Quelques visionnages de la semaine dernière, avec pas mal de sorties de 2022, sur différents support
Une sortie salle
Eo (Jerzy Skolimowski – 2022) : Une très belle "surprise" (avec des gros guillemets vu tous les retours élogieux sur le film, et vu que c'est Skolimowski derrière la caméra) qui reprend le Balthasar très âpre de Bresson pour en faire une œuvre poétique d'une rare beauté. La captation du regard de l'âne, le travail sur le son, la photographie, la musique, tout est absolument sublime dans ce film.
Malheureusement, ce qui aurait pu être un immense film d'1h10 n'est qu'un très bon film d'1h30, parce que Skolimowski (ou quelqu'un a la prod) a décidé qu'il fallait souligner le propos du film pourtant déjà évident en ajoutant des passages avec uniquement des êtes humains. Etant donné qu'on nous donne à voir le ressenti de l'âne, c'est inutile, incongru et un peu lourd (surtout quand on utilise un visage aussi familier que celui d'Huppert, connue dans le monde entier). A vrai dire, j'aurais presque aimé qu'on ne voit que l'âne et même au delà, que les humains parlent un gloubi-boulga incompréhensible, pour être encore plus dans la peau du magnifique Eo.
Une sortie direct à la TV (dispo sur Arte jusqu'à fin novembre)
Au cœur des volcans – Requiem pour Katia et Maurice Krafft (Werner Herzog – 2022) : Documentaire très intéressant de Werner Herzog, construit à partir d'images qui ne sont pas les siennes. En reprenant les archives des époux Krafft, Herzog leur rend hommage sans jamais faire ni une biographie, ni un film sur les volcans. Il cherche simplement à comprendre ce qui a pu amener ces deux êtres jusqu'au jour de leur mort, comment leur amour des volcans s'est transformée en pulsion, en attirance pour le feu, comment eux mêmes sont passés de volcanologues à chasseurs d'images... Le tout avec des images d'archives saisissantes et les commentaires d'Herzog toujours bien sentis.
Et deux sorties Netflix (assez rare que je me fasse deux nouveautés Netflix en une semaine, je comprends pourquoi après ces visionnages
)
Blonde (Andrew Dominik – 2022) : Le livre adapté par Andrew Dominik s'appelle "Blonde : A Novel" = un roman = une fiction. L'autrice annonçait la couleur dès la première de couverture, ce que ne fait pas cette adaptation. Ça peut sembler être un détail mais ça révèle l'un des problèmes du film : on réécrit l'histoire d'une personnalité mythique d'Hollywood pour en faire un film très voyeuriste et assez malsain.
C'est dommage, car il y a du positif dans le film. Ana de Armas tient le rôle sur ses épaules ; la mise en scène est très inventive même si elle semble souvent assez gratuite ; la structure est assez inédite pour un biopic (linéaire et elliptique, ça change des allers-retours dans le temps). Et en soi, le sujet de la femme broyée par le système hollywoodien et le patriarcat, celui de la schizophrénie d'un personnage écartelé entre Marylin Monroe et Norma Jean.
Mais Dominik se perd, il se prend pour David Lynch (du personnage féminin perdu dans le cauchemar hollywoodien à la musique très proche de celle de Twin Peaks) sauf qu'il n'a ni le talent, ni surtout l'empathie qu'à Lynch pour ses personnages. Car la mise en scène de Dominik veut toujours nous montrer l'humiliation et la souffrance de façon très esthétisée, comme s'il était heureux que cette souffrance puisse nourrir son film. Il répète ses motifs jusqu'à l’écœurement (l'envie de maternité - avec quelques scènes franchement cringe - et l'absence du père).
Bref, c'est trop long, répétitif, pesant, pompeux, malsain... Des défauts qui ne sont malheureusement pas compensés par les qualités évidentes du film. Dans le genre, j'ai largement préféré le Spencer de Pablo Larrain.
Persuasion (Carrie Cracknell – 2022) : Je me disais bien que ça allait être de la merde mais j'ai quand même regardé, par curiosité, parce que j'avais bien aimé le roman d'Austen. Et en fait, c'est pire que je croyais. Non seulement le film est nul, n'a aucune idée, mais en plus il est symptomatique de c'est qu'est devenu Netflix : une usine à fabriquer des débiles qui peuvent regarder des films de manière totalement passive. Je passe sur la modernisation de l'histoire, pourquoi pas sur le principe mais c'est tellement mal fait que ça devient embarrassant, avec des personnages grossiers très loin de toutes les subtilités du roman. Je passe sur le manque total de personnalité du film qui repompe l'esthétique des Chroniques de Bridgerton. Je passe sur les acteurs tous plus mauvais les uns que les autres avec un Grand Prix de mésinterprétation pour un Cosmo Jarvis qui a autant de répartie qu'Hodor dans GoT.
