Histoire

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Re: Histoire

Messagepar Leon40 » 12 Nov 2018, 18:54

Beobachter a écrit:
Paul-henri a écrit:
Leon40 a écrit:Autrement, l'analogie avec le Japon est intéressante et il serait amusant de la creuser, même s'il faudrait prendre en compte les spécificités japonnais au moins depuis l'ère Meiji.


Le Japon, tout comme l'Italie, a semble-t-il considéré qu'ils n'ont pas obtenu autant qu'ils méritaient de la guerre. Globalement, personne n'a été satisfait des conséquences territoriales de la Grande Guerre.


Tout à fait. Et c'est d'ailleurs pour ça que n'évoquer que le Traité de Versailles est en réalité un raccourci. L'ensemble des traités (et pas que Versailles) concernant le règlement de la guerre de 14-18 a créé des insatisfactions majeures. Fondamentalement, rien n'a été réglé après 14-18. Au mieux, ça a seulement permis une interruption des combats, au pire ça créé ou enrichi le terreau pour les problèmes qui surviendront par la suite.
L'Italie est un exemple immédiat d'insatisfaction nationaliste engendrée par la déception de ne pas voir toutes les prétentions territoriales satisfaites. Cumulé au climat de l'époque, à un épuisement du pays et à une accoutumance à la violence chez beaucoup, on avait là énormément d'ingrédients directement liés à la guerre de 14 qui ont amené à Mussolini.
On peut en dire pareil de plein de pays d'Europe centrale où l'émergence de régimes durs n'est pas un hasard.

Bien sûr, rien n'était déterminé mais difficile de ne pas voir une grande continuité dans cette période...


De toute façon il est en réalité faux d'arrêter la Première guerre mondiale le 11 novembre 1918. Si on est moins auto-centrés elle continue en Afrique (ou des Allemands se battent encore), au Moyen-Orient (où des Français se battent encore).
On pourrait presque aller en 1923 si on considère que la guerre qui met fin à l'Empire ottoman qui n'est pas qu'une affaire turque n'est que le prolongement de 1914-18

Pour l'Italie, il y a quand même de nombreux facteurs qui arrivent bien avant les traités dont celui de Versailles pour expliquer son histoire des années 20 à 40.
Dans un premier temps l'Italie fasciste est loin d'être expansionniste en Europe. C'est en Afrique qu'elle vit ses rêves de grandeur. Un peu comme la France d'ailleurs...

Il ne faudrait pas confondre fascisme et nazisme. D'ailleurs si on considère que le franquisme est apparenté au fascisme, en Espagne pas de traité de Versailles, pas de conquête et pourtant fin de la République... Je pense qu'en histoire, il faut quand même faire gaffe aux causalités faciles.

D'ailleurs, la volonté expansionniste italienne pendant la seconde guerre mondiale n'a été que pure opportunisme sans aucune vision politique. Ainsi l'Italie déclare la guerre à la France dans l'urgence seulement lorsqu'elle sent que celle-ci va s’effondrer face à l'Allemagne, en espérant grignoter quelques territoires. Manque de bol, Pétain signe l'Armistice, récupère une zone sud et l'Italie va se faire moucher par Hitler et va devoir se tourner à nouveau vers l'Afrique dans ses rêves de grandeur... où ils se feront moucher par les Britanniques, bien aidés des Français. Mais en Europe l'Italie cherchait surtout à consolider sa jeune nation avec un État fort, d'où l'arrivée de Mussolini au pouvoir.

Pour le Japon, franchement, le traité de Versailles n'a pas grand chose à voir avec son histoire des années 20, 30 et 40. Les causes de l'expansionnisme territorial japonais sont pour l'essentiel endogènes et relèvent du temps long.

Par contre, là où je suis d'accord, c'est que traité de Versailles n'était pas un traité de paix, mais la ratification des vainqueurs et des vaincus et donc des droits des uns et des devoirs des autres. Donc il était inévitable que certains pensent qu'ils n'avaient pas assez de droit pendant que d'autres pensaient qu'ils avaient trop de devoirs.

Je le répète, mais dans les 14 points de Wilson, le contrepoids des "sanctions" territoriales, militaires et économiques était d'établir une paix durable pour tous (vainqueurs comme vaincus) fondée sur deux pieds :
- au niveau géopolitique : les droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
- au niveau économique : le libre échange
Le premier pied était bancal car la règle qui a permis aux Polonais ou aux Tchèques d'avoir leur État a été refusé aux Allemands dont une partie est émiettée en minorités dans des États qui les oppriment très souvent.
Le deuxième pied a été cisaillé par la crise de 29 où tout le monde se referme sur lui-même.
Et même avant dès le retrait des États-Unis du processus de paix mondiale durable, ces valeurs positives et universelles pouvant fédérer au-delà des rancœurs n'avaient plus de porte-voix. On est retourné à la petit cuisine nationaliste et expansionniste... pour le pire.

C'est là où je suis d'accord avec Beo, les années 20/30 (et surtout 20) sont en réalités une parenthèse dans un monde où rien n'avait foncièrement changé après 18.
Modifié en dernier par Leon40 le 12 Nov 2018, 19:15, modifié 1 fois.

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Re: Histoire

Messagepar Leon40 » 12 Nov 2018, 19:03

Beobachter a écrit:A noter aussi que l'idée d'une nation autrichienne est donc très tardive et que le sentiment national autrichien ne s'est imposé que tard (et en grande partie par volonté de se démarquer de l'Allemagne nazie. Comme quoi le roman national n'est certainement pas une spécificité française :angel )

C'est assez logique finalement car en réalité l'Autriche n'existait pas comme Nation avant 1945.
L'Autriche était une famille, les Habsbourg, dont le territoire fluctuait au grès des conquêtes, alliances et mariages dans des territoires aussi divers que la Sicile, l'Espagne ou la Bohème. Pas vraiment de quoi constituer un sentiment d'unité durable dans une Nation.
Beobachter a écrit:Léon: très juste rappel sur le pangermanisme (même si je lui préfère le terme de nationalisme allemand qui me semble plus correct car plus vaste).

Perso, je préfère réellement le terme de pangermanisme car il relève de caractéristiques culturelles, historiques et d'une finalité propres à l'Allemagne. de plus il a été théorisé comme tel par les intellectuels allemands du 19ème et début 20ème siècles.

Un nationalisme peut très bien se refermer sur lui-même, typiquement le Franquisme qui ressemble davantage aux nationalismes actuels, ce qui me fait dire qu'il faut faire gaffe avec les analogies de la situation actuelle avec les années 30.

