Ce que les Allemands pensaient de la France pendant l’Occupation
Bastière, Jean-Marc
En explorant les impressions de l’occupant, l’historien Éric Alary apporte un éclairage nouveau sur cette page d’histoire.
Éternel retour des images. À l’été 40, le vainqueur allemand qui jubile, la puissance française anéantie, ses habitants assommés. Huit à dix millions de personnes éparpillées sur les routes de l’exode. Un territoire morcelé. Pendant quatre ans, des Français qui vont vivre à l’heure allemande… Film connu et revu maintes fois.
Mais comment ces événements ont-ils été vécus du côté des vainqueurs? Les occupants, en effet, vivent chez l’occupé. Ils se déplacent librement. Ils achètent ce qu’ils veulent. Ils font du tourisme militaire et s’encanaillent dans la capitale. Ils sont les maîtres du pays. L’abondance de la nourriture les émerveille. Mais ce rêve éveillé est un cauchemar pour les Français, qui, eux, ont le ventre vide. Littéralement, les Allemands dévorent le pays.
Depuis des décennies, l’historiographie a surtout braqué son projecteur sur l’État français et sur les Français sous Vichy. C’est l’autre versant de l’Occupation, une histoire allemande de celle-ci, qu’explore Éric Alary, un historien qui a travaillé notamment sur l’exode, la ligne de démarcation ou les résistants. Sa version nous oblige à décentrer notre regard. Et nous aide à mieux comprendre cette période douloureuse.
Étude des correspondances
Qu’ils fussent officiers ou simples soldats, les occupants ont aussi été des pères et des fils qui, à travers des milliers de lettres, ont exprimé leurs impressions à leurs proches. Certains ont noué des relations amicales avec la population française tandis que d’autres ont commis l’irréparable. Mais si certains ont pu aimer la France ou la haïr par idéologie, beaucoup ressentent souvent de l’étonnement, sinon de la perplexité.
Depuis les années 1990, l’étude des correspondances effectuée en Allemagne nous a ainsi beaucoup appris sur ce que pensaient les occupants des Français et des Françaises.
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En histoire, la table rase est rare. On ne part jamais de zéro. C’est année après année que la connaissance se renouvelle. Ainsi cette Nouvelle histoire de l’Occupation , grande synthèse qui intègre le savoir accumulé durant plusieurs décennies, nettoie notre regard par sa clarté et son style délié.
Dans chaque pays, les mentalités évoluent aussi, et ce qu’on ne voyait pas, ou ne voulait pas voir, apparaît soudain en pleine lumière. Pendant longtemps, les historiens ont pu facilement être accusés de complaisance à l’égard d’un ennemi coupable de tant de crimes. Aujourd’hui, la mémoire est apaisée. En tout cas, le temps a passé.
La passion du contrôle
Sous le voile légal de l’armistice, les occupants font ce qu’ils veulent. Rapidement, ils instrumentalisent le régime de Vichy et ses divisions. Et promeuvent les collaborationnistes. Même si leur bureaucratie est enchevêtrée, ils ont la passion du contrôle. L’Occupation est militaire mais aussi policière, judiciaire, économique et culturelle. C’est un appareil de domination et de terreur qui exerce sur les Français des pressions inouïes. Et se durcit de plus en plus. Jusqu’à tourner à l’obsession de piller, persécuter et déporter. Les Allemands veulent exploiter au maximum l’exceptionnel potentiel économique de la France, vassaliser la culture, s’emparer des œuvres d’art.
Contrairement à une idée courante, nous découvrons que la Wehrmacht était aussi capable d’atrocités que les SS et les agents de la Sipo-SD. Si les Allemands ne sont pas toujours violents, la méfiance reste cependant présente. Ce n’est pas parce qu’un Ernst Jünger admire la culture française qu’une indéfectible ambivalence mâtinée de défiance ne subsiste pas. S’il est souvent difficile de classer les occupants entre bons et méchants, les souffrances infligées aux occupés ont été plus terribles qu’on ne le croit parfois. Cette page d’histoire, écrite ici autrement, s’achève après le départ des derniers prisonniers de guerre allemands, en 1949, mais elle continue de nous hanter.