Écrit le par dans la catégorie Courses, Histoire, Les forçats de la route.

Surnommée la « classique des feuilles mortes », Paris-Tours n’a pas toujours connu ce paysage automnal de début octobre. Il y a cent ans, alors disputée mi-avril, la course avait connu des conditions météo terribles, pour l’une des éditions les plus dures de son histoire.

En 1921, Paris-Tours est encoure une toute jeune course. Comme beaucoup d’autres épreuves de son époque, elle n’est pas disputée à semaine fixe comme les courses le sont aujourd’hui. Elle s’est ainsi promenée de mars à septembre en passant par mai et juin. Elle se stabilisera ensuite comme une des courses printanières entre fin avril et début mai jusqu’à 1950, avant d’être amenée à début octobre en 1951 pour ne plus quitter cette position en fin de saison depuis.

La course est donc jeune, mais le journal L’Auto la considère déjà comme une des courses « classiques », mettant en avant 16 ans d’existence et une 14ème édition, seulement avec une coupure due à la guerre, mettant ainsi en avant une continuité dans son existence, comme pour sacraliser sa présence dans le calendrier, oubliant volontairement au passage deux éditions plus précoces, dont pourtant une organisée par le journal même d’Henri Desgrange.

En décrivant le parcours dans ses colonnes, le patron du Tour de France et ses équipes mettent en avant le « nouveau » parcours à l’œuvre depuis 1919. Mettant de côté les plaines de la Beauce et la descente dans la vallée de la Loire ce tracé est allongé en allant d’abord au plus court via Vendôme, pour ensuite faire un détour par Bourgueil et Chinon avant de remonter la vallée de la Loire. À noter qu’on terminait déjà dans l’Avenue de Grammont, mais à l’autre extrémité, sur le vélodrome de la ville, qui disparaîtra dans les années 1960.

Ce sont ainsi 342 kilomètres que doivent affronter les 64 partants, sur 70 à 75 annoncés à partir de 85 inscrits initiaux. Mais plutôt que partants et non-partants, on les listes sous les terminologies de l’époque, à savoir « poinçonnés », dont le vélo a été marqué pour s’assurer qu’il ne soit pas changé pendant la course et les « abstentionnistes » qui n’ont pas pris le départ pour diverses raisons. Cependant, la victoire ne pourra pas échapper à un des 33 coureurs alignés par le consortium « La Sportive », regroupant les meilleurs routiers Français et Belges, dans une entente entre les divers constructeurs, dans la continuité de l’union nationale due à la Première Guerre Mondiale encore toute récente.

Si on évoquait l’édition caniculaire ouvrant ce nouveau parcours dans les colonnes du journal L’Auto, ce Paris-Tours 1921 sera son radical opposé. En effet, la pluie et les giboulées animent la soirée de préparation de l’épreuve. Le temps exécrable continue durant la nuit du départ, les coureurs s’élançant de Suresnes aux alentours de 4 heures du matin. Cependant, un répit semble être présent avec un temps clément, malgré le froid, qui permet de lancer officiellement la course dès Saint-Cloud à 4 heures 15 précises.

Par la suite, le froid gênera l’avancée des coureurs. S’il était de coutume d’avancer progressivement de nuit et d’attendre le jour pour lancer la course (il était très mal vu de courir autrement), dès Saint-Arnould, encore en Île-de-France, alors qu’il n’est pas encore 6 heures du matin, le peloton de tête ne compte plus que 8 coureurs. Les frères Pélissier mènent la course. Plusieurs grands noms, tels Jean Alavoine (deux titres de champion de France et trois podiums du Tour de France en attendant un quatrième à venir, avant et après la guerre, mais aussi un podium du Giro) sont distancés.

Si le jour est techniquement là depuis une heure, les coureurs ne s’en aperçoivent pas vraiment dans la traversée de Chartres. Dans une course encore bien matinale, la plupart des coureurs s’arrêtent, alors que la neige fait son apparition. Les conditions sont telles que plusieurs coureurs décident d’arrêter la course. Y compris le grand Firmin Lambot, vainqueur du rude Tour de France 1919.

