Gino Bartali et Fausto Coppi

Écrit le par dans la catégorie Histoire, Les forçats de la route.

Le Tour de France 2024 s’élance pour la première fois d’Italie. C’est l’occasion pour revenir sur quelques passages de la Grande Boucle de l’autre côté des Alpes.

Le tout premier passage du Tour de France en Italie remonte à 1906. Le tracé initial, ambitieux, voulait faire passer la course par la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et l’Espagne, pour finalement éviter les deux premiers pays et se contenter d’aller jusqu’aux postes-frontières des pays suivants. C’est pour cela que l’étape de Nice à Marseille prend la direction de l’est en début de journée. Les coureurs vont au premier point de contrôle au poste de douane du pont Saint-Louis, avant de rebrousser chemin et de retourner sur Nice en passant par La Turbie, puis allant à Cannes et Toulon dans une étape de près de 300 kilomètres. Il n’y a donc pas à rouler jusque Vintimille, comme c’était initialement pensé, mais à signer pour attester sa présence en course, et justifier qu’on suit bien le parcours, sur la frontière, pour un point de passage infime à la limite entre les deux pays. La longue élimination de l’arrière, habituelle de ces années là, a déjà commencé au passage très matinal, le départ ayant été donné à 5 heures. C’est le plus vent que le passage par La Turbie et l’Estérel qui feront la sélection ensuite, pour la victoire de Georges Passerieu devant le leader René Pottier, lui reprenant un point, le classement général étant alors fait à l’addition des places, qui restera dominé par ce dernier jusqu’au Parc des Princes.

Carte prévisionnelle du Tour de France 1906

Carte prévisionnelle du Tour de France 1906, avec les passages à l’étranger tels qu’initialement prévus

 

En 1948, le Tour s’arrête pour la première fois en Italie, à Sanremo. Il y fait à nouveau halte en 1949, dans un Tour marqué par les Italiens. Fiorenzo Magni a été une semaine en jaune depuis les Pyrénées et une étape s’élançant de San Sebastian, pour le premier arrêt Espagnol. Entre Cannes et Briançon, le tenant du titre Gino Bartali s’impose et prend le maillot jaune après une échappée magique aux côtés de Fausto Coppi.  L’étape va alors traverser la frontière au milieu des Alpes, une première fois à Montgenèvre, une seconde au Mont-Cenis avant d’aller gravir l’Iseran, pour revenir en Italie après le Petit-Saint-Bernard. Cette escapade n’est pas sans rappeler celle faite un mois plus tôt par Fausto Coppi sur le Giro, entre Cuneo et Pinerolo par la France via Larche, Vars, l’Izoard, déjà Montgenèvre, puis Sestriere, s’isolant dès le premier col pour gagner avec 12 minutes d’avance sur Gino Bartali et 19 sur les suivants. Sur le Tour, le départ est plus calme, avec un peloton des favoris groupé à Montgenèvre, où Gino Bartali prend les bonifications. Des attaques ont lieu vers le Mont-Cenis et des cassures ont lieu dans l’Iseran, mais la course d’équipe prévaut côté Italien, avec Fausto Coppi roulant pour Gino Bartali, jusqu’à ce que les deux se retrouvent sans rival dans le Petit-Saint-Bernard, comme ils l’avaient fait la veille. Le destin viendra changer la donne dans la descente, avec une crevaison, puis une chute du maillot jaune. La trentaine de kilomètre en faux-plat descendant vers l’arrivée à Aoste permet à Fausto Coppi de mettre en avant ses talents de rouleur. Il se donne à fond et gagne avec 5 minutes d’avance sur son compatriote et 10 sur le premier groupe de poursuite. Il s’empare ainsi du maillot jaune qu’il gardera jusqu’au bout, remportant son premier Tour de France.

Fausto Coppi et Gino Bartali

Fausto Coppi et Gino Bartali, en tête de la course dans le col du Petit-Saint-Bernard en 1949.

 

L’abandon collectif des Italien entraîne la suppression de l’étape de Sanremo en 1950 et le Tour évite l’Italie en 1951, mais il y revient en 1952, pour la première arrivée en altitude dans les Alpes Italiennes. Deux jours plus tôt, le Tour de France connaissait sa première arrivée au sommet, avec 250 kilomètres plats précédent la première montée de L’Alpe d’Huez, où Fausto Coppi s’impose et prend le maillot jaune. Après une journée de repos, c’est un tracé bien plus montagneux qui attend les coureurs pour la deuxième arrivée au sommet de l’histoire du Tour, avec la Croix-de-Fer, le Télégraphe, le Galibier, Montgenèvre, puis la montée vers Sestriere, avec plus de 4500 mètres de dénivelé sur une distance de 182 kilomètres assez courte pour l’époque, permettant un départ de 10h30, là où ils sont d’habitude entre 7h et 9h. Alors que les suiveurs se plaignaient de l’attentisme des coureurs la veille, Fausto Coppi est déjà seul en tête à la Croix-de-Fer. Rejoint dans la descente, il laisse des coureurs attaquer dans la vallée de la Maurienne, pour les reprendre vers le Galibier où il compte déjà plus de 2 minutes d’avance. Il y en aura plus de 4 à Montgenèvre et 7 sur la ligne d’arrivée. Son avance au classement général est alors de près de 20 minutes. Elle montera à 28’17’’ à Paris, l’écart le plus important de l’après-guerre.

