Raul, à Santiago, le 30 avril 2024,
Pablo a insisté pour m’inviter à Borago. Mes récriminations contre la cuisine chilienne étant arrivées jusqu’à ses oreilles, il voulait me montrer que l’on peut bien manger au Chili. Le chef Guzman est venu nous saluer. Le type est totalement barré, à délirer sur la typicité des produits locaux et à nous faire visiter son labo où il fait des expériences en fermentant des algues dans des bocaux, brulant des plantes ou les cuisant pour en faire des épices. Ses plats sont dressés de manière affirmée et, au gout, ses parties pris ressortent, offrant pour chaque plat un mélange de saveurs pas toujours équilibré mais toujours intéressant. Je ne peux pas dire que j’ai tout aimé, loin de là. Mais je dois bien reconnaitre que j’ai finalement plutôt bien mangé et vécu une expérience inédite.
Au milieu du repas, alors que le chef nous lâchait les basques pour retourner à ses fourneaux, nous avons pu discuter de la situation de l’équipe :
« Tu sais que j’ai pris un agent pour Manuel en vue de son renouvellement, je veux faire les choses correctement. Il me dit qu’il peut espérer un salaire en forte hausse. Tu dois le prévoir pour ton mercato.
- Manuel est au fond du trou. Mentalement il vit mal sa première grosse blessure. Pourtant son corps réagit bien et il a déjà repris l’entrainement sur rouleau. Le fait de voir Hector enchainer les victoires (il en compte plus d’une vingtaine), Felix et Kevin remporter leurs premières victoires alors que son palmarès est encore désespérément vierge lui pèse. Il aurait dû s’imposer facilement au contre-la-montre de son championnat national mais sa blessure l’a empêché de s’aligner. Franchement je ne sais pas s’il a le mental pour devenir champion.
- Il était l’un de mes lieutenants, à 17 ans. OK, s’il n’avait pas été mon filleul je ne lui aurait pas fait confiance si vite mais il avait les qualités pour le rôle. Si tu crois que c’est mentalement facile, entre la pression des flics, les mauvais coups des collègues, le risque de balle perdue, les clients ingérables ou insolvables. A 17 ans il avait les épaules pour gérer tout ça. Le vélo c’est nouveau pour lui et il a encore besoin de temps pour totalement s’adapter mais mentalement, je te rassure, il n’y aura pas de problème.
- Je vois. De toutes les façons le projet repose sur lui donc je vais faire le maximum pour le mettre dans les meilleures conditions possibles. Pour le Mercato, je vais sans doute recruter un coureur avec un peu plus d’expérience et déjà un bon niveau pour encadrer tous ces jeunes. Vu le niveau et la maturité cycliste de Manuel, on a peut-être intérêt à passer encore un an en Conti, histoire de le voir l’an prochain dominer une ou deux courses de moindre niveau. Avec sa progression et celle de Kevin, on devrait s’approcher naturellement de la Conti Pro même s’il faudra sans doute compléter avec une ou deux recrues.
- Non, je ne veux pas qu’il domine des courses lambda et qu’il se croit fort, il doit rester dans l’adversité. Monte en Conti Pro dès cette saison.
- Heu, je verrai ce que l’on peut faire mais sur la base de recrutement indiquée cela n’est pas garanti.
- Débrouille-toi. »
Il n’a même pas voulu écouter mon compte-rendu des dernières courses. Je lui ai laissé mon papier :
Sur le
Circuit des Ardennes (cat 2.2 - *** VE), un objectif sponsor majeur, nous alignons notre meilleur coureur. La 1er étape a été marquée par de nombreuses chutes.
Nixon a dû se contenter de la 6e place. La 4e étape a été intense, l’équipe fait la cassure pour
Nixon et personne ne chasse. Il s’impose avec 31’’ sur le vétéran
George Bennett. Le lendemain, notre péruvien,
Félix, remporte sa première victoire professionnelle.
Nixon conclue par une 3e place sur la dernière étape pour remporter le général.
Manuel fait son grand retour au
Tour de Catamarca (cat 2.2).
Kevin s’impose devant
Tivani sur la 1er étape. Sur l’étape reine, on gère avec notre train, mais devant
Tivani s’envole et ne craque pas.
Kevin finit 2e mais à 44’’ et perd son maillot. Sur les 2 étapes plates, l’équipe a roulé pour
Manuel qui n’a pu faire mieux que 12e.
Kevin finit 2e du général.