Vers Vendôme, c’est une véritable tempête de neige que doivent affronter les coureurs. Le retard sur l’horaire prévu s’accumule. Malgré cela, une large foule vient applaudir Francis Pélissier, désormais seul en tête. Le Vieux Gaulois Eugène Christophe, à la réputation déjà légendaire, se présente avec un retard de 5 minutes. Ils ne sont alors déjà plus que six à se tenir en moins d’une heure.

La une du « Miroir des Sports », photographie prise durant la chute de neige.

Un peu plus loin, Henri Pélissier, alors en tête, abandonne à son tour. La légende veut qu’il ait discuté avec son frère Francis au ravitaillement de Châteaudun, d’où il n’est pas reparti. Celui qui remportera le Tour de France deux ans plus tard aurait avancé à son cadet une fatigue avancée, lui expliquant qu’ayant un avenir, c’était à lui d’aller au bout pour remporter cette course.

Les regroupements et les cassures vont alors être nombreux au gré de la température et des arrêts de chacuns. Un quatuor finit par se dégager nettement. On y retrouve le premier maillot jaune de l’histoire Eugène Christophe, habitué des randonnées cyclo-pédestres (ancien nom des cyclocross) et des conditions rudes. C’était déjà lui qui avait gagné l’épique Milan-Sanremo 1910. Francis Pélissier est le seul autre Français. Encore dans l’ombre de son frère Henri, son palmarès au plus haut niveau se limite à l’étape de Brest dans le Tour de France deux ans plus tôt, même s’il vient de terminer 2ème de Paris-Roubaix, seulement devancé par son frère. Avec eux, deux Belges : le Wallon Louis Mottiat, porteur du maillot jaune, vainqueur de Bordeaux-Paris, de Paris-Bruxelles et du Tour de Belgique, et le Flamand Albert Dejonghe, qui a connu les podiums dans le Tour de Belgique, le Tour des Flandres et Bordeaux-Paris et qui remportera Paris-Roubaix l’année suivante.

En se rapprochant de Tours, la pluie succède à la neige, mais la plupart des coureurs ne sont plus en course. Beaucoup ont arrêté aux contrôles ou aux ravitaillements. D’autres ont pris refuge dans des fermes le long du parcours, complètement frigorifiés. Dans le quatuor de tête, Dejonghe est le premier à lâcher prise. La différence se fera définitivement dans les côtes à la sortie de Chinon. On vante les capacités de Francis Pélissier à les passer en danseuse, alors qu’épuisé, Louis Mottiat devra en passer certaines à pied.

Arrivant esseulé à Tours, Francis Pélissier peut savourer sa grande victoire dans les trois tours de piste du vélodrome à parcourir. Il sera quelques semaines plus tard champion de France et remportera ensuite d’autres titres, deux Bordeaux-Paris et un GP Wolber, championnat du monde officieux avant que l’UCI n’en organise un pour les coureurs professionnels.

Louis Mottiat se présente ensuite sur la piste et résiste pour quelques secondes à Eugène Christophe dans un beau duel pour la place de dauphin. Au pied du podium, Albert Dejonghe se console par la prime du coureur ayant accompli les trois tours de piste en le moins de temps.

Ils étaient attendus aux alentours de 16 h 40, mais il est plus de 19 heures quand ces quatre coureurs franchissent la ligne d’arrivée. Les autres arriveront jusque dans la nuit. Ils ne sont que dix à en terminer, dont seulement huit classés, deux coureurs ayant coupé le parcours pour en terminer plus vite.

Le classement final :
1. Francis Pélissier (Fra) en 14 h 56’20 »
2. Louis Mottiat (Bel) à 1’32 »
3. Eugène Christophe (Fra) à 1’40 »
4. Albert Dejonghe (Bel) à 9’10 »
5. Fernand Moulet (Fra) à 58’40 »
6. Louis Heusghem (Bel) à 1 h 04’40 »
7. Joseph Muller (Fra) à 2 h 44’00 »
8. Pierre Herbette (Fra) à 4 h 21’00 »

Les deux derniers coureurs sont hors-délais, mais ont été repêchés en raison des conditions climatiques exceptionnelles.

Moyenne horaire du vainqueur : 22,89 km/h

par Geoffrey L. (darth-minardi)

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Re: Il y a cent ans, un Paris-Tours contre les éléments

Messagepar Breizh Arzh » 10 Oct 2021, 13:26

Superbe évocation.
Si tu permets, petit supplément extrait de Miroir du cyclisme N°11 octobre 61:

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