-Il est où, gueula Knolan à l’attention d’Halvy, j’ai pas suivi depuis le dernier écart ! La plaque de l’ardoisier n’était nulle part en vue, le peloton des U23 néozélandais complètement disloqué sur les pentes tournicotantes du Mont Victoria l’empêchant certainement de remonter ou de savoir où se diriger. Kaden Raynes s’était désormais envolé dans les rues de Wellington, seule la baie céruléenne visible depuis le haut de la butte, dégagée, avant de devoir replonger parmi les arbres et les futaies, et l’ignorance était la proie des pensées de Knolan et Halvy, seuls contre Kaden, mais aussi seuls contre tous leurs concurrents.
Le vent, d’entrée, avait forci le long de la baie, coinçant les coureurs entre les vagues moussues qui les assaillait, et les premières pentes du Mont Victoria, parsemé de villas blanches, beiges et grises, comme autant de points de couleur sur une peinture d’art abstraite. Regroupés contre la paroi, luttant contre la pression du souffle, il avait fallu attendre les premiers pourcentages en gravissant la difficulté par l’Ouest, pour voir le vent disparaître, tout comme les premiers lâchés, aussi faibles que des lapins face à la meute qui les lâchait sans un regard en arrière. Les premiers prédateurs amorcèrent l’échappée, jamais près, jamais loin, tenus en laisse par les autres prédateurs, plus féroces, plus sauvages et plus rusés, faisant respecter la loi du plus fort et de la chaîne alimentaire.
Avalés goulument, et recrachés par l’arrière comme des boules de chewing-gum malaxées assidument pendant des heures, et inutiles ensuite, recrachés sur le bord de la route. Seuls quelques irréductibles pour tenir un peu plus longtemps, face à l’alternance de montée, descente, et du vent, du vent toujours ici, toujours présent à venir rogner les derniers esquifs d’espoir qui surnageaient. De la centaine de départs, en restait moins d’une trentaine après 30 kilomètres de course, et trois boucles enchainées. Dire qu’il restait 60 bornes à se farcir…
Après presque deux heures de course et de gageure, à avoir avalé quasiment les deux tiers du parcours, Raynes avait flingué à 40 kilomètres de la ligne, surprenant à la bascule les quelques équipes épuisées qui maintenaient encore le rythme lancinant de l’écrémage par l’arrière. Knolan et Halvy, eux, étaient restés bien au chaud, à 2 seulement face à certaines armadas. Des armadas épuisées au final, qui après un autre tour de ce régime, face à Raynes se faufilant entre les bourrasques venteuses, et eux heurtant de plein front la masse à cause de la densité du peloton. La fissure, prégnante lors de l’attaque de Kaden Raynes, vola en morceaux au moment de repasser sur le Mont Victoria pour la 6e fois.
Une succession de visages couturés de fatigue et perclus de crampes s’alignait presque en file, parfois deux par deux, comparant le nombre d’ampoules purulentes en train d‘éclater à forcer de frotter contre le guidon ou les pédales. Plus de carburant dans le moteur, seuls quelques uns cherchaient encore, espéraient au fil de la pente.
– Il est où, gueula Knolan, comme un cri de désespoir, il est où, bordel ! Et surgissant au gré des circonvolutions de la route, la moto et son ardoisier béni, son petit contour jaune fluo apparaissant comme de l’or doré aux yeux des coureurs, comme pour répondre à cet appel venu du tréfonds des profondeurs, bercé de trémolos, en grosses lettres blanches sur ce fond noir, éclatante vérité, apparu l’écart qui les séparait : 38 secondes – 28 kilomètres.
Un RideSunshine s’accrochait dans les roues, comme un Mobius plus à l’aise, alors qu’un de ses coéquipiers venait d’exploser en tentant de suivre le rythme, au bord de l’apoplexie. 4 contre 1, et deux tours encore à aller chercher, deux montées, mais trois vagues de vent traître et changeant. Knolan se sentait si fatigué. Halvy également. Tous l’étaient désormais, mais il restait encore à terminer la course.