Cyclisme - Thomas Voeckler assume l'échec des Bleus aux championnats du monde
Le sélectionneur endosse la responsabilité du revers des Bleus, qu'il dirigeait pour la première fois dans un Mondial, et estime que Julian Alaphilippe (28e) n'a pas été battu sur sa vraie valeur.
JULIAN ALAPHILIPPE
« Il peut gagner le Tour de Lombardie, sans problème »
Julian Alaphilippe était très déçu dimanche soir, à Harrogate (Yorkshire). Pour lui, pour ses collègues de l'équipe, « des potes », qui ont bossé toute la journée sans résultat au bout de ce dimanche épouvantable d'un Championnat du monde disputé dans des conditions dantesques. « Il s'en voulait, mais il n'a pas à s'en vouloir, il n'a rien réclamé, ce n'est pas un échec pour lui, il n'a pas à prendre les choses pour lui. C'est moi qui ai décidé de courir de telle façon, et lui a fait son job. Il n'a pas eu la force d'y aller au moment opportun Je sais trop bien ce qu'est le vélo pour dire après coup : ''Il n' a pas été là''. » , décryptait hier Thomas Voecker, le sélectionneur des Bleus.
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Alaphilippe : «Une journée de souffrance comme rarement»
À l'arrivée, les paupières d'Alaphilippe (28e ) étaient gonflées, il avait renoncé à porter des lunettes pendant une grande partie de la course pour mieux lire les trajectoires sous la pluie. Il la supporte mal, alors qu'il est à l'aise sous les chaleurs du Tour. En entrant sur le circuit local, le leader des Bleus a senti que le froid l'agressait et il restait 125 bornes, plus de trois heures à l'affronter. Lorsque Florian Sénéchal, son coéquipier chez Deceuninck-Quick Step, lui a soufflé que « la pluie était annoncée toute la journée », son visage s'est figé. « Il était craintif, témoigne Voeckler. La veille, ses directeurs sportifs chez Quick Step sont passés à l'hôtel lui apporter des vêtements supplémentaires. Dans les gros évènements, à Liège notamment lorsqu'il a fait très froid (23e en 2016 et 16e en 2019), ça lui a coûté. C'était le cas dimanche. »
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Le classement de la course
Alaphilippe était bien placé lorsque Mathieu Van der Poel a attaqué dans la côte à 32 kilomètres de l'arrivée. « On savait que ça allait bouger, dit Voeckler. Il était à dix mètres et il n'a pas pu y aller. Avec son punch habituel, il aurait accompagné le mouvement. Sa condition physique n'est pas en cause, il a été plombé par la météo », estime le sélectionneur des Bleus. D'ici à la fin de l'année, il disputera Milan-Turin (9 octobre) et surtout le Tour de Lombardie (12 ), un grand objectif pour lui. « Oui, il peut aller gagner le Lombardie sans problème, insiste-t-il. Il est en jambes. Après le Mondial, il n'a pas soupiré en disant qu'il lui reste deux courses et c'est fini. Je lui souhaite de gagner le Tour de Lombardie mais j'aurais préféré qu'il gagne dimanche », sourit-il.
L'ÉQUIPE DE FRANCE
« On voulait calquer notre course sur celle des Belges »
Thomas Voeckler estime que derrière le Danemark, l'échec est partagé « par toutes les nations ». Il avait répété avant la course que la France avait un plan A, pas de plan B. « Sans faire offense aux garçons présents autour de Julian, et peut-être quelques absents, je pense que l'on n'avait pas le coureur pour le suppléer. Après coup, je pense la même chose, même si le résultat escompté n'est pas là. Aller faire une place oui, ça fait peut-être bien dans son bilan, mais je cours pour gagner. Si c'est pour dire ''on s'en est bien tiré, on a fait une place'', ça je m'en fiche, on court pour gagner », insiste-t-il.
9
Cela faisait neuf ans que l'équipe de France n'était plus revenue bredouille des Championnats du monde. Depuis l'édition 2010 en Australie, ratée, les Bleus avaient toujours ramené au moins une médaille, avec un pic à quatre en 2015 (toutes chez les hommes).