Ce n'est pas du tout le cas du pangermanisme. Donc l'expression "nationalisme allemand" ne recouvre pas du tout l'étendu du projet politique du pangermanisme.

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Re: Histoire

Messagepar Beobachter » 12 Nov 2018, 20:11

Sur ta première réponse, précisément je ne considère pas le règlement de la Guerre de 14 comme la cause de tout ce qui a ensuivi, je souhaitais simplement souligné l'ampleur de son importance dans ce qui a suivi et en quoi cela a pu contribuer.
Et plus globalement, mon opinion est celle de ta conclusion.

Cela étant, je ne suis quand même pas d'accord sur l'Italie qui n'aurait pas de prétentions territoriales en Europe. Ce n'est pas parce qu'elle regarde vers l'Afrique que l'Europe ne lui importe pas.
La question des terres irrédentes a été fondamentale dans son entrée en guerre lors de la première guerre mondiale. Le fait que l'Italie n'ait pas eu entière satisfaction a abouti à une vaste déception et à l'idée d'une victoire mutilée qui a boosté les mouvements nationalistes et fascistes.
Il faut bien voir les politiques menées d'italianisation forcée en Haut-Adige par exemple, la question de Fiume (D'Annunzio et ses potes), les prétentions sur la Dalmatie dans son entièreté, plus tard la conquête de l'Albanie et son annexion... Toutes ses questions-là touchent au coeur de ce qu'est l'Italie, bien plus que je ne sais quelle colonie lointaine (car identité >> puissance). Au niveau idéologique, les motivations sont bien plus profondes pour tout ce qui concerne le périmètre européen.

Leon40 a écrit:
Beobachter a écrit:Léon: très juste rappel sur le pangermanisme (même si je lui préfère le terme de nationalisme allemand qui me semble plus correct car plus vaste).

Perso, je préfère réellement le terme de pangermanisme car il relève de caractéristiques culturelles, historiques et d'une finalité propres à l'Allemagne. de plus il a été théorisé comme tel par les intellectuels allemands du 19ème et début 20ème siècles.

Un nationalisme peut très bien se refermer sur lui-même, typiquement le Franquisme qui ressemble davantage aux nationalismes actuels, ce qui me fait dire qu'il faut faire gaffe avec les analogies de la situation actuelle avec les années 30.

Ce n'est pas du tout le cas du pangermanisme. Donc l'expression "nationalisme allemand" ne recouvre pas du tout l'étendu du projet politique du pangermanisme.


Oui, mais précisément ce n'était pas mon point. Un des facteurs ayant favorisé le pangermanisme hitlérien est le nationalisme allemand mais on ne peut pas à mon sens considérer les deux comme équivalents. Or mon propos était de dire que le nationalisme allemand était très fort à l'époque (beaucoup plus que le pangermanisme) et que c'est par sa non-prise en compte que le pangermanisme a trouvé un terrain pour prospérer.
Ton Autrichien ou ton type des Sudètes, il sera ultramajoritairement nationaliste allemand au sens où si tu lui demandes à quelle nation il se rattache, il va répondre l'Allemagne. Mais une telle position ("moi je veux vivre dans cet Etat") est complètement différente que de dire que TOUS les Allemands doivent vivre dans un même Etat.
A partir directement sur le pangermanisme, cela revient à ne s'intéresser qu'à une partie de l'ensemble.

(sur le franquisme, je serai plus nuancé, certes, le régime de Franco n'a pas cherché à s'étendre. Cela étant, il a quand même écrasé tout autre nationalisme en concurrence sur son territoire. Or l'adéquation population nationale-territoire est quand même un point majeur. L'Espagne n'avait pas à intervenir ailleurs car elle avait ce qu'elle voulait avoir dans son idéologie nationale (ce que n'avait ni l'Italie ni l'Allemagne ni la Hongrie).
De plus, le franquisme d'aujourd'hui ne cache nullement sa volonté de reprendre Gibraltar par exemple ainsi que d'interdire tout parti/mouvement autonomiste/indépendantiste.
Bref, je ne suis pas si sûr que les situations soient au fond si différentes)

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Re: Histoire

Messagepar Leon40 » 12 Nov 2018, 21:42

Beobachter a écrit:Ton Autrichien ou ton type des Sudètes, il sera ultramajoritairement nationaliste allemand au sens où si tu lui demandes à quelle nation il se rattache, il va répondre l'Allemagne. Mais une telle position ("moi je veux vivre dans cet Etat") est complètement différente que de dire que TOUS les Allemands doivent vivre dans un même Etat.
A partir directement sur le pangermanisme, cela revient à ne s'intéresser qu'à une partie de l'ensemble.

Sauf que que l'Anschluss et le rattachement des Sudètes sont deux choses différentes.
Les Autrichiens de 1938 sont déjà dans une nation allemande uniforme. Donc c'est quoi ta nuance ? Si ce n'est que du nationalisme, ben c'est déjà ok pour eux. L'Anschluss est bien une concrétisation du pangermanisme venant d'Allemagne, pas un soulèvement des Autrichiens pour vivre dans un État-nation... puisque c'est déjà le cas depuis la fin de la double monarchie.
Quand aux Allemands des Sudètes, tu laisses entendre qu'il se contenterait d'un État à eux à côté de la Tchécoslovaquie et de l'Allemagne ou qu'ils voudraient migrer vers l'Allemagne. C'est totalement faux, ils veulent vivre aux Sudètes, en Allemagne. Donc, pourquoi ce serait du nationalisme et pas du pangermanisme. J'avoue ne pas comprendre.
Ce qu'il n'y a pas eu en 1918 (du moins dans les mêmes proportions) et qu'il y aura en 1945/46, ce sont les immenses transferts de population. Des familles entières vont errer sur les routes au grès des évolutions de frontières afin d'intégrer LEUR État-nation. C'est particulièrement vrai pour l'Allemagne et la Pologne avec toutes les imperfections dues à l'implantation des régimes totalitaires communistes.

Beobachter a écrit:(sur le franquisme, je serai plus nuancé, certes, le régime de Franco n'a pas cherché à s'étendre. Cela étant, il a quand même écrasé tout autre nationalisme en concurrence sur son territoire. Or l'adéquation population nationale-territoire est quand même un point majeur. L'Espagne n'avait pas à intervenir ailleurs car elle avait ce qu'elle voulait avoir dans son idéologie nationale (ce que n'avait ni l'Italie ni l'Allemagne ni la Hongrie).
De plus, le franquisme d'aujourd'hui ne cache nullement sa volonté de reprendre Gibraltar par exemple ainsi que d'interdire tout parti/mouvement autonomiste/indépendantiste.
Bref, je ne suis pas si sûr que les situations soient au fond si différentes)

Pour Gibraltar, no comment, les Espagnols ont totalement raison. Et pas que les franquistes, je ne comprends pas que tu écrives cela car c'est une idée bien plus rependue, surtout depuis le Brexit. Même s'il faudra alors que les Espagnols s'interrogent sur Ceuta et Melilla.
Quand tu penses que les Britanniques ont lâché Hong-Kong, mais pas Gibraltar, y a comme un malaise colonialiste, non ?

