Écrit le par dans la catégorie Courses, Les forçats de la route.

Le 30 mai dernier, Egan Bernal remportait à 24 ans son premier Tour d’Italie. Deux ans après sa victoire sur le Tour de France et de retour sur les routes qui ont marqué ses premières années professionnelles, ce succès signe son renouveau après une année 2020 gâchée par des problèmes de dos.

Il est des blessures qui vous changent une carrière. Pour Egan Bernal, ce fut en bien. Nous sommes le 4 mai 2019, et le grimpeur colombien vient de se fracturer la clavicule à l’entraînement. Un coup de tonnerre à une semaine du départ du Giro, lui qui devait y disputer son premier Grand Tour dans la peau d’un leader. Branle-bas de combat chez la Sky, qui chamboule alors ses plans et décide de l’aligner au départ du Tour de France aux côtés de Geraint Thomas et Chris Froome, vainqueurs des quatre dernières éditions de la Grande Boucle.

Mais l’hydre à trois têtes se résume finalement à un duo phare britanno-colombien, après que le deuxième nommé a gravement chuté pendant le Critérium du Dauphiné. Bernal débute l’épreuve assez timidement, avant d’assommer la course dans le Col de l’Iseran à deux jours de l’arrivée. Le natif de Zipaquira devient le troisième plus jeune vainqueur de l’histoire de la Grande Boucle. Surtout, il acquiert le statut de héros national en devenant le premier Colombien à remporter la plus prestigieuse épreuve du monde, réalisant le sueño amarillo de tout un peuple.

En 2019, à seulement 22 ans, Egan Bernal devient le premier Colombien à remporter le Tour de France

Dos en vrac et couronne abandonnée

Un an jour pour jour plus tard, il n’a porté un dossard qu’à huit reprises en 2020 et n’a pas encore pu défendre son titre. Et pour cause, le Covid-19 est passé par là, et la saison cycliste a subi un arrêt forcé de près de cinq mois. Lorsque Bernal reprend sur la Route d’Occitanie début août, les observateurs sont unanimes : le Colombien est fort, très fort. Trop fort peut-être même, le départ du Tour étant encore dans un mois. Les deux courses qui suivent abondent dans ce sens : il est d’abord dominé par Primoz Roglic sur le Tour de l’Ain, puis ses performances se dégradent au fil des jours sur le Dauphiné. Jusqu’à son abandon l’avant-veille de l’arrivée à cause de « problèmes de dos ».

Au sein d’une saison très particulière, le grimpeur de la formation Ineos Grenadiers a mal calculé son pic de forme et tente de retrouver un peu de fraîcheur se dit-on. Mais la grande messe de juillet – ou plutôt de septembre – va montrer que ce n’était pas de la communication et que ses soucis physiques sont bien réels. Si Bernal fait illusion durant deux semaines, Egan, lui, affiche ses faiblesses à la veille du second jour de repos. Dans l’ascension du Grand Colombier, le Colombien explose. Littéralement. En détresse, il franchit la ligne avec plus de sept minutes de retard sur le vainqueur du jour, Tadej Pogacar. Ses espoirs de doublé partent en fumée, mais le mal est plus profond : il abandonne au matin de la 17ème étape, et ne portera plus le moindre dossard en 2020.

Fin novembre, Bernal se livre. « La douleur est vraiment très ancienne. J’ai toujours eu une douleur au dos. […] Pendant la quarantaine, j’ai passé énormément d’heures sur les rouleaux. Puis, en passant de zéro à l’intensité des courses en France avant le Tour, je pense que ça a pincé un nerf dans la vertèbre et c’est de là que vient la douleur ». Celui à qui l’on prédisait une hégémonie sans pareille a donc déjà subi son premier coup d’arrêt, et il est impossible de savoir s’il va réussir à retrouver son meilleur niveau un jour.

L’Italie, là où tout a commencé

2021 doit donc poser les premiers jalons de son retour au sommet. Pour cela, direction l’Italie, pays où il a disputé le plus grand nombre de courses depuis le début de sa carrière (tout simplement près d’une sur deux), mais où il n’a paradoxalement jamais remporté de bouquet prestigieux. C’est aussi pour lui une manière de revenir là où sa vie de cycliste professionnel a démarré.

