Je copie le texte ici :
Compte rendu de ma French Road 66, du vendredi 6/06 au dimanche 08/06, entre Compiègne et Carnon-Plage, à travers l’Oise, la Seine-et-Marne, le Loiret, le Cher, la Creuse, la Corrèze, la Dordogne, le Lot, l’Aveyron, la Lozère, le Gard et l’Hérault. Avec des sous-titres de films US pour rester dans le thème Route 66.
J'ai mis un peu de temps avant d'oser me lancer dans l'ultra. Quand je vois que certains font ça en ayant commencé le vélo il y a trois ans, je me rends compte que j'ai sans doute été trop prudent. J'espère réitérer l'expérience plus rapidement !
Avant-course
Une première expérience en ultra-distance après une inscription sur un coup de tête en octobre, une préparation sérieuse mais sans programme précis (= faire des grosses sorties quand j’ai le temps). Alors que le jour J approche, les prévisions météo sont catastrophiques : pluie et vent de face le premier jour, nuits fraiches, rafales >100km/h au sommet du Mont Aigoual… La veille du départ, la motivation est au plus bas, je refais mes sacoches 3 ou 4 fois avant de m’arrêter sur un setup trop lourd, avec beaucoup de choses qui ne serviront pas vraiment.
Départ en train de Toulouse le mercredi matin : grosse averse sur la route de la gare. Je découvre ensuite le bonheur (non) de rouler à Paris et en région parisienne, le temps de faire 80km sous la pluie jusqu’à ma chambre d’hôtes. Légère accalmie avec une soirée dans un beau jardin au soleil.
Le lendemain, je dois simplement aller chercher mon tracker et ma casquette/dossard à 10km. Vent de dos à l’aller, 34 km/h de moyenne, je mesure déjà ce qu’on va manger dans le nez le lendemain ! Sur place, je ne connais personne, je me renseigne un peu sur le niveau de la course pour essayer de me situer (impossible à faire à ce stade), je rencontre par hasard Florent, futur vainqueur – spoiler - avec qui je discute un peu. Petit tour du coin pour apercevoir le très beau château de Pierrefonds, avant de rentrer me reposer une dernier fois. Je m’endors relativement facilement vers 22h30 pour une courte nuit.
Miraculeusement, les grosses pluies annoncées vendredi matin sont tombées plus tôt dans la nuit. Les routes sont trempées mais on devrait éviter les grosses averses. La journée commence par 10km pour rejoindre le point de départ en plein cœur de la forêt de Compiègne. Environ 250 cyclistes sont réunis ici à 5h45 du matin en attendant de se disperser dans la nature (sachant qu’on a déjà perdu pas mal de monde sur les 300 inscrits). L’ambiance est bon enfant, je regarde les vélos de chacun : certains ont l’air de partir pour un mois à vélo, d’autres pour une sortie de 50 bornes avec très peu de matériel.
Jour 1 – Le vent de la plaine (John Huston)
À 6h06, le départ est donné au milieu des fumigènes et l’aventure peut enfin commencer. Le stress a totalement disparu à ce moment-là, le seul objectif est de rouler. Accessoirement, je veux quand même faire 460km vent de face le 1er jour pour rejoindre un Airbnb réservé sur la route. C’est mon tout premier ultra, je reste assez prudent sur la stratégie pendant que d’autres dormiront dans des abribus, des aires de jeux pour enfants ou des sas de banque…
Dès les premiers kilomètres, je sens que j’ai de bonnes jambes et je me retrouve rapidement dans un groupe qui roule vite. Malheureusement, nos itinéraires se séparent au bout de quelques kilomètres et je me retrouve seul dans la nature, le nez au vent et sous la pluie, au nord-est de Paris. Au bout d’un certain temps, je vois deux personnes au loin. A chaque fois que je me rapproche, je suis bloqué (camion poubelle arrêté sur un rétrécissement, feu, carrefour…). Je finis par rejoindre Florent (encore lui) et Éric. On se relaye bien sur les horribles nationales franciliennes, le vent n’est pas encore trop fort, tout va bien.
