Sauf catastrophe, le grand vainqueur du Tour de France 2021 sera également consacré lauréat du classement de la montagne pour la deuxième année consécutive. Voilà plusieurs éditions que le très populaire maillot blanc à pois rouges est disputé – sans vraiment l’être – par les ténors du classement général. Une volonté des organisateurs de la Grande Boucle qui rappelle l’identité contrariée d’un paletot dont on ne sait guère à qui il appartient.
On peut triompher au Col de Portet, remettre ça à Luz Ardiden, être sacré roi du Tour et de la haute montagne, et admettre sa culpabilité. L’accusé est lui-même passé aux aveux : il n’a pas cherché à remporter le classement de la montagne. C’est pourtant bien sur les frêles épaules de Tadej Pogačar qu’a échu l’accoutrement le plus célébré par le public des cols.
Il n’en fallait pas plus pour s’interroger – encore – sur l’avenir d’un maillot jadis tant désiré, et qui peine aujourd’hui à se montrer à la hauteur de son prestige passé. Les questionnements sur la distribution des points attribués au classement de la montagne ne datent effectivement pas d’hier.
Le grimpeur ailé, ambassadeur dépassé
Le cyclisme oppose régulièrement la figure de l’escaladeur qui se dresse avec aisance sur ses pédales dès que la pente se raidit à celle du coureur complet et régulier, présent en toutes circonstances. Van Impe contre Merckx, Herrera contre Hinault, Chiappucci contre Indurain : les exemples ne manquent pas pour illustrer cette confrontation des genres. Et quelle image plus séduisante à proposer au public que celle d’un maillot à pois luttant sur son terrain pour ébranler un maillot jaune ?
Cette lecture binaire est aujourd’hui contestée, au regard du profil actuel des candidats à la victoire finale mais aussi des parcours proposés par l’organisation du Tour de France. La réduction significative du kilométrage des épreuves contre-la-montre a, par effet de levier, mis la montagne au centre des préoccupations des prétendants au maillot jaune. L’espace accordé jadis aux virtuoses des cimes a dès lors été capté par les coureurs de classement général, tous excellents grimpeurs, et qui se font la guerre là où ils peuvent la faire. Mais pas pour les points de la montagne.
Les réformes qui ont été engagées depuis 2004 et établi les points doublés au sommet des dernières difficultés n’ont pas renversé la vapeur, contribuant même à la vampirisation du classement de la montagne par des prétendants au maillot jaune désintéressés. La victoire de Pogačar n’en est qu’une illustration supplémentaire, le Slovène ayant récolté l’écrasante majorité de ses points sur deux ascensions uniquement.

Double vainqueur du classement de la montagne sur ses deux Tours remportés, Tadej Pogacar n’a porté qu’un seul jour le maillot à pois
Le super-combatif des montagnes, profil désavoué
Depuis l’avènement de Richard Virenque, véritable cannibale des sprints au sommet des ascensions répertoriées, le maillot à pois s’est offert à des coureurs pas assez performants pour lutter au classement général mais trop bons grimpeurs pour ne pas avoir voix au chapitre lorsque la route s’élève. Pour écrire les choses de façon moins polie : le classement de la montagne a couronné des seconds couteaux.
Sur les 20 dernières années, des coureurs valeureux comme Anthony Charteau, Thomas Voeckler ou le Romain Bardet meurtri de 2019 ont remporté cette distinction, au bénéfice d’échappées généreuses en points attribués. Pour obtenir ce privilège, il leur est reproché de ne jamais avoir joué épaule contre épaule avec les seigneurs du Tour. En définitive, de contribuer à la dévalorisation du paletot. Au moins ont-ils, pour la plupart d’entre eux, joué le coup à fond et respecté l’enjeu sur l’ensemble des trois semaines de course…
Le barème actuel du classement de la montagne sur le Tour de France :
- 20 points attribués au coureur qui franchit en tête une difficulté hors-catégorie (15, 12, 10, 8, 6, 4 et 2 pour les suivants) – points doublés lorsque la difficulté est la dernière de la journée
- 10 points attribués au coureur qui franchit en tête une difficulté de première catégorie (8, 6, 4, 2 et 1 pour les suivants)
- 5 points attribués au coureur qui franchit en tête une difficulté de deuxième catégorie (5, 3, 2 et 1 pour les suivants)
- 2 points attribués au coureur qui franchit en tête une difficulté de troisième catégorie (1 pour le suivant)
- 1 point attribué au coureur qui franchit en tête une difficulté de quatrième catégorie
Comment régler ce paradoxe du maillot à pois, trop souvent traité comme un objectif de consolation et invisibilisé par les leaders ? Il nous semble que le barème proposé avant 2004 y valorisait davantage ses différents détenteurs, souvent capables de participer à des échappées au long cours mais aussi de se mêler à la lutte avec les prétendants au classement général. Rafał Majka en 2014 et Warren Barguil en 2017 sont probablement les lauréats qui ont le mieux incarné « l’esprit » du maillot à pois depuis les réformes qui se sont succédé, d’abord en 2004 puis en 2011. C’est bien peu. Trop peu.

Rafal Majka a été sacré meilleur grimpeur du Tour de France en 2014 et 2016
Le temps d’ascension, nouvelle monnaie des points ?
Pour sacrer un grand grimpeur, un autre mode de calcul est-il possible pour le maillot blanc à pois rouges ? Des études scientifiques se sont penchées sur la question et revendiquent un classement fondé sur les temps d’ascension, comme cela arrive lorsqu’une côte répertoriée est placée sur le parcours d’un contre-la-montre. Un modèle différent qui, nous semble-t-il, nuirait à la lisibilité de la course, où la maxime « premier arrivé, premier servi » tient lieu de loi. Elle ne serait, en outre, qu’une nouvelle manière d’avantager les coureurs luttant pour le classement général.
Tâche à l’organisation du Tour de France de redonner son lustre et sa visibilité à un maillot si populaire, en cessant par exemple de dévaloriser les ascensions répertoriées en-deçà de la première catégorie et de doubler les points au sommet de certaines difficultés. Un col est un col, une côte est une côte : l’important sera toujours de respecter celui qui se bat pour franchir la montée en tête.
Par Alexandre Bardin (@AlexandreBardin)
Photos : Clémence Ducrot, Vincent Lefevre & s.yuki (CC BY)