par styreiz le maudit » 05 Juil 2025, 19:23
Je souhaite ici revenir sur le débat sur la progression des performances des coureurs au cours de ces dernières années.
Les paramètres ci-dessous ont été évoqués :
- l'entraînement
- la récupération
- le matériel
- la nutrition
___ la nutrition hors-course
___ la nutrition en course
Je vais donner mon avis là-dessus par une évocation comparative des progressions de ces différents aspect qu'il y a eu aujourd'hui par rapport aux années 1990, et par rapport à 2018.
___ Concernant l'entraînement, il y a bien sûr eu des progrès par rapport aux années 1990. Le home-trainer commençait à peine à venir, l'entraînement était moins bien organisé, moins spécialisé, moins spécifique, moins bien découpé. En revanche, il n'y a pas eu de révolution par rapport à 2018. Quasiment rien n'a changé par rapport à cette date concernant l'entraînement. Donc ce dernier ne peut pas expliquer grand chose concernant les hausses récentes de performance.
___ Concernant la récupération, on se rappelle que les coureurs des années 1990 n'étaient pas forcément très pros sur cet aspect. En effet, il arrivait qu'il fasse régulièrement un usage récréatif de pot belge, un cocktail de stimulants incluant notamment des amphétamines, y compris le soir des courses par étapes. La récupération n'était donc pas toujours optimale à ce moment. En 2018 en revanche, cet aspect avait déjà énormément progressé. On songe déjà à l'équipe Sky et ses gains marginaux, son optimisation sur tous les plans, y compris la récup. Aujourd'hui, on n'a donc pas gagné grand chose sur la récup par rapport à 2018, donc pas beaucoup d'explications ici non plus.
___ Concernant le matériel, les gains sont modérés par rapport à 2018, et notables par rapport aux années 1990. Mais ces gains sont d'autant plus faibles que la pente est élevé, que le parcourt est sinueux, et que la route est mauvaise. Il y a eu énormément de progrès sur le freinage, beaucoup de progrès en virage, de nets progrès en aérodynamique, des progrès visibles en confort et des progrès mesurables en coefficient de roulement. Concernant le poids, on est en revanche à 6,8 kg minimum depuis les années 2000. Sachant que certains coureurs des années 1990 avaient déjà des vélos de 7 kg environ (Pantani), que certains vélos d'aujourd'hui pèsent plus que la limite, et que la puissance dans les cols pentus dépend surtout de la gravité, alors on peut considérer que le matériel peut expliquer l'augmentation des moyennes sur les étapes plates et la plupart des classiques, mais ne peut pas expliquer grand chose concernant les performances actuelles sur les ascensions pentues.
___ Reste enfin la nutrition. Dans les années 1990, c'était moins sérieux. En 2018, tout était en revanche déjà bien calculé. Mais pas selon les mêmes préceptes. En effet, en 2018, on était obsédé par le poids, par le rapport puissance-poids. On tournait en low-carb pour forcer l'organisme à utiliser les graisses, afin d'abaisser le taux de graisse tant que possible, afin de maintenir à la hausse le rapport puissance poids et essayer de préserver au maximum le glycogène pendant la course. En comparaison, l'alimentation hors-course d'aujourd'hui est plus riche en glucides. De plus, les quantités de glucide en course ont presque doublées - on est passé de 60 à 120 gramme de glucides par heure.
_ Un surcroît de glucides hors-course permet de reconstituer plus vite les réserves de glycogène et de récupérer un peu plus des efforts. En revanche, un excès de glucides finira transformé en graisses, donc n'apportera rien. Un surcroît de glucide en avant-course apporte aussi un peu plus d'énergie pour les épreuves longues et difficiles, donc aide un peu à maintenir un effort de longue durée, en endurance longue, comme par exemple une course cycliste.