Au 100e kilomètre, Éric change de route – juste après nous avoir annoncé qu’on était en tête sur notre choix d’itinéraire – et on ne le reverra pas. On se retrouve à deux, chacun prend sa part de vent qui commence à souffler de plus en plus fort. Proche de Fontainebleau, notre départementale est bloquée par la police pour un exercice dans la forêt. Il faut improviser en urgence et on traverse le bois sur un chemin en gravel pour rejoindre une autre route. Bilan : 5km de plus au compteur, on s’en sort plutôt bien…
Après 200km, une légère différence d’itinéraire et une obligation pour moi de faire une pause pour recharger en eau nous sépare définitivement. A partir de ce moment, je serai seul pour manger du vent sur d’interminables lignes droites rendant la journée monotone. Dans la forêt avant Bourges (un peu protégé du vent là où ceux ayant choisi l’itinéraire Est avancent moins vite), le van d’Yvan me rattrape ; il m’annonce que je suis 2e. Pour une première journée en ultra, c’est une très bonne surprise et ça me motive pour avancer et limiter mes pauses. Juste après cette bonne nouvelle, je me fais attaquer par un gros chien qui surgit d’un portail ouvert mais l’évite avec pas mal de chance, je me retrouve en pleine montagne-russe émotionnelle.
Je réduis la distance régulièrement avec Florent mais fais quelques mauvais choix d’itinéraire, m’arrête prendre à manger ou à boire… Juste avant le premier et le deuxième parcours obligatoires sur la D66 de la Creuse, je suis coincé par un nouveau barrage de police : un tracteur a brûlé sur la route et on refuse que je contourne dans l’herbe (alors qu’il y a largement la place). Énervé et dépité, je suis obligé d’improviser un détour, je perds quelques précieuses minutes et arrive en 2e position au premier point de passage, avec un peu moins de 10 minutes de retard mais 45 minutes d’avance sur le 3e.
Le vent commence à se calmer, la nuit tombe, il y a enfin un peu de relief et des beaux paysages… La route jusqu’au Airbnb se passe bien, je passerai même en tête pendant quelques minutes avant de m’arrêter ! J’arrive à mon point de chute à 23h45, formidablement accueilli par Françoise qui, sachant que je traversais la France à vélo, m’a préparé un casse-croûte. C’est une belle rencontre et un moment de relâchement très appréciable mais je perds pas mal de temps sur cet arrêt. Je mange, je prends une douche, je dors 4h30, je prends un café et un petit déjeuner léger avant de repartir à 6h, non sans avoir galéré à remettre mes lentilles... À ce moment-là, je suis 15e mais sans doute beaucoup plus frais que tous ceux qui m’ont dépassé. Seuls Florent et Wilhelm semblent hors de portée, les deux ayant bien avancé pendant la nuit.
Jour 2 – Easy Rider (Dennis Hopper)
Pour la deuxième journée, je pars vers l’inconnu : il me reste 605km à parcourir et je n’ai aucun arrêt prévu. J’improviserai si besoin. Le temps est frais et je me rends compte rapidement que j’ai une douleur au genou gauche avec des symptômes proches d’un début de tendinite. C’est un peu angoissant à ce stade de la course mais ce fut peut-être un mal pour un bien car j’ai été obligé de ne pas trop forcer et de conserver un rythme « tranquille » jusqu’au bout.
Après 10km, sur les reliefs creusois et corréziens, une bruine commence à tomber. Elle se transformera petit à petit en grosse pluie qui me suivra pendant 100km, jusqu’à Tulle. Il y a meilleure façon de commencer la journée. Sur la route, je rattrape Pierre. On discute, on fait un bout de route ensemble, un rapide arrêt boulangerie à Tulle, ça réveille. Je l’abandonne peu après et continue ma route vers Brive puis vers le troisième tronçon obligatoire, sur la D66 en Dordogne. Aux différents embranchements, je réalise que j’ai déjà repris pas mal de monde. Je suis 7e, Élise est juste devant et Wilhelm, 2e, a abandonné à cause d’un pédalier cassé. Le podium est encore loin mais le top 5 se rapproche vite. La très belle D66 longe la Vézère et nous laisse apercevoir de nombreuses grottes et abri-préhistoriques. Après le tronçon, je m’arrête faire le plein d’eau. Trois randonneurs à vélo ont pitié et me nourrissent de deux pâtes de fruits et deux gâteaux Prince. Tout est bon à prendre ! En repartant, un chien décide de me suivre et m’accompagnera dans la montée pendant 3km. Il refuse de s’arrêter et court à gauche, ce qui m’oblige à stopper les voitures qui arrivent en face. Heureusement, c’est un mauvais descendeur et je le sème après la bascule.
A partir de là, j’ai tourné vers l’est et le vent est (enfin !) favorable ; hélas pas aussi fort que la veille. Je roule 10km sur une magnifique piste cyclable sur une ancienne voie ferrée ; traverse le Lot de gauche à droite jusqu’à Figeac avant de plonger vers Rodez et l’Aveyron. Étonnamment, alors qu’il me reste plus de 300km, je ne ressens ni fatigue ni lassitude, j’avance à mon rythme sans trop penser à l’arrivée. Sur la route, je constate que je dégringole au classement sur le tracker et me rends compte que mon passage en Dordogne n’a pas été validé. Après un message, l’erreur est corrigée rapidement et j’apparais 6e. Je croise la route d’Yvan qui me trouve plus frais que la veille, ça motive !