Le gros problème, c'est d'avoir voulu que Dakota Johnson s'adresse au spectateur en permanence. Déjà, c'est bancal, on comprend vite que la réalisatrice veut s'inspirer de Fleabag mais elle n'a visiblement aucune idée de ce qu'est le 4e mur ou de la façon dont on peut le briser. Mais par ce procédé, l'actrice nous explique tout, nous raconte tout en permanence, nous explique les blagues parfois même AVANT qu'elles n'arrivent à l'écran. Bref, Netflix prend ses spectateurs pour des idiots ou veut les transformer en idiots qui pourront regarder un film ou une série en passant la moitié du temps sur leur téléphone, en restant totalement passif face à l'image.
C'est insultant pour Jane Austen, c'est insultant pour ses lecteurs, c'est insultant pour les spectateurs...
Et d'autres visionnages à commencer par le coup de coeur de la semaine
Le Salaire de la peur (Henri-Georges Clouzot – 1953) : Un film que je voulais voir depuis des années, enfin découvert à l'occasion de sa diffusion sur Arte. Et ça a été une belle claque ! Une mise en place que certains trouvent trop longue mais que j'ai trouvé passionnante : la prison à ciel ouvert dans laquelle végètent les différents protagonistes en proie à la violence et aux addictions, prêts à accepter n'importe quoi pour gagner un peu d'argent et sortir de cette impasse, m'a semblé être une parfaite métaphore du chômage.
Mais le film prend en effet une autre dimension lorsque le convoi s'élance. A partir de là, chaque scène est un chef d’œuvre de mise sous tension. Le moindre dialogue, le moindre regard, le moindre son nous font retenir notre souffle et craindre pour la vie de personnages pourtant assez peu sympathiques et aux motivations peu vertueuses. Tout ça sans grand effets putassier, sans emphase, sans musique omniprésente et, c'est peut-être le plus remarquable pour un film de convoi, sans vitesse.
La Petite Lise (Jean Grémillon – 1930) : Un petit film sympathique qui a le charme des débuts du parlant mais aussi les limites des premiers films parlant. Formellement, ça n'atteint jamais les ambitions de l'affiche "diabolique" du film, c'est une jolie histoire mais c'est très linéaire et un peu trop convenu.
Et puis bon, que ce soit sur La Cinetek ou sur Senscritique, le synopsis raconte littéralement le film du premier au dernier plan (et encore, le dernier plan est moins explicite que ce qui est écrit dans le synopsis). On s'en serait bien passé.
Happy Together (Wong Kar-Wai – 1997) : Très bon film même si des rares WKW que j'ai vus, j'ai préférés Chungking Express et, surtout, In the Mood for Love. J'ai mis du temps à rentrer dans Happy Together à cause d'une photo que je trouvais trop "poseur" et moins fine que dans ses autres films. Et puis je me suis laissé prendre par cette histoire d'amour douloureuse marquée par quelques jolis détails (ceux tournant autour des chutes d'Iguazu). J'ai trouvé les dernières 20 minutes sublimes, sans doute parce que WKW sait mieux filmer son continent que l'Argentine (ça se voit notamment lors du bref passage à Ushuaia que j'ai trouvé formellement assez raté)
Les Sorcières de Salem (Raymond Rouleau – 1957) : Excellente surprise, film français étonnamment méconnu (vu le sujet et le couple en tête d'affiche, il y avait tous les ingrédients d'un classique) qui reprend la trame d'une pièce de théâtre sur les Sorcières de Salem. Il faut passer outre le ton très théâtral de l’œuvre (Rouleau vient du théâtre et Montand/Signoret ont déjà interprété les mêmes rôles sur les planches) qui peut déranger pour voir ce très beau mélodrame politique où tous les acteurs sont impeccables, où la mise en scène est parfois très classique, parfois très inspirée. Je n'ai pas vu passer les 2h30 !
La Route d’Eldorado (Eric Bergeron & Will Finn – 2000) : Un Dreamworks sympathique que je découvre sur le tard. Le scénario est creux mais est compensé par des personnages principaux intéressant, un side-kick hippique plutôt drôle, de jolis décors et quelques moments funs. C'est sans prétention et ça se regarde avec plaisir.