par DanaH » 21 Aoû 2018, 09:00
On en a souvent discuté ici ou là au hasard des affaires.
1. Le truc évident c'est que la répression a ses limites : la preuve, le cyclisme (avec d'autres sports dont l'athlé) sanctionne le plus sévèrement les dopés - et surtout la publicité faite dans les médias rajoute une bonne couche de sanction "morale" à ceux qui se font gaulés. Mais ça n'empêche pas certains coureurs de goûter à la potion magique. Il y a des raisons multiples à ça, voir plus bas.
2. L'information sur les conséquences sur la santé de l'usage de produits dopants a également ses limites. je ne sais pas dans quelle mesure les coureurs - qui sont parfois de très jeunes gens - sont informés des effets secondaires (et directs) des produits (sans aller jusqu'à l'EPO, par exemple des cortico pris en doses massives), mais ça ne dissuade pas tout le monde en tous cas. Et ce problème s'inscrit dans une réalité contemporaine plus vaste : nous vivons dans un monde (notamment dans les sociétés occidentales développées libérales) où l'idéal de l'homme moderne repose sur la performance - et le dopage est en fait généralisée dans toutes les couches de la société, y compris chez les super cadres dynamiques, les hommes politiques, les étudiants des grandes écoles. On prend des amphèt comme des cachets d'aspirine. Sans oublier bien entendu les substances qu aident à se détendre pour mieux supporter le poids de ces vies frénétiques. bref, derrière la réussite de l'homme moderne, qui se voue corps et âme au culte de la performance, il y a des substances, parfois illicites et une tendance à chercher des améliorations permanentes de soi (bientôt viendra, pour les populations les plus aisées, l'ère des améliorations génétiques, et là, je ne donne pas cher du sport de haut niveau tel que nous le connaissons). Bref, le monde occidental urbanisé connecté" devient un monde de toxico. C'est pas l'environnement idéal pour lutter contre le dopage hein !
3. On ne parle pas assez du potentiel addictif de pas mal de produits (même quand il s'agit de dopage "soft" avec AUT par exemple) : or, il me semble que la création d'une addiction est au cœur du problème.Cette histoire d'addiction, que je connais assez bien (j'ai vécu une jeunesse assez destroy et je suis psy), c'est le cœur du problème. Certains produits, on ne peut pas se contenter de dire qu'on va les prendre juste pendant quelques mois, quand par exemple les résultats sont faibles et qu'on a peur de perdre un contrat en fin de saison. Une fois qu'on y a goûté, les molécules qui procurent de l'addiction s'activent, à quoi s'ajoute l'amélioration éventuelle des performances : le cercle infernal se met en place - si j'arrête, il va se passer quoi ? Je vais redevenir nul ? (et souvent, des mecs tombent dans de lourdes dépressions après l'arrêt des produits, voire des décompensations plus sévères, c'est assez fréquent dans le peloton)
4. Reste l'éducation et l'éthique : ça concerne avant tout les éducateurs mais aussi tout le staff des équipes, du DS au mécano, sans oublier évidemment les équipes médicales. Et là, mon dieu, quand on voit la compo de certains staffs.. ça ne laisse pas augurer du meilleur ! Mais bon, il y a de réels progrès dans les mentalités à ce sujet, je pense aux team du MPCC par exemple. Malheureusement, la pression économique qui pèse sur les équipes est impitoyable : et un coureur qui traverse une mauvaise passe risque toujours de se voir éjecter d'une team ou être confiné au rôle de larbin. L'encadrement des coureurs, qui sont souvent de très jeunes gens, qui n'ont de la vie qu'une expérience limitée comme tout sportif de haut niveau, demanderait encore plus d'attention psychologique à mon avis : un DS humain, qui cause avec chacun de ses coureurs, ça vaut mieux que des mecs qui apprennent leur licenciement sur tweeter hein !
5. Si la team ET les sponsors s'engagent dans la voie d'un cyclisme propre, et le revendiquent haut et fort, il faudrait aussi que les médias et le public suivent. Pas en crachant sur les coureurs qu'on soupçonne de dopage mais en valorisant les performances des coureurs qui s'engagent explicitement dans une voie clean. Ça ne se fait pas assez. Je rêve d'un sponsor qui déclame haut et fort : ok, on n'a pas les perfs de la SKY, mais on met tout en œuvre pour que nos coureurs soient clean (et on peut rendre public des documents : ça se fait déjà). Leurs performances sont un peu en deçà, pas grave, on les soutient quand même etc.. Ça vaut aussi pour les organisateurs de course (et de ce point de vue, l'ASO a quand même bien changé après 1999 !). Quant au public, nous les premiers, il a le droit aussi de faire preuve de mesure, et d'arrêter de lyncher des coureurs qui font des performances "en dedans" ou des pelotons un peu amorphes ou plus prudents au moment d'aborder les difficultés du parcours. Je dis ça pour notre forum où je trouve les jugements souvent ultra rudes - faudrait toujours que les mecs soient au top, qu'il y ait du spectacle à donf dans les ascensions, mais ça, sans dopage..
Quant à l'avenir du dopage.. je suis très pessimiste. Parce que les pratiques d'amélioration des performances sont à l’œuvre à tous les niveaux dans la société, que ça fait désormais partie de la culture et ça dépasse de loin les mondes du sport (ou alors c'est toute la société qui devient un terrain de sport de compétition). Et parce que les biotechnologies qui vont nous tomber dessus dans la décennies à venir vont complètement changer la donne. Et j'ai un peu peur de deviner à quoi ressemblera l'athlète du futur - comme je suis déjà un vieux schnock, ça me fait pas bien envie.. mais bon, les nouvelles générations s'y feront et quand ils liront nos discussions et nos indignations sur le dopage, ça les fera bien rigolasser.