La nuit approchant, je pense à faire un stop ravitaillement dans un petit Carrefour à Decazeville, avant la fermeture. J’attrape en vitesse deux sandwichs – un pour maintenant et un pour plus tard – une part de flan dans le sac et une boisson au café pour préparer la nuit. La caissière n’a pas trop l’air de comprendre ce que je prépare à 19h avec mes sandwichs mais me souhaite bon courage. La nuit tombe après Rodez et s’annonce fraîche. Je m’arrête une dernière fois faire le plein d’eau et remettre des couches de vêtements. Je suis 5e.
Jour 3 – La Nuit des morts-vivants (George A. Romero)
À minuit passé, les 4e, 3e et 2e se rapprochent : sur le tracker, leurs points semblent même arrêtés peu avant le pied du Mont Aigoual. De mon côté, je me sens encore relativement frais et continue ma remontée.
Au pied du Mont Aigoual, j’ai l’impression que les concurrents en manque de sommeil se changent petit à petit en zombies. J’en passe deux qui dorment comme il peuvent à la fraîche. Quelques kilomètres plus loin, je vois une lumière rouge qui zigzague et se rapproche très vite. Je rejoins Juan, lui demande si ça va, il semble hésiter un peu avant de me dire qu’il était en train de s’endormir sur le vélo. On roule quelques kilomètres ensemble, le temps qu’il se réveille et je pars seul dans la montée. Devant, Florent a trop d’avance, je dois donc gérer ma place à partir de maintenant. Je suis euphorique dans la montée et n’ai aucun mal à arriver au sommet, même si la vitesse d’ascension est loin d’être spectaculaire. Je reste vigilant car le brouillard apparaît, le vent se lève et les températures baissent.
Au sommet, c’est l’apocalypse. Je suis seul ; il est 2h30 du matin ; le vent souffle à 110km/h et je ne vois pas à plus de 10m. Je descends du vélo que je tiens à deux mains. Le vent fait un bruit assourdissant sur les structures métalliques environnantes pendant que je cherche à tâtons le CP 1, passage à valider obligatoirement avant de descendre. Je finis par trouver le point de départ du GR66 et repars, toujours à pied. Au moment où je décide d’enfourcher à nouveau, une rafale emporte le vélo et moi avec. Je ne comprends pas comment je réussis à rester debout mais je prends un violent retour de pédale dans le tibia qui saigne et gonfle instantanément.
Il fait alors 6° et la descente s’annonce compliquée, a fortiori en ayant choisi de prendre l’itinéraire le plus direct mais aussi le plus dangereux, par le col de la Lusette. Je ne pensais pas que le moment le plus difficile sur un ultra de plus de 1000km serait une descente, mais j’aurais volontiers monté un 2e Mont Aigoual pour éviter celle-là ! La lampe éclaire une route minuscule et sinueuse avec des ravins ; des lapins se jettent sous les phares et il faut les éviter de justesse… A ce moment là, je suis bien content d’avoir changé les plaquettes et fait la purge des freins avant le départ !
En bas, la pression est retombée mais j’ai froid et j’ai les mains et les bras tétanisés. Sauf catastrophe, la place est acquise mais il faut encore rouler 90km qui seront assez pénibles avec les premières irritations au niveau de la selle. Le jour se lève, le CP2 est validé à Saint-Guilhem le Désert (coin magnifique) et je trace ma route jusqu’à Montpellier et Carnon Plage à la 2e place.
Bilan : 1 070km et 10 000m de D+ en 50h et 10’, pauses comprises (léger regret de ne pas être passé sous cette barre)
Journée récup à Carnon avec les amis venus pour l’occasion et en accueillant les autres coureurs. J’ai les genoux en vrac (même s’ils ont miraculeusement tenu jusqu’au bout), les lèvres qui s’assèchent et des cloques qui se forment dans la bouche à cause d’une déshydratation sévère. Après un verre avec les autres concurrents arriver pour débriefer, je remonte sur le vélo pour rejoindre la gare et rentrer à la maison avec des souvenirs plein la tête et un gros déficit de sommeil : 45h sans dormir dont 620km à vélo au moment d’aller se coucher. Le retour au travail est dur et la productivité minimale le lundi, alors que je continue à suivre de loin les petits points qui passent encore au Mont Aigoual en direction de Carnon.