19%, forêt, lacets, vue à couper le soufle, 19%, soufrance, 19%, raidars, rampes, 19%, tout droit, 19%
Le Grand Colombier n'est pas tout à fait un col comme les autres. Son nom résonne d'une façon particulière à l'oreille du cyclo avertit. Un parfum d'aventure. Une aura de mystère, le sommet ayant rarement l'honneur des retransmission télévisée de Juillet. Avec le retour du printemps, je m'imaginais déjà triomphant avec aise de ses deux versants les plus retors, sauf que...
-Sauf que?
-Sauf que la réalité est une biatch mec, une biatch! Bon faut bien avouer que je n'avais pas mis toute les chances de mon coté en m'employant la veille sur les redoutables pentes du mont Salève. Sans compter la balade dans Lausanne, une ville loin d'être plate.
-Ainsi que la fondue qui a suivi.
-Ah ça niveau nutrition, c'était pas optimal. Mais au moins, la Suisse étant trop orientale pour avoir découvert le cidre, j'ai évité l’alcoolisation. Cela dit, peu avant 10 heures, j'avais encore le sentiment d'être en parfaite condition quand j'ai quitté la voiture à Anglefort. Par contre j'ai fait fort ce jour là. Il m'arrive souvent d'oublier un petit truc quand je part comme ça. Mais jamais encore je n'avais oublié mes deux bidons. Quand je te dis que je n'ai pas mis tout les chance de mon coté
-On dirait presque un acte manqué. Tu te cherchais déjà des excuses en fait
-Sans commentaires. Quoi qu'il en soit, je suis partit vers Culoz sans trop tergiverser, j'avais rendez-vous avec Svam une vingtaine de minutes plus tard, pas le temps de trainer donc. La route est passé très vite ceci dit, sans même forcer j'étais à 30km/h. Quand le Tour passera ici dans quelques mois, ça va avoiner sévère. Bref, en arrivant à Culoz, je repère un Carrefour Market, source potentielle de salvation hydrique. Svam n'étant pas encore là, je cherche tout de même à me renseigner pour voir s'il n'existe pas un marchand de cycle dans la ville où je pourrais trouver des bidons. Donc j'entre dans la maison de la presse voisine de la mairie
-Et?
-Drame de la France rurale. Il y en avait un. Il a fermé. Il n'y en a plus.
Un mec serviable me suggère Belley, en glissant que c'est tout de même un peu loin
-Oui, je m'en étais rendu compte aussi
-Bon, sur ce, Svam arrive et magie de l'internet, la reconnaissance mutuelle est immédiate. J'impose l'escale à Carrefour, je peut te dire que j'ai bien l'air tarte à déambuler dans les rayons avec mes pompes à la main (oui, les cales, ça agrippe moyen sur le carrelage lisse). Il est d’ailleurs intéressant de noter que Carrefour Market commercialise les porte bidons, mais pas les bidons. Je me rabat donc sur une bouteille d'un litre que je glisserais dans le porte bidons. Dévisser le bouchon en monté n'est pas super pratique mais il faudra faire avec.
-C'est toujours plus pratique que de vouloir monter un col de plus d'1h30 sans la moindre goute d'eau.
-
-Eh, t'est un boulet, qu'est ce que j'y peux.
-J'aurais du mal à nier pour le coup, mais je te prierais de ne plus m'interrompre à tout va. En effet, nous pouvons enfin partir. Svam prévoit de monter la biche ensuite et moi le versan de Virieu donc l'objectif est de monter tranquillement le versant de Culoz
-Objectif que vous allez planter dans les grandes largeurs
-Ne m’interromps pas j'ai dit! Et puis tu spoil tout là
Bon où j'en étais? Ah oui, on entame la montée donc. Et la première rampe met dans l'ambiance. C'est tout de suite du 12-13%. Je passe direct sur le 30*28 et alors que je fait le fier auprès de Svam au sujet de mon braquet d'asthmatique, il me confesse que lui doit se contenter du 30*23 à cause d'un dérailleur facétieux. Là c'est clair, il va en chier! La pente est irrégulière et la route peu ombragée. Le coeur monte vite plus haut qu'anticipé, mais je n'y fait pas trop attention car les jambes tournent encore bien.
-Il parait que tu as même fait le kéké en passant la plaque dans un replat!
-C'était juste histoire de, on peut s'amuser un peu. Juste avant l'enchainement de lacet, je profite d'un bon point de vue pour m’arrêter prendre une photo.
-J'admet, ça donne envie. Par contre t'as des progrès à faire en photo
-... Je repars pour rattraper Svam, qui m'attend un peu plus loin dans les lacets et qui me filme au passage. Première alerte, j'ai accéléré pour revenir, mais les jambes n'ont pas très bien répondu. Il reste encore 2km avant le replat et il fait chaud. Svam commence à peiner sur les rampes les plus prononcées mais je ne suis pas à la fête non plus. Il n'est plus temps de faire le mariole, il faut contrôler son souffle, gérer l'effort, alterner la position assis et en danseuse.
-Le replat à du faire du bien.
-Oui, mais il est passé très vite. Et après, c'était le passage le plus compliqué de ce versant. 3km à 10% mais très irréguliers
-Les passages à 14% ne sont pas rare il parait?
-Ya que ça en fait
Enfin, c'est l'impression que ça donne en tout cas. C'est difficile de trouver son rythme et l'absence de virage clair n'aide pas à se repérer dans le col. Ça lui donne un coté interminable assez pénible mentalement. Svam qui doit passer les plus fort pourcentages à l'arraché commence d’ailleurs à pester. Il marque même un petit temps d'arrêt vers la fin de ce passage, j'en profite pour prendre un peu d'avance et le photographier.