Pour en revenir à l'Espagne franquiste, une guerre civile, ce n'est pas une guerre entre États. Et Franco peut écraser tous les Catalans ou Basques d'Espagne, ça ne bousculera pas suffisamment ses voisins limitrophes pour en faire une guerre mondiale ou même européenne. Les Allemands et Français dans les années 30 se sont arrêtés très tôt dans leur ingérence officieuse sans que cela ne soit un facteur déclencheur de quoi que ce soit puisque les Français reconnaissent même Franco et basta.
Ensuite, pendant la 2ème Guerre mondiale, l'Espagne n'a absolument eu aucun rôle, restant neutre comme la Suisse, les deutschemarks dans les comptes en banque en moins. Y compris à travers ses colonies aux portes de l'Empire colonial français. Car elle aurait pu profiter de la faiblesse française pour s'installer un peu plus au Maroc par exemple.
Donc, je ne vois pas trop ton idée d'expansionnisme de l'intérieur qui conduirait à une situation conflictuelle dans les relations internationales. J'ai surtout l'impression que tu remets sur le tapi de façon détournée nos sujets de discussion lors du référendum illégal catalan. :mrgreen:
Non, les Catalans et les Basques ne se battaient pas contre Franco pour leur indépendance, ce n'était pas la Yougoslavie des années 1990. Ils se battaient contre Franco, pour la République espagnole comme tant de volontaires français non basques, non catalans, etc...

Plus généralement, mon idée était de dire que les nationalismes européens actuels (hors Russie) sont des nationalismes de replis et non des nationalisme expansionnistes à l'origine de guerres entre États. En quoi les nationalismes/populismes au pouvoir en Italie, Autriche, Hongrie, Pologne ou République Tchèque sont-ils expansionnistes ? En quoi peuvent-ils initier une guerre de conquête territoriale comme on a connu en conclusion de la propagation du nationalisme des années 30 ?
Je ne dis pas qu'une guerre est impossible, car si je reviens sur la Russie, je pense que le vrai facteur déclencheur pourrait être là, mais je pense que les mécanismes ne sont pas les mêmes que dans les années 1930.
Par contre, on retrouve un ressort commun : l'ennemi de l’intérieur. Le Juif a été remplacé par l'étranger ou/et le musulman.

Surtout, le grand changement de notre époque actuelle par rapport aux années 1930 est la mondialisation et son ampleur dans tous les domaines. Ceci est réellement nouveau et ne peut être comparé à quoi que ce soit de significativement similaire. Et comme dans tout bouleversement important, la peur de l'avenir crée la peur tout court qui profite aux populistes.
Évaluer les risques réels actuels ne veut pas dire plaquer l'histoire sur le présent, ce que certains sont tentés de faire.
L'histoire s'écrit, elle ne se recopie pas.

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Re: Histoire

Messagepar Beobachter » 13 Nov 2018, 01:49

Leon40 a écrit:
Beobachter a écrit:Ton Autrichien ou ton type des Sudètes, il sera ultramajoritairement nationaliste allemand au sens où si tu lui demandes à quelle nation il se rattache, il va répondre l'Allemagne. Mais une telle position ("moi je veux vivre dans cet Etat") est complètement différente que de dire que TOUS les Allemands doivent vivre dans un même Etat.
A partir directement sur le pangermanisme, cela revient à ne s'intéresser qu'à une partie de l'ensemble.

Sauf que que l'Anschluss et le rattachement des Sudètes sont deux choses différentes.
Les Autrichiens de 1938 sont déjà dans une nation allemande uniforme. Donc c'est quoi ta nuance ? Si ce n'est que du nationalisme, ben c'est déjà ok pour eux. L'Anschluss est bien une concrétisation du pangermanisme venant d'Allemagne, pas un soulèvement des Autrichiens pour vivre dans un État-nation... puisque c'est déjà le cas depuis la fin de la double monarchie.
Quand aux Allemands des Sudètes, tu laisses entendre qu'il se contenterait d'un État à eux à côté de la Tchécoslovaquie et de l'Allemagne ou qu'ils voudraient migrer vers l'Allemagne. C'est totalement faux, ils veulent vivre aux Sudètes, en Allemagne. Donc, pourquoi ce serait du nationalisme et pas du pangermanisme. J'avoue ne pas comprendre.
Ce qu'il n'y a pas eu en 1918 (du moins dans les mêmes proportions) et qu'il y aura en 1945/46, ce sont les immenses transferts de population. Des familles entières vont errer sur les routes au grès des évolutions de frontières afin d'intégrer LEUR État-nation. C'est particulièrement vrai pour l'Allemagne et la Pologne avec toutes les imperfections dues à l'implantation des régimes totalitaires communistes.

"Une nation allemande" sauf que précisément ce n'est ici pas "une" mais "LA nation allemande". Les Autrichiens se réclamaient d'un tout plus grand qu'eux-mêmes. L'Etat-nation par définition est un, il ne peut pas de démultiplier. Sauf à devenir un Etat-nation autrichien de la nation autrichienne (et donc pas allemande), l'Etat autrichien n'était pas un Etat-nation puisque la population de cet Etat se réclamait d'une nation bien plus vaste et basée sur un Etat voisin. En l'occurrence, l'Etat-nation était l'Allemagne et on a interdit à des territoires constitués et homogènes de rejoindre l'Etat-nation dont ils se considéraient part.

Pour ce qui est de la distinction je ne comprends pas que ce que tu ne comprends pas. Pour les types des Sudètes, leur territoire seul n'existe pas, ça n'a aucun sens si ce n'est celui d'être une région, un territoire, rien de plus. De même pour l'Autriche. En gros, ces territoires sont comme la Bavière et la Saxe, ils pourraient vivre seuls mais ils se réclament d'une entité plus grande. Pour les Sudètes comme l'Autriche, il paraissait normal de s'interroger sur ce qui faisait sens pour eux. Le sens partagé à l'époque était qu'ils faisaient de la nation allemande. Ainsi, de leurs perspectives, il était naturel de considérer rejoindre la nation allemande. On est ici dans de la construction nationale: des entités (personnes, communautés, régions) ont un sentiment d'adhésion profonde à quelque chose de plus grand et souhaite voir ce sentiment se transformer en quelque chose de plus concret.
La perspective ici est purement et simplement celle des concernés. Ils ne souhaitent décider que pour eux-mêmes.

