la minute.
Nixon s’écarte alors. Je regarde autour de moi mais personne ne m’aide. Mon groupe a bien maigri et tous semblent à la limite. Je prends donc mes responsabilités et me prépare mentalement à un contre la montre de 5 km jusqu’à l’arrivée. Moyennent quelques brèves accélérations pour me défaire d’encombrants compagnons, j’entame ma remontée et reprends et lâche un à un les coureurs qui ont sauté de la roue du danois. Dans un dernier coup de rein je recolle à
Uijtderbroeks, à l’approche de la flamme rouge. J’entends la foule acclamer le vainqueur du jour mais je reste concentré dans la roue d’
Uijtderbroeks car c’est bien la 2e place de l’étape qui est en jeu. Le gramme d’énergie que j’avais sauvé me permet de le distancer peu avant la ligne et donc de prendre la 2e place du jour. Derrière c’est la bérézina si bien qu’au général
Vingegaard compte presque 2’ d’avance sur moi qui remonte 2e ! C’est son coéquipier
Foss qui occupe pour l’instant la 3e place du podium à 3’22. Au classement de la montagne
Ciccone, en passant au sommet des 2 premiers cols et finissant 8e du jour, glane 59 points, ce qui le positionne deuxième à seulement 15 points d’
Abner.
Raul est tout sourire.
« Bravo petit, tu as été parfait. Je ne t’avais pas dit que rien n’était joué ? Ce soir tu es 2e du général à moins de 2’ de Vingegaard qui a déjà montré des faiblesses lors de ce Giro. Certes pas aujourd’hui mais il n’est pas à l’abris d’un jour sans. Alors on y croit ! »
Revigoré par cette performance, j’attaque cette
nouvelle étape de montagne gonflé à bloc
Dans le premier col,
Abner a toutes les peines du monde à suivre une échappée de costauds : on y trouve
Tulett,
Uijtdebroeks, le 5e du général,
Evenepoel ou encore
Ciccone. Logiquement le peloton roule fort derrière. L’échappée est neutralisée dans le col de Verrogne.
Ciccone repart sur le haut pour aller chercher les points sans qu’
Abner ait les ressources pour le suivre. Alors que
Ciccone poursuit son effort en solo en tête de course, je me relâche un peu. Et je chute à nouveau.
Heureusement sans trop de conséquence puisque le peloton reprend son souffle.
Ciccone aborde le Colle San Carlo avec plus de 3’ d’avance. Ce ne sera pas suffisant devant les attaques de certains outsiders. Cela se regroupe dans la descente et je me retrouve isolé dans le groupe de tête à 15 km de la ligne.
Jhonatan revient pour me prêter main forte dans les 6 derniers kilomètres. Cela devient stratégique. Quand
Uijtdebroeks attaque,
Tulett et
Powless se jettent dans sa roue,
Jhonatan comble le gap et
Vingegaard se replace dans ma roue au prix d’un gros effort. Je crois sentir que
Vingegaard est un peu juste alors je lance le sprint de loin, pour le voir me contrer. Je me calle dans sa roue et sers les dents avant de tenter de le déborder dans les derniers mètres. Nous sommes 5 quasiment sur la même ligne dans la brume de Courmayer.
Je perds donc 10’’ de bonification, un moindre mal après une nouvelle chute.
Ciccone en prenant 72 points possède une confortable avance au classement de la montagne sur
Abner. D’autant qu’il a montré qu’il était bien plus fort.
Au général, les écarts sont assez énormes mais il reste 4 jours de montagne sur les 7 derniers jours de course donc rien n’est joué ni dans un sens ni dans l’autre.
Pour le maillot Cyclamen,
Abner garde une bonne marge sur
Powless et moi.