-Ah ben ça va pas si mal en fait! (je parle de Svam hein, pas de tes "talents" de photographe)
-Il avait vu qu'on en avait terminé de la partie difficile, ça soulage. La suite passe d'ailleurs bien plus facilement. Le sommet approchant, je suggère de faire le dernier kilomètre à bloc.
-Ouais faut encore que tu fasse le kéké
-Pas seulement, je veux aussi savoir ce qu'il me reste dans les jambes pour décider de la suite du programme. Svam décline l'invitation et me laisse partir. Mais très vite je tape la tête dans la pente et je termine l'ascension à grand peine avec une marge assez faible sur Svam. C'est difficile de juger, mais il me semble qu'il était même en train de revenir sur moi. Je comprend à ce moment que le versant de Virieu m'est inaccessible, je n'ai plus assez de réserve pour passer les 19%.
-Tu dis ça, mais tu n'as pas pu t'en empêcher!
-Que veux tu, cette montée me fait fantasmer depuis si longtemps. Après avoir mangé un bout, et m'être reposé, je me suis dit que peut être...
-Un jour tu apprendras le sens du mot raisonnable.
-Oui, à 80 ans j'espère
En attendant, je profite de la vue en mangeant mon sandwich et me fait prendre en photo devant le panneau
-Et donc, vous repartez.
-On fait la descente ensemble avant de se séparer oui. Svam à renoncé au col de la Biche (une autre vacherie voisine) et continuera la descente sur Culoz. Descente dont le début est assez moche soit dit en passant, ça secoue pas mal, j'ai une pensée pour Pinot qui doit être content de ne pas descendre ça cette année. On croise aussi de vrais bucheron, dont un blondinet avec une crête qui lui donne une dégaine assez improbable, en train de bosser en bord de route. Le câble allant de leur engin à l'arbre en contrebas oblige à descendre de vélo
La suite de la descente se passe sans histoire et à la fontaine de Lochieu nous nous séparons après avoir refait le plein. Je termine ma portion de descente tranquillement en prenant un peu de sucre et très vite la route se cabre à nouveau.
-Le début fut plutôt simple non?
-Heureusement oui, et d’ailleurs j'en suis surpris, je pensait cette accès légèrement plus raide mais on reste tout le temps sous les 6%. J'y vais vraiment mollo mais je ne suis pas confiant pour autant.
-10km/h dans du 5% et pourtant déjà à 150bpm, il y avait de quoi s'inquiéter en effet!
-Et ça encore ce n'est rien, passé Virieu je n'ai pas du dépasser les 8km/h, et même souvent endessous. Il faut dire que très vite cela devient infernal. Si le versant de Culoz est irrégulier, celui ci est désespérément raide. Les rampes à 14% succèdent aux rampes à 12% et précèdent les rampes à 12%. Et tandis que mes forces s'amenuisent, la route se cabre de plus en plus. Je découvre même que si la vitesse est trop faible, le compteur n'est plus capable d'afficher la pente
Plusieurs fois, je manque de tomber lors de mes zigzag. Que la roue avant décolle, ou qu'elle vienne toucher la chaussure, tenir sur ma machine est devenu un défis en soit. Et là, un lacet à plat, je suis sauvé!
-Ou pas
-Je l'ai compris dés que j'ai passé le virage en voyant la rampe. J'étais devant la partie la plus dure. J'ai réussit à faire encore 200 ou 300 mètres à 15%, et puis la pente a encore augmenté et là ce n'était plus possible. Ces fameux 19%, cette pente rêvée, fantasmée m'a finalement vaincu.
-En fait tu le savais déjà depuis un bon kilomètre, tu aurais pu faire demi-tour.
-J'aurais pu, mais je ne voulais pas. Je suis têtu, j'avais décidé de monter le grand Colombier, pas question de renoncer, même une fois pied à terre. Certes, 500 mètres à marcher avec des cales dans une pente si forte, ce n'est pas une sinécure. Remonter sur le vélo quand on est vidé et que la pente ne passe pas sous les 10% n'est pas très drôle non plus. Et même après je n'en avais pas encore terminé, une dernière rampe à 15% avant la jonction de la route de Lochieu m'a obligé à m'arracher à nouveau. Le croisement était donc le lieu idéal pour une pause.
-Dis plutôt que tu n'avais pas le choix.
-Je dois avouer que j'avais repéré la table de pique-nique en descendant et que sa vision m'a soutenu dans ce kilomètre atroce. Se poser 3-4 minute pour boire et prendre un dernier gel. Récupérer mentalement et se projeter vers la fin. Ce fut cour mais fort utile. Surtout que les 2 derniers kilomètres furent à nouveau très dur. Moins que ce que je venais de passer certes, mais en étant complétement cuit, même du 10% devient problématique.
-la dernière rampe chiffre même à 14%
-Elle, je l'ai déroulé 100m par 100m. En plus avec le vent de face. Ça m'a rappelé le final du Glandon en fait
-Au moins t'as eu le temps d’apprécier le paysage!
-Même pas, je regardais que ma roue avant. Je vais te dire, j'ai plus vu les alentours quand je descendait cette route un peu plus tôt. Dans ces situation, tu te concentre sur tes sensation, ton effort, ton vélo, et le reste pff, il existe plus. T'est seul au milieu de nulle part avec ta souffrance. Ça aurait pu être le carnaval de Rio autour de moi que j'en aurais rien eu à secouer.
Au sommet j'ai quand même éprouvé une grande satisfaction. Même si j'ai échoué en partie, même si j'ai du descendre de vélo, je suis heureux de ne pas avoir choisi la solution de facilité et d'être monté jusqu'en haut. Je retenterais sans doute ce défi un jour, mais pour l'heure ce que j'ai accompli me satisfait