Ce qui n'a rien à voir avec une perspective pangermaniste qui, elle, est une perspective totale: TOUS les Allemands doivent appartenir à l'Etat allemand. Ici, cela revient à (vouloir) décider pour les autres.

Ainsi, les types des Sudètes ou les Autrichiens, tous très largement nationalistes allemands étaient très loin d'être tous des pangermanistes. A aucun moment, ils ne souhaitaient décider pour les autres. En gros, ton Autrichien moyen, il se fout que l'Allemand des Sudètes vive dans le territoire de la République allemande ou en République Tchèque: c'est le problème des Sudètes, pas le sien. Et inversement, le type des Sudètes, c'est le devenir de sa région qui lui importe: ce que font les Autrichiens est leur choix, il s'en fout globalement.

Ton pangermanisme découle d'un certain nationalisme allemand mais il ne lui est pas nécessairement équivalent, très loin de là.

Sur les transferts de population, j'ai l'impression (peut-être erronée) que tu fais comme si ça découle d'un libre choix des concernés. On en était quand même très loin.
Mais là où tu as raison c'est que tous ces transferts de population et cette relative homogénéisation des Etats après ça a conduit à renforcer de vrais Etats-nations là où jusqu'alors les mélanges entre communautés étaient sources de tensions du fait des velléités nationalitaires puis nationalistes.
Et j'ai l'impression que justement tu ne prends pas en considération cette différence des situations suivant les cas en question. L'Allemagne, l'Italie, la Hongrie étaient expansionnistes car leurs Etats (leurs territoires) ne recoupaient pas leurs nations. L'Espagne elle avait déjà le territoire qu'elle voulait par rapport à sa perception de la nation espagnole. Dès lors, il n'y avait juste aucune raison particulière de faire preuve d'un expansionnisme nationaliste virulent. Tout le contraire d'Etats qui considéraient que leurs territoires ne correspondaient à leurs frontières nationales.

On peut d'ailleurs poursuivre le raisonnement à aujourd'hui. On voit bien que des Etats-nations solidement constitués n'ont plus de raisons d'être expansionnistes. Par contre, par contre on voit bien que les minorités nationales et autres situations d’enchevêtrement communautaires sont les plus explosives. Prenons la Hongrie par exemple. On est fondamentalement dans de l'expansionnisme pur et simple, certes à la sauce 21ème siècle, donc par chance avec une renonciation au recours aux armes, mais on reste dans de l'expansionnisme. Les actions hongroises et plus globalement l'idéologie nationale de ce pays sont tournées directement vers la Slovaquie, la Roumanie, la Serbie et l'Ukraine. Pour la Hongrie, la situation de la population nationale n'est pas satisfaisante. (de même pour celle des territoires même si pour le coup c'est moins officiel).
Pourquoi y-a-t'il eu la guerre en Croatie, en Bosnie et en Serbie quand la Slovénie a globalement été épargnée par les combats? L'extrême hétérogénéité des populations et ainsi l'impossibilité de concilier territoire et population était le carburant du conflit (et ça l'est encore en Bosnie).
Rien de nouveau ici. Mais je ne vois donc pas comment on pourrait ici faire l'impasse quant à prendre en compte la situation dans lequel se trouve l'Etat nationaliste par rapport à son territoire et à sa population.


Beobachter a écrit:(sur le franquisme, je serai plus nuancé, certes, le régime de Franco n'a pas cherché à s'étendre. Cela étant, il a quand même écrasé tout autre nationalisme en concurrence sur son territoire. Or l'adéquation population nationale-territoire est quand même un point majeur. L'Espagne n'avait pas à intervenir ailleurs car elle avait ce qu'elle voulait avoir dans son idéologie nationale (ce que n'avait ni l'Italie ni l'Allemagne ni la Hongrie).
De plus, le franquisme d'aujourd'hui ne cache nullement sa volonté de reprendre Gibraltar par exemple ainsi que d'interdire tout parti/mouvement autonomiste/indépendantiste.
Bref, je ne suis pas si sûr que les situations soient au fond si différentes)

Pour Gibraltar, no comment, les Espagnols ont totalement raison. Et pas que les franquistes, je ne comprends pas que tu écrives cela car c'est une idée bien plus rependue, surtout depuis le Brexit. Même s'il faudra alors que les Espagnols s'interrogent sur Ceuta et Melilla.
Quand tu penses que les Britanniques ont lâché Hong-Kong, mais pas Gibraltar, y a comme un malaise colonialiste, non ?

Pour en revenir à l'Espagne franquiste, une guerre civile, ce n'est pas une guerre entre États. Et Franco peut écraser tous les Catalans ou Basques d'Espagne, ça ne bousculera pas suffisamment ses voisins limitrophes pour en faire une guerre mondiale ou même européenne. Les Allemands et Français dans les années 30 se sont arrêtés très tôt dans leur ingérence officieuse sans que cela ne soit un facteur déclencheur de quoi que ce soit puisque les Français reconnaissent même Franco et basta.
Ensuite, pendant la 2ème Guerre mondiale, l'Espagne n'a absolument eu aucun rôle, restant neutre comme la Suisse, les deutschemarks dans les comptes en banque en moins. Y compris à travers ses colonies aux portes de l'Empire colonial français. Car elle aurait pu profiter de la faiblesse française pour s'installer un peu plus au Maroc par exemple.
Donc, je ne vois pas trop ton idée d'expansionnisme de l'intérieur qui conduirait à une situation conflictuelle dans les relations internationales. J'ai surtout l'impression que tu remets sur le tapi de façon détournée nos sujets de discussion lors du référendum illégal catalan. :mrgreen:
Non, les Catalans et les Basques ne se battaient pas contre Franco pour leur indépendance, ce n'était pas la Yougoslavie des années 1990. Ils se battaient contre Franco, pour la République espagnole comme tant de volontaires français non basques, non catalans, etc...