_ L'alimentation en glucides en course joue enfin sur trois aspects : la stimulation, le maintient de cette stimulation, et l'efficacité métabolique. Premièrement, il faut savoir que la reconnaissance d'un net goût sucré par les papilles a un effet stimulant sur la performance, même si aucun glucide n'est réellement absorbé. Ensuite, on sait qu'en cas d'apport continu et élevé de glucides, la glycémie reste élevée, donc le cerveau garde les vannes ouvertes. En revanche, en cas de baisse de la glycémie, le cerveau ferme les vannes, et l'on se sent cuit, on a mal partout, on a du mal à accélérer. Je précise qu'il ne s'agit pas là du mur (épuisement du glycogène musculaire), mais de l'hypoglycémie (baisse de la glycémie, c'est-à-dire du taux de glucose sanguin et du glycogène hépatique). L'alimentation en course permet de repousser ce phénomène. Cela est d'autant plus important que la course est longue et intense, parce que c'est là que la dépense énergétique, y compris glucidique, est la plus élevé.
_ Enfin, un apport élevé de glucides peut encourager l'organisme à remplacer une partie des graisses par du glucose sanguin pour contribuer à l'effort. On sait qu'au-dessus du seuil, le corps utilise seulement du glycogène musculaire. En-dessous, il bascule d'autant plus vers les graisses que l'effort est peu intense. Et en cas de prise de glucides exogènes, une partie de ces derniers peut être utilisé à la place d'une partie des graisses. Ce qui est déterminant ici est l'efficacité métabolique aérobie, plus précisément ici le rendement équivalent d'utilisation du dioxygène. C'est avec le glycogène que ce rendement est le plus élevé, ce pourquoi c'est le carburant privilégié par le corps pour les efforts intenses. Ce rendement est à peine plus bas avec le glucose sanguin, mais un peu plus bas avec les graisses. Celles-ci sont utilisées de façon privilégiées pour les efforts peu intenses car elles sont abondantes, mais le corps peut les remplacer volontiers par un peu de glucose sanguin parce que ce dernier réagit de façon plus efficace avec le dioxygène. Il y a alors un léger gain d'efficacité métabolique avec une alimentation en course riche en glucides. Il peut enfin légèrement remplacer le glycogène, donc reculer son épuisement et donc la venue du fameux mur.
_ En cas de mur et d'hypoglycémie, le corps utilise des protéines pour l'effort. Cela est bien évidemment mauvais vu que cela consomme les muscles, les tendons, et vu que le rendement d'utilisation du dioxygène par les protéines est franchement médiocre. Vu qu'elle recule le mur et vu qu'elle repousse largement l'hypoglycémie, une alimentation en course riche en glucide permet ici de fortement réduire la perte d'efficacité métabolique.
_ En terme pratique, il n'y a pas vraiment de gains sur l'effet stimulant en passant de 60 à 120 g par heure. Il peut même y avoir une perte à cause de l’écœurement. En revanche, une augmentation de la consommation de glucides aide à maintenir la glycémie sur toute la durée de la course, ce qui éloigne le spectre de la fringale. Cela améliore enfin un peu les performances en endurance haute et fondamentale. En revanche, il n'y a pas d'effets pour les performances pures situées au-dessus du seuil, parce que ces changements de carburant ne touchent pas à la consommation d'oxygène maximale selon la durée d'effort.
_ Ces changements nutritionnels peuvent ainsi expliquer pourquoi les courses d'aujourd'hui se courent de façon moins attentistes, avec des attaques de plus loin, qui se décantent plus tôt, avec nettement moins de fringales, avec une intensité moyenne et un rythme plus élevés tout au long de la course par rapport aux courses de la décennie passée. Cela peut donc expliquer le maintient de puissance moyenne plus élevée. Mais en aucun cas cela ne peut expliquer les performances records actuelles lors des ascensions.
___ En conclusion, le matériel peut expliquer une partie des hausses de rythme récentes, mais d'autant moins que la pente est forte. Quant à la nutrition, si elle peut expliquer une partie de la hausse du rythme moyen sur plusieurs heures, elle ne peut pas expliquer les chronos records actuels dans les ascensions. Dans tous les cas, l'explication de ces dernier ne semble pas pouvoir se passer du facteur aide ergogénique, c'est-à-dire de l'explication par une amélioration des protocoles de dopage.