Jean-François Supié, auteur de "Thibaut PInot, le dernier des romantiques"

Écrit le par dans la catégorie Interviews, Les forçats de la route, Non classé.

Lors du Tour d’Émilie samedi dernier, Thibaut Pinot a entamé sa dernière semaine italienne, qui le mènera jusqu’au Tour de Lombardie le 7 octobre, pour son dernier dossard. À l’arrivée de sa course de cœur, il prendra sa retraite de coureur professionnel. Entretien avec Jean-François Supié, auteur de Thibaut Pinot, le dernier des romantiques, paru le 13 septembre aux éditions Kennes, récit de la carrière et analyse des facettes de ce coureur tant aimé.

Dans ce livre, vous vous adressez régulièrement au lecteur. Est-ce un choix qui s’est imposé par la dimension affective du sujet ?

C’est un peu mon style, j’ai toujours fait comme ça dans mes précédents livres. J’aime bien raconter des histoires, c’est ce qui m’intéresse. Dans mon livre sur le Tour de France dans les années 1930, je raconte plein de belles histoires, plus ou moins connues, mais que j’ai essayé d’approfondir, comme le sacrifice de René Vietto en 1934. J’ai fouillé les archives pour arriver à trouver des choses qui n’avaient pas été dites, parfois même le journal L’Auto de l’époque n’est pas tout à fait exact sur les faits, c’est assez étonnant ! Donc je suis un raconteur d’histoires, j’imagine que j’ai le lecteur à côté de moi, c’est vrai, c’est un peu un travail d’historien, sur archives, recouper, synthétiser, ressortir certaines choses. J’ai voulu approfondir, que ce soit toutes ses victoires ou ses revers, ses coups durs, ses maladies, ses chutes. Pour le Mondial d’Innsbruck, par exemple, je suis allé assez loin dans les recherches. Il a été un protagoniste, je pense que quelque part, il doit se dire parfois « tiens, j’aurais peut-être pu être champion du monde cette année-là ». Il n’était pas dans le schéma de Cyrille Guimard, il a fait son boulot tel qu’il lui était demandé, c’était normal de mettre Alaphilippe comme leader dans ce contexte-là, mais bon, il doit regretter un petit peu… Avec ce livre, j’ai essayé d’aller un peu plus loin, comme vous le savez, c’est quand même assez difficile de surprendre les fans de Thibaut Pinot qui connaissent pratiquement tout sur sa carrière…

Qu’avez-vous découvert ? Et qu’est-ce que ses fans les plus assidus trouveront, qu’ils ne connaissent pas déjà ?

Une dimension que je ne soupçonnais pas, parce que c’est un personnage qui est difficilement accessible, c’est vraiment une personnalité, ce n’est pas rien Thibaut Pinot, c’est plus qu’un coureur cycliste ! Il y a cet aspect un peu secret, je ne l’imaginais peut-être pas aussi centré sur Melisey, sur ses animaux, sur tout ce dont on parle comme ça, bien sûr, mais je pense que pour lui, c’est quelque chose qui est vraiment important, les copains, le style de vie… Ce que j’ai aussi appris, c’est qu’il est un peu étonné de tout ce qui lui est arrivé. « Notre famille n’était pas préparée à tout ça », raconte son frère Julien, ça leur est un peu tombé dessus. Tout ça a pris des proportions phénoménales auxquelles personne ne s’attendait dans l’entourage familial, ça ne m’a pas surpris, mais je l’ai appris et le raconte avec plus de détails. 

Pour ses fans, ce que j’ai essayé de faire ressortir, c’est cet aspect affectif, j’ai tenté aussi de trouver des petits détails qui ne sont pas forcément connus. Comment il aborde des compétitions, quels objectifs, le rôle de ses coéquipiers, qu’il essaie de mettre en valeur sans arrêt, au-delà même de la course, ce sont vraiment des amis proches, comme Arthur Vichot, comme William Bonnet, qui ont fait énormément pour lui. Il a un charisme, il a quelque chose, une sorte de magnétisme, les gars ont envie de se défoncer pour lui, même si en retour, il n’y a pas toujours eu des super résultats, mais malgré tout, ils y reviennent, ils ne sont pas déçus. On le voit dans ses relations avec Marc Madiot aussi, c’est assez étonnant, quand il pleure au Markstein, n’arrive pas à parler… Rien qu’à l’évoquer, j’ai presque envie de chialer.

Vous entrecoupez justement votre récit de témoignages détaillés de ses proches coéquipiers, de son staff, de fans aussi. Laisser un vrai espace à chacun, c’était pour illustrer ces différents attachements de manière plus étayée que les confidences disséminées dans le livre ?

C’était important, oui. Les gens qui témoignent de ce qu’ils ont vécu avec Thibaut, ses principaux coéquipiers… Les paroles de fans, c’est un peu inhabituel dans un livre, il y a des témoignages assez sympas, dont celui de ce comédien, Julien Sigalas, que j’ai vu sur scène d’ailleurs, il a fait une pièce qui s’appelle Le Vélo de Course, c’est marrant, qui s’inspire un peu de la vie de Thibaut Pinot, parce qu’il était fan.