À froid, Voeckler ne change pas de discours : il réitère l'absence de reproches aux Bleus car un homme du bâtiment comme lui ne critiquera pas un coureur parce qu'il lui a manqué de la force. « Il y a une seule fois où je n'étais pas content. Après vingt kilomètres, Julian a pris un trou, il avait peur que sa roue soit cassée, je lui ai dit de continuer car ça roulait trop vite pour qu'on le dépanne aussitôt. Il était tout seul. C'était une petite alerte qui n'a pas été reproduite. Après, à cause de la pluie, Florian (Sénéchal) a pu le perdre une demi-seconde, et les autres sont passés devant lui sans le voir. »
Dans sa stratégie, Voeckler avait choisi de « calquer » la course des Français « sur celle des Belges » qui avaient deux leaders, Gilbert et Van Avermaet, et un électron libre, Evenepoel, mais la chute du premier attendu par le troisième les a désorganisés. « C'était à l'entrée du circuit le moment où on a durci pour éliminer Matthews et d'autres. Dans la voiture, j'ai dit à Pierre-Yves Chatelon (le responsable des Espoirs), ''tu vas voir, certains vont dire qu'on a roulé parce que Gilbert et Evenepoel étaient derrière''. Mais non, ça nous a gênés, cela nous aurait arrangés que les Belges mouvementent la course comme ils l'avaient prévu. »
SON EXPÉRIENCE PERSONNELLE
« Je suis resté fidèle à mes principes »
De cette première expérience à la tête de l'équipe de France au Mondial, Voeckler dit que « les choses (lui) ont été facilitées car il n'y avait qu'un leader. Sur un autre parcours, où ça ne sera peut-être pas tout pour un seul coureur, je ne tiendrai pas le même discours. Là c'était relativement aisé surtout lorsque le leader fait l'unanimité. Ils étaient tous O.K. pour être derrière Julian, même s'il y a un risque à mettre tout derrière un leader. Ils l'ont très bien entouré. »
Alaphilippe était épuisé pendant la course. (F.Faugère / L'Equipe)
Il ajoute que la principale difficulté de sa tâche a été de « rester conforme à ses propres idées, car on entend tellement de choses, des pensées parasites. J'ai voulu rester fidèle à mes principes sans subir des luttes d'influence. Après je me savais exposé et cela ne me gêne pas. C'est normal d'être sur le gril quand ça ne marche pas. J'ai fait ce que j'avais envie de faire et je ne joue pas ma carrière non plus. C'était indispensable de rester concentré à l'approche de l'évènement sur ce que j'avais décidé, se remémorer pourquoi j'avais fait tel et tel choix, ne pas tout remettre en question à la dernière minute. »
L'AVENIR DES BLEUS
« Le costume n'est pas trop grand pour Julian »
Julian Alaphilippe était le leader des Bleus lors des trois dernières éditions du Mondial. Cette nouvelle déception peut-elle altérer sa confiance à l'avenir ? « Je ne pense pas que cela puisse l'atteindre, répond Voeckler. L'an dernier, sa préparation du Mondial avait été ratée. Cette fois, ce sont les conditions météo. Je suis certain qu'il n'a pas été victime de la pression. Si c'était le cas, il aurait craqué sur le Tour. Le costume n'est pas trop grand pour Julian. Cela ne veut pas dire qu'il sera à chaque fois leader. »
En 2020, la dureté des circuits aux Jeux Olympiques de Tokyo (25 juillet, six jours après l'arrivée du Tour de France) et au Championnat du monde à Martigny, en Suisse (27 septembre), favorisera les Français et remettra dans le jeu les Thibaut Pinot, Romain Bardet et Warren Barguil. « On aura besoin sur ces échéances des meilleurs grimpeurs. Et on a suffisamment de temps entre les deux pour ne pas faire deux équipes différentes. Dans ma tête, ce n'est pas ''à toi les Jeux'' et ''à vous deux le Mondial''. Je ne suis pas là pour faire plaisir et ménager les susceptibilités. »