Sélection de vidéos du Tour de France 1952 par l’INA, dont la fameuse étape citée ci-dessus.

 

Le Tour est ensuite repassé plusieurs fois par l’Italie, mais il faut attendre quarante ans pour y retrouver une étape dantesque. Les propriétés chiffrées de cette étape évoquent plus le temps des pionniers que l’époque moderne, avec plus de 250 kilomètres via Megève, les Saisies, le Cormet de Roselend, l’Iseran, le Mont-Cenis et une arrivée à Sestriere. Cette étape sera marquée par une autre échappée légendaire. Il n’est cependant pas ici question de maillot jaune, mais des pois rouge du meilleur grimpeur. Passant en tête des Saisies dans un peloton groupé, Claudio Chiappucci rejoint une offensive s’organisant dans la descente. Le groupe de onze passe à huit vers Roselend, puis à deux peu après Val d’Isère, avant que Richard Virenque craque. Il reste alors 125 kilomètres jusqu’à la ligne d’arrivée. Virtuel leader du classement général à l’approche de la frontière Italienne, Miguel Indurain fera le nécessaire pour limiter l’écart et être celui qui dépossède Pascal Lino du maillot jaune sur la ligne d’arrivée. Néanmoins, il reste à près de 2 minutes de Claudio Chiappucci sur les hauteurs de Sestriere. Son échappée ne s’est jamais terminée, ayant passé la moitié de l’étape seul à l’avant.  Claudio Chiappucci sera deuxième du classement général à Paris, derrière Miguel Indurain, auteur d’un doublé Giro-Tour. Il remportera son second maillot à pois consécutif cette année-là, notamment grâce à cette échappée lui apportant 150 des 410 points qu’il a cumulés cette année là. Il s’agit de la dernière victoire Italienne en Italie pendant le Tour de France.

Lien vers le site de l’INA où sont visibles les deux derniers kilomètres du direct de l’étape sur Antenne 2

Après de nouveau Sestriere en 1996 et 1999, puis Prato Nevoso en 2008, la dernière escale du Tour en Italie était Pinerolo en 2011. On entre alors véritablement dans les Alpes via les inévitables Montgenèvre et Sestriere, avec l’ajout de la côte de Pramartino dans le final, avec sa route technique et étroite. Si l’étape revient aux baroudeurs, avec un groupe lancé après une première heure où plus de 51 kilomètres ont été parcourus, avec la belle montée d’Edvald Boasson Hagen, c’est la lutte au classement général qui concentre les regards. Il n’y a alors que 4 secondes entre Cadel Evans et Fränk Schleck, avec ensuite Andy Schleck, Samuel Sanchez, Alberto Contador et Ivan Basso moins de deux minutes plus loin. Les deux Espagnols tentent leur chance, mais sont repris dans le final. Côté maillot jaune, Thomas Voeckler est toujours leader après le temps gagné dans le Massif Central. Se sentant pousser des ailes, il prend des risques dans la descente, mais se fait peur, manquant la chute de peu. Il perd une trentaine de secondes dans l’affaire. Il reconnaîtra de lui-même n’avoir jamais reconnu la descente auparavant, en raison  d’un calendrier chargé qui l’avait notamment vu gagner des étapes de Paris-Nice et du Tour du Trentin, en Coupe de France, à Cassel avec le général aux 4 Jours de Dunkerque ainsi que de finir dans le top 10 du Critérium du Dauphiné. S’il conserve héroïquement le jaune le lendemain au Galibier, il le perd à L’Alpe d’Huez pour terminer le Tour au pied du podium, à un peu plus de 3 minutes de Cadel Evans.

Résumé de l’étape sur la chaîne DailyMotion du Tour de France.

 

Liste des vainqueurs d’étape du Tour de France en Italie :

  • 1948 à Sanremo : Gino Sciardis (Italie)
  • 1949 à Aoste : Fausto Coppi (Italie)
  • 1952 à Sestriere : Fausto Coppi (Italie)
  • 1956 à Turin : Nino Defilippis (Italie)
  • 1959 à Aoste : Ercole Baldini (Italie)
  • 1961 à Turin : Guy Ignolin (France)
  • 1966 à Turin : Franco Bitossi (Italie)
  • 1992 à Sestriere : Claudio Chiappucci (Italie)
  • 1996 à Sestriere : Bjarne Riis (Danemark)
  • 1999 à Sestriere : non-attribué après le déclassement de Lance Armstrong
  • 2008 à Prato Nevoso : Simon Gerrans (Australie)
  • 2011 à Pinerolo : Edvald Boasson Hagen (Norvège)
  • 2024 à Rimini, Bologne et Turin : à déterminer très prochainement

par Geoffrey L. (darth-minardi)

 

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