La
Vuelta a Formosa Internacional (cat 2.2) se joue au sprint et sur le chrono de la 4e étape. Au sprint,
Hector ne peut faire mieux que 4e. Sur le chrono, il finit 8e à 15’’ ce qui le place 4e à 11’’ au général, loin de
Braun. Ce sera son classement final.
Avec une équipe locale et quelques coureurs disséminés à droite et à gauche, les
Championnats du Panama offrent une certaine adversité. Pas de quoi inquiéter
Kevin, en super forme, qui s’impose avec 1’22 d’avance lors du
contre-la-montre. Il s’échappe quasiment dès le départ sur l’
épreuve en ligne avec 2 co-équipiers de l’équipe locale. Les 2 jouent parfaitement le jeu d’équipe et
Kevin souffre à relancer et revenir, jusqu’à s’envoler dans le dernier raidard pour gagner avec 27’’ de marge.
Manuel, à Santiago, le 30 juin 2024,
Après mon timide retour au Tour de Catamarca, l’équipe décide de me faire confiance en me confiant le rôle de leader sur la
Vuelta a Costa Rica (cat 2.2). Je suis le meilleur sprinteur de l’équipe et je parviens à décrocher un podium lors de la 1er étape même si c’est mon principal rival pour le général,
Tivani, qui s’impose. La suite est plus difficile : Je devais garder la roue de
José sur le final vallonnée de la 2e mais je l’ai lâchée. Je prends une cassure de 19’’. Sachant qu’il n’y a pas de bonif sur cette course, c’est très ennuyeux. Après une 8e place au sprint de la 3e étape, je me retrouve à devoir rouler pour
José lors de la 4e étape. Sur un profil accidenté en fin d’étape, je lance
José en tête. Mais les jambes sont là et je tiens. Je n’ose même pas lever les bras. C’est pourtant bien la 1er victoire de ma carrière devant
José, alors que je ne courrais pas pour gagner !
Je ne ressens pas d’euphorie, peut-être un certain soulagement. En fait pas grand-chose. Je m’attendais à un feu d’artifice, à une avalanche de félicitations. Je n’ai eu que quelques messages sur WhatsApp, Pablo ne s’est même pas manifesté. A la réflexion je suppose qu’une étape du Tour du Costa Rica ne mérite pas plus. C’est peut-être aussi ce qui explique mon relatif manque d’émotion. Pas le temps de m’attarder sur la question car la course reprend ses droits.
Même scénario le lendemain où
José ne parvient pas à garder ma roue dans l’emballage. Mais cette fois
Tivani me passe et je finis 2e. Pour la 6e étape, je lance
José sur le haut de la cote, il saute dans la roue de
Haro sur le replat d’arrivée et le saute sur la ligne. Nouvelle victoire d’étape. Je parviens à conserver la 3e place, créditée dans le même temps.
Haro reprend le maillot jaune à la place. Ils ne sont plus que 6 dans le même temps. Sur la 7e étape, je craque dans la très longue ascension.
José reste avec les meilleurs et finit 2e derrière le maillot jaune au sprint. Sur la 8e étape, l’échappée profite de la longue descente technique à bloc pour garder quelques mètres sur la ligne, pas de changement au général. Le lendemain, on a tenté notre va-tout sur l’étape reine et j’ai réussi à prendre 15’’ avec
José dans ma roue. Mais
José puis moi avons explosé et
Melivillo a remporté l’étape en solo et prend le maillot de leader.
José recule au 5e rang au général à 50’’. Sur la 10e et ultime étape,
Haro, l’ancien maillot jaune, s’impose devant
José qui finit 4e au général. Je suis 10e.
Je passais mon tour pour l’importissime escapade européenne. En commençant par
Paris – Troyes (cat 1.2 – *** Top 10). Une grosse échappée de 15 coureurs prend le large et nous décidons de nous découvrir à plus de 30 km du but alors que l’écart est encore proche des 3’. Nous parviendrons à reprendre les échappées à 15 km et revenons dans un rôle plus tactique car il ne nous reste plus que 4 coureurs.
José lance aux 2 km,
Nixon prend le relais et
Hector conclue pour une magnifique victoire.
Le
Memorial Philippe Van Coningsloo (cat 1.2 - ***° Top 10) accouche d’une course usante durant laquelle nous avons perdu les équipiers un à un relativement rapidement. Dans les 20 derniers kilomètres, nous n’étions plus que 3.
German parvient à reprendre le devant du groupe de tête à 4 km du but. Dans le dernier passage pavé, il maintient son rythme et seulement 2 coureurs parviennent à le déborder. Mais
Félix lance aux 2 km, revient sur les fuyards et
Hector finit le travail en remportant une nouvelle victoire.