Je n'ai pas vérifié mais je doute vraiment que dans leurs programmes politiques aucun des partis espagnols ne se soit permis de mettre qu'ils exigeaient de récupérer Gibraltar (que ce soit par ailleurs la position officielle de l'Etat espagnol ou que tel ou tel politicien lâche un petit mot ici et là, ce sont des choses bien moins fortes car de l'ordre du principe plus que d'une volonté réelle).
Sinon le choix de Gibraltar est celui de ses habitants d'abord et avant tout, le choix est le leur. Pas celui de Madrid (qui a par contre le droit de souhaiter son rattachement à l'Espagne, mais pas de l'exiger), et certainement pas le tien :noel:

Quant aux Catalans et Basques, tu as raison, ils ne se battaient pas pour eux-mêmes. Mais par contre Franco lui s'est bien battu contre toute velléité propre basque ou catalane (et pendant tout son temps au pouvoir). Tout simplement car c'était le dernier obstacle réel à la finalisation de l'objectif nationaliste espagnol.
Il est logique que Franco n'ait pas poursuivi ailleurs. Quel intérêt cela aurait-il eu dans le cadre d'un agenda nationaliste déjà atteint? (une situation qui diffère donc complètement des cas allemand, italien ou hongrois pour reprendre les cas évoqués) La conflictualité dépend tout simplement des situations...

Plus généralement, mon idée était de dire que les nationalismes européens actuels (hors Russie) sont des nationalismes de replis et non des nationalisme expansionnistes à l'origine de guerres entre États. En quoi les nationalismes/populismes au pouvoir en Italie, Autriche, Hongrie, Pologne ou République Tchèque sont-ils expansionnistes ? En quoi peuvent-ils initier une guerre de conquête territoriale comme on a connu en conclusion de la propagation du nationalisme des années 30 ?
Je ne dis pas qu'une guerre est impossible, car si je reviens sur la Russie, je pense que le vrai facteur déclencheur pourrait être là, mais je pense que les mécanismes ne sont pas les mêmes que dans les années 1930.
Par contre, on retrouve un ressort commun : l'ennemi de l’intérieur. Le Juif a été remplacé par l'étranger ou/et le musulman.

Surtout, le grand changement de notre époque actuelle par rapport aux années 1930 est la mondialisation et son ampleur dans tous les domaines. Ceci est réellement nouveau et ne peut être comparé à quoi que ce soit de significativement similaire. Et comme dans tout bouleversement important, la peur de l'avenir crée la peur tout court qui profite aux populistes.
Évaluer les risques réels actuels ne veut pas dire plaquer l'histoire sur le présent, ce que certains sont tentés de faire.
L'histoire s'écrit, elle ne se recopie pas.


Oui mais je pense que tu continues de ne pas voir ce qui justement diffère dans les situations même en présence.
Il y a tout simplement moins de nationalismes expansionnistes car il y a moins de raisons aujourd'hui qu'hier du fait d'une adéquation bien plus grande entre territoire et nation aujourd'hui qu'hier.
Tout ça n'est ainsi qu'une question de situation, ou si tu préfères d'opportunités.
Peu d'Etats gouvernés par des nationalistes ont de vraies raisons nationalistes d'être expansionnistes. Et pourtant! Ce qu'on voit c'est justement un quasi sans-faute expansionniste (certes modéré par les évolutions de notre monde mais quand même). Entre l'Autriche qui décide unilatéralement de donner des passeports à tous les Sud-Tyroliens qui le voudraient, la Hongrie qui a arrosé de passeports hongrois toutes les communautés hongroises des communautés voisines (jusqu'à leur faire prêter allégeance comme ça a été le cas en Ukraine), la Russie (pas besoin de développer), on a un 100% d'Etats nationalistes qui ont une situation propice à ça qui sont précisément dans une telle logique.
Si les moyens ont changé (pour l'instant), le fond est ici bel et bien le même.

Sur ta conclusion, oui bien sûr, il n'y a jamais de redite identique. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il faut s'interdire de regarder derrière ;)

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Re: Histoire

Messagepar Leon40 » 13 Nov 2018, 07:27

Alors que foncièrement nous sommes d'accord sur l'essentiel, le malentendu entre mon pangermanisme et ton nationalisme allemand vient, je pense, de l'angle de vue adopté par chacun.
Je me place du côté des acteurs efficients du déclenchements des annexions puis de la guerre, toi du côté de ceux qui l'on certes voulu mais en subissant les événements.
C'est bien Hitler (un Autrichien) et les Nazis qui ont initier l'Anschluss et l'annexion des sudètes dans une perspective pangermaniste, il est vrai facilitée par le nationalisme allemand des populations concernées. Mais sans Hitler, l'idée d'un 3ème Reich évidement pangermaniste n'était pas une perspective partagée par tous les germanophones pour faire simple.
Le nationalisme avant d'être une idée politique est un sentiment identitaire. Le pangermanisme est avant tout un programme politique dont le socle est le sentiment identitaire. Le pangermanisme n'existe pas sans le nationalisme, ce n'est pas vrai de l'inverse.

Sur les transferts de population, j'ai l'impression (peut-être erronée) que tu fais comme si ça découle d'un libre choix des concernés. On en était quand même très loin.
Mais là où tu as raison c'est que tous ces transferts de population et cette relative homogénéisation des Etats après ça a conduit à renforcer de vrais Etats-nations là où jusqu'alors les mélanges entre communautés étaient sources de tensions du fait des velléités nationalitaires puis nationalistes.
Et j'ai l'impression que justement tu ne prends pas en considération cette différence des situations suivant les cas en question. L'Allemagne, l'Italie, la Hongrie étaient expansionnistes car leurs Etats (leurs territoires) ne recoupaient pas leurs nations. L'Espagne elle avait déjà le territoire qu'elle voulait par rapport à sa perception de la nation espagnole. Dès lors, il n'y avait juste aucune raison particulière de faire preuve d'un expansionnisme nationaliste virulent. Tout le contraire d'Etats qui considéraient que leurs territoires ne correspondaient à leurs frontières nationales.

On peut d'ailleurs poursuivre le raisonnement à aujourd'hui. On voit bien que des Etats-nations solidement constitués n'ont plus de raisons d'être expansionnistes. Par contre, par contre on voit bien que les minorités nationales et autres situations d’enchevêtrement communautaires sont les plus explosives. Prenons la Hongrie par exemple. On est fondamentalement dans de l'expansionnisme pur et simple, certes à la sauce 21ème siècle, donc par chance avec une renonciation au recours aux armes, mais on reste dans de l'expansionnisme. Les actions hongroises et plus globalement l'idéologie nationale de ce pays sont tournées directement vers la Slovaquie, la Roumanie, la Serbie et l'Ukraine. Pour la Hongrie, la situation de la population nationale n'est pas satisfaisante. (de même pour celle des territoires même si pour le coup c'est moins officiel).
Pourquoi y-a-t'il eu la guerre en Croatie, en Bosnie et en Serbie quand la Slovénie a globalement été épargnée par les combats? L'extrême hétérogénéité des populations et ainsi l'impossibilité de concilier territoire et population était le carburant du conflit (et ça l'est encore en Bosnie).
Rien de nouveau ici. Mais je ne vois donc pas comment on pourrait ici faire l'impasse quant à prendre en compte la situation dans lequel se trouve l'Etat nationaliste par rapport à son territoire et à sa population.


