Je reprends mon journal de bord de l'année avec les films vus avant et après mes vacances. Certains remontent déjà à presque un mois, heureusement que j'ai pris des notes
Sorties ciné pour commencer
L’Établi (Mathias Gokalp – 2023) : J'y allais très méfiant (nouveau film français sur le travail, nouvelle déception ?) et j'ai été très agréablement surpris. D'abord parce que l'histoire est passionnante, mais elle est quand même assénée au spectateur de façon très professorale, avec une voix-off qui souligne tout, certains dialogues très écrits et informatifs. A ce compte là, j'imagine qu'il vaut mieux lire le bouquin de Linhart. Par contre, le film réussit à filmer le travail en en faisant un vrai objet de cinéma : la façon dont la lente chaîne de montage endort les salariés, les gestes répétitifs, les rapports de pouvoir, la difficulté à lancer un mouvement social et la facilité à le casser. Les travellings dans l'usine citroen sont efficaces, plus parlants que n'importe quel mot, la façon dont Gokalp arrive sans cesse à avoir plusieurs niveaux de plan dans un espace aussi restreint est vraiment intéressant (avec le personnage d'Ali, réfractaire à la grève, qui apparaît toujours en fond de plan).
Et puis, comme illustration du droit des relations collectives de travail, c'est vraiment un bel objet !
Mad God (Phil Tippett – 2023) : Un film fou qui ne fait aucune concession et aucun cadeau à ses spectateurs. Plongée dans les tréfonds de l'humanité dans un stop motion hallucinant par sa fluidité et le nombre de détails à l'écran. C'est hermétique, crade, gore, inévitablement un peu long, abscons mais ça reste une expérience à vivre.
Une très grosse réserve néanmoins : je trouve l'utilisation de scènes en live avec de vrais acteurs complètement incompréhensible. Ça dénature l'ensemble et ça donne un côté amateur qui contraste avec la maîtrise totale de l'animation.
Beau is Afraid (Ari Aster – 2023) : A la fois ravi qu'on puisse encore, dans le cinéma actuel, donner un tel budget à Ari Aster pour qu'il fasse SON film, comme il a envie de le faire, et fatigué par ces nouveaux auteurs américains qui ne peuvent pas s'empêcher de pondre des trucs interminables et "sensationnels" dès qu'on leur file un peu de pognon. J'ai trouvé ça indigeste et interminable, et c'est d'autant plus dommage que ça partait extrêmement bien avec toute la première séquence qui est hallucinante et qu'il y de très beaux moments dans le film, comme toute la scène du théâtre.
Je sais pas si ça compte comme une sortie, mais j'ajoute
Power Rangers – Toujours vers le futur (Charlie Haskell – 2023) : C'est un produit qui a été fait pour moi et les autres gosses des années 90 qui ont poncé des VHS avec des épisodes de Power Rangers enregistrés dessus. Mais ce revival est au niveau de la série originelle, c'est à dire très mauvais. Produit nostalgique fait avec les pieds qui permet de retrouver son âme d'enfant un peu débile pendant 50 minutes. Le plus incroyable, c'est que les effets numériques sont encore moins convaincants (en 2023 quand même) que les mecs en costume qui jouaient des géants ou des robots dans des décharges il y a 30 ans.
Poursuite du cycle 007 avec l'interminable segment Roger Moore qui n'arrive déjà plus à faire quoi que ce soit dans son 4e et son 5e film.
Moonraker (Lewis Gilbert – 1979) : Aussi nul que dans mes souvenirs, mais c'est tellement kitsch et mauvais que ça devient assez fun à regarder
Rien que pour vos yeux (John Glen – 1981) : Nette réévaluation par rapport à mon premier visionnage. Roger Moore joue comme un pied et on voit sa doublure de dos pendant la moitié du film, l'histoire ne décolle jamais vraiment mais j'ai trouvé que la plupart des scènes, prises individuellement, étaient plutôt réussies. Les cascadeurs se donnent à fond, il y a une variation dans les "sports" et pratiques et j'ai beaucoup aimé la scène climax qui délaisse le côté bourrin habituel pour une grosse séquence d'infiltration.