Je reprends du service pour le plus gros objectif de l’année : la
Vuelta a Colombia (cat 2.2 - **** Top 5). On a mis la grosse équipe. La première étape est un contre-la-montre par équipe. Favoris au départ, nous ne nous désunissons pas et remportons un large succès avec 42’’ d’avance sur
Medellin. J’ai été le grand bonhomme de ce chrono mais c’est bien
Hector qui va porter le maillot de leader. Les 3 jours suivants,
Gaviria, la nouvelle star de
Medellin après le départ de
M.A Lopez, s’impose. En finissant 2e lors de la 3e étape, je prends le jaune grâce à mes bonifications. Le lendemain, nous nous frottons à la 1er étape de montagne. Une grosse échappée part et nous ne parvenons pas à la contenir ce qui nous oblige à cramer une bonne partie de l’équipe pour maintenir l’écart en début d’étape.
Kevin doit donc s’employer dès le pied. C’est ensuite à moi de jouer. Je réduis l’écart sur
Malecki qui s’était envolé puis
Nixon fait le reste. Il prend la tête dans le dernier kilomètre pour aller cueillir l’étape et le maillot jaune. Je finis 7e à 2’50 et suis malgré tout 2e au général.
Le soir, on se retrouve avec
Hector après le massage et j’ose aborder le sujet qui me turlupine depuis quelques jours :
« Elle est efficace la petite Fernanda mais c’est super gênant : dès qu’elle m’effleure les cojones, j’ai une terrible érection qui se voit sous la serviette, je ne sais pas comment gérer ça. Tu fais comment toi ?
- Eh, mais moi je n’ai pas ce problème parce qu’elle ne m’effleure jamais les cojones ! On dirait que tu as une touche. Elle est plutôt mignonne la Fernanda. Un peu jeune, mais mignonne !»
Pas le temps de penser à
Fernanda le lendemain car nous avons une nouvelle étape de montagne. Pour ne pas avoir à revivre la douloureuse expérience de la veille et nous cramer à chasser l’échappée,
Hector se glisse dedans. Le final est compliqué avec 2 costauds à ses côtés et le peloton qui revenait fort. Mais
Hector accélère sur le haut de la dernière cote et résiste aux retours des cadors pour s’imposer.
Le soir, alors qu’
Hector a fini son massage, il s’attarde à bavarder avec un membre du staff. Ou plutôt à lorgner sur ma serviette. Evidement cela ne manque pas :
« He,
Fernanda, il semble que tu lui fasses un certain effet à notre
Manuel. » s’esclaffe-t-il en désignant la bosse qui se dessine sous la serviette.
Fernanda rougit et baisse la tête, je reste pour ma part totalement pétrifié, rageant intérieurement contre mon ex-copain. Mais il enchaine :
« Ça vaut bien un diner, allez Manuel, tu nous l’invites à diner pour fêter votre retour à Santiago ? »
Devant mon mutisme, il poursuit :
« Bon c’est décidé, le samedi de notre retour, il t’invitera au restaurant. Tu n’as pas le droit de refuser hein ? »
Fernanda acquiesce faiblement et poursuit son massage.
Je chasse de ma tête cet épisode embarrassant et me concentre sur l’étape du jour. Nous alignons un magnifique train de maillots distinctifs.
Cela n’a pas suffi :
Gate bat
Gaviria au sprint, Hector prend la 3e place. Le jour suivant,
Gaviria ne se loupe pas.
Le 7e jour devait être mon jour : je suis le favori de ce contre-la-montre. J’échoue pourtant à 6’’ du leader provisoire mais
Gate explose mon chrono de 32’’.
Nixon est à la peine et lâche 2’32. Il conserve néanmoins la tête du général pour 17 petites secondes.
Tout reste donc possible au matin de la 8e étape et de son arrivée au sommet. On gère le peloton depuis le départ. Dans la montée finale
Henao prend du champ on le laisse faire pensant qu’il allait craquer mais il tiendra jusqu’au bout.
Nixon attaque à 2 km et finit en solo 2e. Je finis 5e après avoir fait un gros travail. Au général
Nixon reprend 2’13 de marge. Cela sera suffisant pour s’imposer largement au général. Cerise sur le gâteau,
Hector bat
Gaviria au sprint grâce à une bonne avance prise par son train lors de l’ultime étape.
Au Pérou,
Félix est le seul coureur aligné au
championnat national.