Non, non, au contraire je suis d'accord avec tout ça. Et c'est justement pourquoi je considère que la situation actuelle diffère de celle des années 1930.
Les nationalismes actuels sont plus proches de celui de Franco car justement populations/nations et États sont davantage homogènes dans leur localisation géographique. Et même pour la Hongrie actuelle, je pense qu'il ne faut pas exagérer la place des minorités extraterritoriales dans les raisons de la politique autoritaire d'Orban.
Le seul pays qui a une politique délibérément tournée vers une extraterritorialité du concept de nation est la Russie, d'ailleurs double :
- avec la nation russe qui regroupe tous les Russes à défendre ou à libérer en dehors de Russie (Ukraine, Moldavie, etc...)
- avec la défense d'une nation slave et orthodoxe plus large, avec le soutien par exemple à la Serbie.
Avec en plus le soutien de la Russie, pour des raisons géostratégiques, à tous les gouvernements populistes et autoritaires, celle-ci est la principal source étatique de l'instabilité européenne (et pas seulement européenne).

PS : je ne pense évidement pas que les transferts de population après la seconde guerre mondiale étaient voulus par les intéressés. Ils étaient en grande majorité subis et dans des conditions de souffrance incroyables d'où l'utilisation du terme "errer".
Cependant les souffrances "ponctuelles" des ces millions de personnes ont été, comme tu le fais remarquer, un facteur de stabilité sur le long terme. Uniquement bouleversé à la marge après l'éclatement du bloc de l'est comme en Moldavie ou en ex-yougoslavie. Dans ce dernier cas, il faudrait convoquer l'histoire de l'Empire ottoman et de la mobilité de ses frontières face à l'Empire d'Autriche-Hongrie pour comprendre qu'effectivement la Bosnie n'est pas la Slovénie... et on retombe sur nos pattes en 1914-1918 :mrgreen:

Sur ta conclusion, oui bien sûr, il n'y a jamais de redite identique. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il faut s'interdire de regarder derrière ;)

Tu prêches évidement un convaincu. Mais ce qui m'agace (et je ne parles pas toi), ce sont les raccourcis faciles utilisés par certains soit par fainéantise intellectuelle, soit dans des perspectives orientées de l'utilisation de l'histoire.
Quand tu vois par exemple Marine Le Pen convoquer l'histoire dans sa propagande pour légitimer sa politique, je dis stoppe à la manipulation... Les nationalismes se nourrissent justement de l'histoire manichéenne où la nuance n'existe pas.

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Re: Histoire

Messagepar Moko » 13 Nov 2018, 10:48

Leon40 a écrit:De toute façon il est en réalité faux d'arrêter la Première guerre mondiale le 11 novembre 1918. Si on est moins auto-centrés elle continue en Afrique (ou des Allemands se battent encore), au Moyen-Orient (où des Français se battent encore).
On pourrait presque aller en 1923 si on considère que la guerre qui met fin à l'Empire ottoman qui n'est pas qu'une affaire turque n'est que le prolongement de 1914-18


Pour certains pyrénéens la guerre s'est même prolongée jusqu'en 1958 :mrgreen:
http://www.thathistorynerd.com/2017/03/world-war-i-ended-in-1919-but-andorra.html

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Re: Histoire

Messagepar Beobachter » 13 Nov 2018, 17:35

Léon: nous sommes donc dans l'ensemble plutôt sur la même ligne ;)

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Re: Histoire

Messagepar Leon40 » 13 Nov 2018, 21:51

Si quelqu'un a accès à cet article dans son intégralité, il semble être en plein dans notre débat historique...

http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018 ... ancais.php

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Re: Histoire

Messagepar iveliosdu12 » 15 Nov 2018, 00:40

L'article

Johann Chapoutot : « L'obsession des années 1930 est un phénomène très français »

Bastié, Eugénie
page 18
LE FIGARO.- « Je suis frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l'entre-deux-guerres » a déclaré le président de la République, évoquant le « repli nationaliste » et la montée des populismes. La comparaison de notre époque avec les années 1930 vous paraît-elle pertinente d'un point de vue historique ?

Johann CHAPOUTOT. - Du point de vue des relations internationales, oui. Nous assistons de fait à un retour en force de l'unilatéralisme et à un refus de la coopération internationale, ce qui était le cas dans les années 1930. À l'époque, le refus de la coopération monétaire par les États-Unis et la dévaluation unilatérale du dollar ont eu un rôle inaugural. Or avec la présidence de Donald Trump, nous assistons indubitablement à un retour de l'unilatéralisme. On assiste également à un étonnant regain de ces régimes autoritaires qui avaient marqué les années 1930. La grande différence, c'est que les États-Unis, qui étaient une puissance déjà motrice de l'ordre international, restaient une grande démocratie, incarnée par un Roosevelt qui donnait espoir à tous les démocrates. Cependant, en ce qui concerne le ressenti des sociétés, cette comparaison me semble inopérante. Les années 1930 sont les filles directes de la Grande Guerre, qui a été une mutation anthropologique sans précédent. Quelque 80 millions de combattants, presque 20 millions de morts, ont provoqué une « brutalisation » (George L. Mosse) sans précédent. L'incitation à tuer et à être violent avait été telle que, dans les années 1930, tout message politique d'ordre à la fois militant et milicien était recevable et audible. Pour comprendre l'avènement du fascisme et du nazisme, il faut rappeler ce contexte de légitimité de la violence armée. Nous sommes bien loin de ces circonstances aujourd'hui en Europe. La comparaison avec les années 1930 apparaît trop facile, presque paresseuse, car elle ne prend pas en compte les conditions historiques. Nous ne sommes plus dans le même monde.

Certains économistes affirment eux aussi que, comme dans les années 1930, l'essor des populismes à l'heure actuelle traduit une révolte des électeurs contre les politiques d'austérité. Cette comparaison des situations économiques est-elle justifiée ?