Pinot est à la fois transparent, direct, entier, tout le monde s’accorde là-dessus, mais également assez secret. Diriez-vous qu’il y a une forme de mystère, ou au moins un paradoxe Pinot ?

Oui, il y a quand même un petit mystère, je l’évoque dans l’avant-propos, « vous percerez peut-être le mystère de Thibaut Pinot, vous entrerez dans l’intimité de ses réussites et de ses échecs. Et vous l’aimerez, sans doute, davantage. C’est l’objectif de ce livre ». Mais le mystère, je dirais qu’il est plus dans le scénario de sa carrière que dans le personnage en lui-même. Le personnage, lui, est cash, mais il entretient quand même toujours un peu le doute, comme actuellement d’ailleurs, il ne communique pas tellement dans cette phase finale de sa carrière, il est très discret, son entourage aussi. Mais c’est vrai qu’il a toujours été lui-même, au micro, même en course, trop peut-être même, avec ce côté romantique, dur à gérer parfois, comme l’évoque Marc Madiot qui dit « heureusement que je n’en ai pas dix comme ça »…

Parlons regrets. Tout le monde cite évidemment le Tour 2019… Au-delà de cet épisode emblématique, est-ce-qu’en retraçant sa carrière, vous en retenez d’autres ? N’avoir jamais brillé sur le Ventoux, contrairement à d’autres ascensions mythiques ? Les championnats du monde d’Innsbruck… ou Martigny ? Avoir été aspiré par Tour de France, au détriment peut-être d’un Giro ou une Vuelta à son palmarès ? Ou bien considérez-vous qu’il ne faut pas avoir de regrets ?

Non, je pense qu’il n’a rien à regretter, parce qu’il a fait les choix à un instant t à chaque fois. Après, il a souvent dit regretter d’être revenu aussi tard au Tour d’Italie, une épreuve qui lui convenait bien, il aurait certainement préféré y venir un peu plus tôt. En 2013, par exemple, il aurait pu jouer la carte du Giro, plutôt que de se mettre une pression énorme sur le Tour de France. Il a aussi payé pour apprendre. Il aurait sans doute aimé aussi porter le maillot de champion de France en ligne, même s’il l’a été contre-la-montre…

N’est-ce pas difficile d’écrire un livre sur Thibault Pinot en restant détaché de son sujet ? Il ne laisse personne indifférent, toute l’affection qu’il charrie vous a aussi contaminé, forcément…

Oui, mais au contraire, ça permet d’alimenter l’envie d’écrire ! J’y ai pris beaucoup de plaisir, et quand j’ai mis le point final, j’ai eu comme un regret. Je me suis dit « M…, t’as fini quoi ». C’est aussi pour ça que j’ai fait cet épilogue un peu personnel.

Vous y confiez qu’au fond, votre attachement remonte à l’enfance, à votre élan pour Luis Ocaña à 14 ans. Pensez-vous que Pinot aura un héritier, qu’un garçon de 14 ans aujourd’hui s’entichera un jour d’un successeur ? N’appartient-il pas à un monde bientôt révolu, à un cyclisme qui n’existera plus ?

Sans doute, oui, il y en a plein, des petits… Et oui, le cyclisme a beaucoup changé, mais ce sport entretient sa propre légende, même aujourd’hui avec des coureurs formatés, dans un cadre très précis. On a encore des coureurs qui arrivent à casser la baraque et nous faire rêver, comme Mathieu Van der Poel. 

Et un Français ?

On espère naturellement le successeur de Bernard Hinault… On peut avoir des regrets, si on parle de Bardet et Pinot, il y avait une petite fenêtre pour eux, au tournant des années 2014-2019, c’est dommage, il n’a pas manqué grand-chose pour qu’ils s’y infiltrent. Le cyclisme français va être un peu orphelin, mais malgré tout, c’est quand même sympa de constater qu’il y a des coureurs français qui reprennent le flambeau à chaque fois, même si on n’est plus dans le cyclisme des années 60-70, où il y avait quatre ou cinq nations qui fournissaient des coureurs au peloton professionnel. Maintenant, avec un cyclisme mondialisé, une concurrence accrue, de très gros moyens engagés par certaines équipes, c’est beaucoup plus difficile d’exister. Et réussir à exister en gagnant une étape, en faisant un podium du Tour, en gagnant une classique, ce sont déjà de très bons résultats !

Thibaut Pinot, le dernier des romantiques, Jean-François Supié (préface d’Alexandre Pasteur), éditions Kennes, 228 pages, 24,90€

Partagez
Venez lire les derniers articles des rédacteurs du Gruppetto et profitez-en pour donner votre avis sur les sujets évoqués dans ces articles.

Modérateur: Animateurs cyclisme pro