Et le reste assez éclectique avec de l'expressionnisme allemand, du nanar, du Ozu, du Campion ou encore du cinéma d'exploitation US
Les Mains d’Orlac (Robert Wiene – 1924) : Un film par l'un des grands noms de l'expressionnisme allemand qui donne ce qu'on est venu chercher : décors majestueux, lumière travaillée, maquillage et jeu appuyés. C'est très réussi formellement, très agréable à regarder, mais le scénario n'est malheureusement pas à la hauteur et l'ensemble traine en longueur.
Faust (Friedrich Wilhelm Murnau – 1926) : Si le format donne lieu à un déroulement de l'histoire de Faust un peu mécanique et simpliste, notamment sur la fin, ce que propose Murnau est fascinant visuellement, en particulier dans la première partie du film. Assez impressionnant de voir les idées brillantes qu'avaient certains génies précurseurs il y a 100 ans.
Super Mario Bros. (Annabel Jankel – 1993) : J'ai envie d'être indulgent envers ce film et, par principe, de ne pas lui mettre une note inférieur à celle que j'ai mis à la pub Nintendo sortie récemment. Ce Super Mario Bros est souvent décrit (par des gens qui ne l'ont pas vraiment vu ?) comme la "pire adaptation de jeu vidéo". C'est évidemment complètement faux quand on voit la flopée de daubes sorties fin 90 début 2000 (les Uwe Boll, Tomb Raider, Max Payne et même la série Resident Evil). Déjà parce que ce film est l'une des rares vraies "adaptations" d'un jeu qui repose essentiellement sur des mécaniques de gameplay. Faire un film Mario qui reprend tous les codes de l'univers vidéoludique n'a pas de sens ; les utiliser pour créer un film crade à mi chemin entre Roger Rabbit, Total Recall et Blade Runner m'intéresse bien plus.
Évidemment, c'est complètement raté et le résultat n'est pas bon. Mais il y a une liberté artistique et une audace dans l'adaptation, avec de vraies bonnes idées en vérité, qui seraient impossibles aujourd'hui. Et rien que pour ça.
Mais n'empêche, c'est difficile de comprendre ce que Bob Hoskins, John Leguizamo et, surtout, Dennis Hopper, sont allés faire dans cette galère !
Du rouge pour un truand (Lewis Teague – 1979) : Très belle surprise parmi les sorties du mois chez Carlotta. Premier film de Lewis Teague, visiblement méconnu chez nous au regard du nombre ridicules de notes sur ce site, ce film d'exploitation fait dans la galaxie Corman est pourtant bourré de qualités : réalisation par un monteur aguerri, scénario impeccable, en avance sur son temps, acteurs et actrices investis, multitude de genres, musique d'Horner qui signera plus tard la BO de nombreux films cultes, rythme effréné (tout tient en à peine 1h30), c'est vraiment très bon. Finalement, le film a le défaut de sa principale qualité : il est fait vite, avec peu de moyens, par un artisan, mais ce scénario, comme l'a relevé Tarantino, aurait sans doute mérité un peu plus de temps et d'argent !
Fin d’automne (Yasujiro Ozu – 1960) : Avant dernier Ozu, pas son plus connu mais c'est peut-être l'un de mes préférés. Sur la forme, Ozu a atteint un niveau de maîtrise qui permet de transformer chaque plan en tableau naturaliste, où chaque chose est à sa place et chaque visage, chaque couleur est finement mise en valeur.
Mais la vraie surprise réside dans la façon dont Ozu montre ce qu'il cachait souvent (à part peut-être dans le Voyage à Tokyo) : les grands moments, la mélancolie, souvent hors champ, sont ici au cœur du récit. Et que dire des acteurs et actrices tous excellents, attachants et touchants.
Sweetie (Jane Campion – 1989) : Pas complètement conquis par ce Campion que j'ai néanmoins trouvé très intéressant dans la diversité de thématiques qu'il brasse : mariage éteint, désir, famille dysfonctionnelle... Avec le regard très singulier de la réalisatrice, ça donne un objet digne de visionnage, d'autant que ça ne dure qu'1h30