La situation économique et sociale n'est pas vraiment comparable. Nous avons atteint une prospérité économique et un confort qui n'ont rien à voir avec la situation de l'entre-deux-guerres. Mais il est vrai qu'il y a eu, à cette période, en Europe, des politiques de rigueur qui ont nourri la crise : la « déflation » (processus de baisse des prix, des salaires et de la production, NDLR ) a été partout une erreur qui a miné le pouvoir d'achat, affaibli la consommation et découragé la production. La double leçon des années 1930 a donc été la construction d'un ordre international régulé et le consensus autour de l'État-providence. Or nous vivons une forte dérégulation internationale depuis quarante ans, dont le comportement américain actuel est le sommet. Par ailleurs, les filets de sécurité sociaux, tout comme la présence des services publics, ont été progressivement démantelés au Royaume-Uni, en Allemagne, et ils sont en train d'être attaqués en France. S'en prendre à la protection sociale et à la présence de l'État est un risque immense : la déshérence induite par la misère sociale peut en effet conduire à des réactions de colère autoritaires et particularistes.

Le premier ministre a évoqué la « nuit de cristal » , pour souligner l'augmentation des actes antisémites en France. Ce rapprochement est-il judicieux ?

La référence au nazisme est tentante mais, par l'effet de sidération qu'elle induit, elle éblouit, elle fait écran et elle empêche de voir la réalité d'aujourd'hui en faisant tonitruer hier. Un identitaire ou un djihadiste autoproclamé n'est pas un SA. On peut comparer, mais il y a une différence entre comparer et assimiler : dans un cas, on veut cerner les spécificités du phénomène actuel pour mieux le comprendre et le combattre, alors que dans l'autre, on entretien une confusion intellectuelle qui entrave l'action. Le SA de 1938 et les antisémites de 2018 n'habitent pas le même monde, ne veulent pas les mêmes choses, ne sont pas structurés mentalement de la même manière. Il y a par contre une leçon claire à tirer du nazisme : aujourd'hui comme hier, l'idéologie est une motivation importante des actes. Avant même les passages à l'acte, il ne faut rien tolérer.

Pourquoi sommes-nous si obsédés par ces années 1930 ?

Cette obsession des années 1930 est un phénomène très français. En Allemagne, on reste beaucoup plus prudent et on évite davantage les parallèles douteux. S'agissant de la France, cela tient au traumatisme encore vivace de 1940, qui est perçu comme l'aboutissement catastrophique des années 1930. Comment le pays qui était à l'époque la troisième puissance économique et le deuxième empire colonial, a-t-il pu s'effondrer en seulement six semaines ? La dissolution de l'appareil administratif à tous les échelons, l'arrivée des bottes nazies sur les Champs-Élysées, tout cela a créé un sentiment de fragilité qui nous est propre. Cela est encore visible, plus ou moins consciemment aujourd'hui, dans les discours ultrapessimistes que nous avons sur nous-mêmes, et dans l'admiration que nous vouons au « modèle allemand » dont on parle beaucoup sans le connaître.

Quelle période historique vous paraît pertinente pour la comparer à notre temps ?

Les années précédant la Première Guerre mondiale, entre 1880 et 1914, qui sont des années de grande mondialisation, d'industrialisation, d'urbanisation et de prolétarisation. C'est, en Europe de l'Ouest, l'avènement définitif de la « société » contre les communautés traditionnelles fragilisées, puis dissoutes, par la modernité. Cela suscite une grande anxiété. L'antisémitisme y répond (affaire Dreyfus), comme la xénophobie (rejet des ouvriers italiens dans le midi de la France) et la spectaculaire progression des nationalismes. De même, à l'époque, le nouveau régime économique, avec son alternance de croissance et de récession, occasionne des phénomènes de repli, moins sur les communautés traditionnelles affaiblies par la modernisation que sur les grands agrégats modernes que sont les États nations.

*Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-Sorbonne (Paris IV),

il est l'auteur de « La Loi du sang. Penser et agir en nazi » (Gallimard) et, tout récemment, de « Comprendre le nazisme » (Tallandier, 2018, 432 p., 21,90 eur).

Pour comprendre l'avènement du fascisme et du nazisme, il faut rappeler le contexte de légitimité de la violence armée à l'époque. La comparaison avec les années 1930 apparaît trop facile, presque paresseuse, car elle ne prend pas en compte les conditions historiques

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Re: Histoire

Messagepar bullomaniak » 15 Nov 2018, 01:27

Un truc pertinent sur l'Histoire dans le Figaro, keskispasse ? :shock:

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Re: Histoire

Messagepar Leon40 » 15 Nov 2018, 06:38

iveliosdu12 a écrit:L'article

Johann Chapoutot : « L'obsession des années 1930 est un phénomène très français »

Bastié, Eugénie
page 18
LE FIGARO.- « Je suis frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l'entre-deux-guerres » a déclaré le président de la République, évoquant le « repli nationaliste » et la montée des populismes. La comparaison de notre époque avec les années 1930 vous paraît-elle pertinente d'un point de vue historique ?

Johann CHAPOUTOT. - Du point de vue des relations internationales, oui. Nous assistons de fait à un retour en force de l'unilatéralisme et à un refus de la coopération internationale, ce qui était le cas dans les années 1930. À l'époque, le refus de la coopération monétaire par les États-Unis et la dévaluation unilatérale du dollar ont eu un rôle inaugural. Or avec la présidence de Donald Trump, nous assistons indubitablement à un retour de l'unilatéralisme. On assiste également à un étonnant regain de ces régimes autoritaires qui avaient marqué les années 1930. La grande différence, c'est que les États-Unis, qui étaient une puissance déjà motrice de l'ordre international, restaient une grande démocratie, incarnée par un Roosevelt qui donnait espoir à tous les démocrates. Cependant, en ce qui concerne le ressenti des sociétés, cette comparaison me semble inopérante. Les années 1930 sont les filles directes de la Grande Guerre, qui a été une mutation anthropologique sans précédent. Quelque 80 millions de combattants, presque 20 millions de morts, ont provoqué une « brutalisation » (George L. Mosse) sans précédent. L'incitation à tuer et à être violent avait été telle que, dans les années 1930, tout message politique d'ordre à la fois militant et milicien était recevable et audible. Pour comprendre l'avènement du fascisme et du nazisme, il faut rappeler ce contexte de légitimité de la violence armée. Nous sommes bien loin de ces circonstances aujourd'hui en Europe. La comparaison avec les années 1930 apparaît trop facile, presque paresseuse, car elle ne prend pas en compte les conditions historiques. Nous ne sommes plus dans le même monde.

Certains économistes affirment eux aussi que, comme dans les années 1930, l'essor des populismes à l'heure actuelle traduit une révolte des électeurs contre les politiques d'austérité. Cette comparaison des situations économiques est-elle justifiée ?

La situation économique et sociale n'est pas vraiment comparable. Nous avons atteint une prospérité économique et un confort qui n'ont rien à voir avec la situation de l'entre-deux-guerres. Mais il est vrai qu'il y a eu, à cette période, en Europe, des politiques de rigueur qui ont nourri la crise : la « déflation » (processus de baisse des prix, des salaires et de la production, NDLR ) a été partout une erreur qui a miné le pouvoir d'achat, affaibli la consommation et découragé la production. La double leçon des années 1930 a donc été la construction d'un ordre international régulé et le consensus autour de l'État-providence. Or nous vivons une forte dérégulation internationale depuis quarante ans, dont le comportement américain actuel est le sommet. Par ailleurs, les filets de sécurité sociaux, tout comme la présence des services publics, ont été progressivement démantelés au Royaume-Uni, en Allemagne, et ils sont en train d'être attaqués en France. S'en prendre à la protection sociale et à la présence de l'État est un risque immense : la déshérence induite par la misère sociale peut en effet conduire à des réactions de colère autoritaires et particularistes.

Le premier ministre a évoqué la « nuit de cristal » , pour souligner l'augmentation des actes antisémites en France. Ce rapprochement est-il judicieux ?

La référence au nazisme est tentante mais, par l'effet de sidération qu'elle induit, elle éblouit, elle fait écran et elle empêche de voir la réalité d'aujourd'hui en faisant tonitruer hier. Un identitaire ou un djihadiste autoproclamé n'est pas un SA. On peut comparer, mais il y a une différence entre comparer et assimiler : dans un cas, on veut cerner les spécificités du phénomène actuel pour mieux le comprendre et le combattre, alors que dans l'autre, on entretien une confusion intellectuelle qui entrave l'action. Le SA de 1938 et les antisémites de 2018 n'habitent pas le même monde, ne veulent pas les mêmes choses, ne sont pas structurés mentalement de la même manière. Il y a par contre une leçon claire à tirer du nazisme : aujourd'hui comme hier, l'idéologie est une motivation importante des actes. Avant même les passages à l'acte, il ne faut rien tolérer.

Pourquoi sommes-nous si obsédés par ces années 1930 ?

Cette obsession des années 1930 est un phénomène très français. En Allemagne, on reste beaucoup plus prudent et on évite davantage les parallèles douteux. S'agissant de la France, cela tient au traumatisme encore vivace de 1940, qui est perçu comme l'aboutissement catastrophique des années 1930. Comment le pays qui était à l'époque la troisième puissance économique et le deuxième empire colonial, a-t-il pu s'effondrer en seulement six semaines ? La dissolution de l'appareil administratif à tous les échelons, l'arrivée des bottes nazies sur les Champs-Élysées, tout cela a créé un sentiment de fragilité qui nous est propre. Cela est encore visible, plus ou moins consciemment aujourd'hui, dans les discours ultrapessimistes que nous avons sur nous-mêmes, et dans l'admiration que nous vouons au « modèle allemand » dont on parle beaucoup sans le connaître.

Quelle période historique vous paraît pertinente pour la comparer à notre temps ?

Les années précédant la Première Guerre mondiale, entre 1880 et 1914, qui sont des années de grande mondialisation, d'industrialisation, d'urbanisation et de prolétarisation. C'est, en Europe de l'Ouest, l'avènement définitif de la « société » contre les communautés traditionnelles fragilisées, puis dissoutes, par la modernité. Cela suscite une grande anxiété. L'antisémitisme y répond (affaire Dreyfus), comme la xénophobie (rejet des ouvriers italiens dans le midi de la France) et la spectaculaire progression des nationalismes. De même, à l'époque, le nouveau régime économique, avec son alternance de croissance et de récession, occasionne des phénomènes de repli, moins sur les communautés traditionnelles affaiblies par la modernisation que sur les grands agrégats modernes que sont les États nations.

*Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-Sorbonne (Paris IV),

il est l'auteur de « La Loi du sang. Penser et agir en nazi » (Gallimard) et, tout récemment, de « Comprendre le nazisme » (Tallandier, 2018, 432 p., 21,90 eur).

Pour comprendre l'avènement du fascisme et du nazisme, il faut rappeler le contexte de légitimité de la violence armée à l'époque. La comparaison avec les années 1930 apparaît trop facile, presque paresseuse, car elle ne prend pas en compte les conditions historiques


Merci beaucoup iveliosdu12 :ok:

bullomaniak a écrit:Un truc pertinent sur l'Histoire dans le Figaro, keskispasse ? :shock:

Ton engagement politique te fait snober des sources pourtant intéressantes. Il suffit seulement de faire un tri sélectif, tu es assez intelligent pour ça. ;)

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Re: Histoire

Messagepar Cyro » 15 Nov 2018, 08:44

La Serbie complètement reléguée au fin fond de la classe pendant les cérémonies en France apparemment.
Tellement pathétique même si pas surprenant. :diantre:

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Re: Histoire

Messagepar Alessiocortez » 15 Nov 2018, 19:51

Vraiment intéressant l'article
Je suis tout à fait d'accord sur l'idée de traumatisme provoquer par la défaite de 1940 , qui en plus intervient finalement peut de temps après la première guerre mondiale

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Re: Histoire

Messagepar Kreuziger » 26 Nov 2018, 15:50

Vous ne connaissez pas un livre traitant des femmes de 45 à nos jours ?

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Re: Histoire

Messagepar Médé33 » 26 Nov 2018, 16:48

Kreuziger a écrit:Vous ne connaissez pas un livre traitant des femmes de 45 à nos jours ?

La cuisine à travers les âges

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Re: Histoire

Messagepar Kreuziger » 26 Nov 2018, 18:48

Médé33 a écrit:
Kreuziger a écrit:Vous ne connaissez pas un livre traitant des femmes de 45 à nos jours ?

La cuisine à travers les âges

Mede enfin :mrgreen:

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Re: Histoire

Messagepar Orodreth » 26 Nov 2018, 18:51

Kreuziger a écrit:Vous ne connaissez pas un livre traitant des femmes de 45 à nos jours ?


Regarde du côté de Michelle Zancarini-Fournel. ;)

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Re: Histoire

Messagepar Kreuziger » 26 Nov 2018, 21:02

Orodreth a écrit:
Kreuziger a écrit:Vous ne connaissez pas un livre traitant des femmes de 45 à nos jours ?


Regarde du côté de Michelle Zancarini-Fournel. ;)

Je vais regarder merci :ok:

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Re: Histoire

Messagepar Kvelertak » 18 Fév 2019, 21:00

Témoignage de mon arrière grand-mère sur la 1ere guerre mondiale.

http://www.blamont.info/video/nonhigny-soustitre.mp4

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