Arrivé sur le sol italien en 2015, le jeune Egan est recruté dès l’année suivante par Gianni Savio. Le manager de la formation Androni Giocattoli est un dénicheur de talents, et il est convaincu que le Colombien a un avenir doré : « en plus de ses capacités physiques exceptionnelles, Egan a déjà l’intelligence, l’équilibre, la maturité et la mentalité d’un coureur de 30 ans. Cela fait une trentaine d’années que je suis dans le vélo, et je n’ai jamais vu un aussi grand talent », déclare-t-il après quelques courses seulement, alors que celui qu’il appelle « Igan » n’a que 19 ans. Il suffit d’attendre ses premières courses sur son nouveau sol pour comprendre que Savio a vu juste. En l’espace d’un mois, il finit consécutivement meilleur jeune de la Semaine Coppi et Bartali et du Tour du Trentin. Surtout, sur la plus grosse étape de montagne de ce dernier, il parvient à terminer dans le groupe des favoris en compagnie de Mikel Landa ou Romain Bardet. Rien que ça.

La saison suivante, son ascension se poursuit. D’abord toujours en Italie, avec une 13ème place au sommet du Terminillo sur Tirreno-Adriatico, puis une 9ème place au classement général du Tour des Alpes. Et ensuite en s’exportant, puisqu’il remporte sa première victoire professionnelle lors du Sibiu Tour en Roumanie, avant d’aller s’imposer sur les routes françaises du Tour de l’Avenir. Il conclut enfin son année 2017 par une deuxième place au général de la Coupe d’Italie, auréolée d’un impressionnant top 15 sur le Tour de Lombardie. De quoi attirer les convoitises des plus grandes équipes du peloton, à commencer par la Sky qui le débauche avant même la fin de son contrat.

Avant le maillot jaune du Tour de France, Egan Bernal a décroché celui du Tour de l’Avenir en 2017, après ses compatriotes Nairo Quintana, Esteban Chaves et Miguel Angel Lopez

La suite, on la connaît. Des échelons gravis à la vitesse de l’éclair, jusqu’au Graal du Tour de France en 2019. A l’arrivée de celui-ci, Gianni Savio se remémorait les mots qu’il avait prononcé à son poulain quelques années auparavant : « sur le podium [de sa première course par étape en Italie], je lui ai glissé dans l’oreille qu’un jour, il allait terminer sur le podium d’un Grand Tour ». Avant de rajouter, « vous verrez, il gagnera plusieurs fois le Tour de France ». La première des deux affirmations s’est révélée véridique. Mais avant de tenter de réaliser la deuxième, Egan Bernal voulait donc s’essayer sur le Giro cette année.

Classe, démonstration, et gestion

Son retour sur une course italienne – un an et demi après la dernière – se fait sur le Trofeo Laigueglia, terminé à une convaincante deuxième place. Trois jours plus tard, il termine troisième des Strade Bianche, et confirme qu’il est bien de retour. Restait alors à savoir si son dos allait le laisser tranquille sur des enchaînements d’étapes difficiles. Au départ du Tour d’Italie, c’était d’ailleurs la plus grande interrogation le concernant, le doute qui faisait que l’on ne pouvait le dégager en tant que grand favori.

Mais jour après jour, le grimpeur colombien s’affirme comme le patron de ce Giro. D’abord en se montrant offensif sous la pluie en début de première semaine, avant de se rappeler à son passé de vététiste sur le sterrato pentu de Campo Felice. Dans le dernier kilomètre, Bernal y place une attaque surpuissante pour aller chercher sa première victoire d’étape sur un Grand Tour, ainsi que le maillot rose de leader. Mais le coureur de la Ineos Grenadiers ne s’arrête pas en si bon chemin : paletot de leader sur le dos, il attaque en personne sur les chemins blancs de Toscane, et continue de grappiller du temps sur ses adversaires à la victoire finale.

Arrivé en Europe par l’Italie, Egan Bernal a remporté le Giro à sa première participation

Puis, comme tout grand champion qui veut marquer de son empreinte l’épreuve italienne, il réalise une démonstration en direction de Cortina d’Ampezzo. Dans des conditions dantesques, il s’isole dans le Passo Giau et décroche en solitaire une deuxième victoire d’étape, le maillot rose sur le dos cette fois-ci. Moins fringant en troisième semaine, ne s’étant pas caché lors des 15 premiers jours de course, on se dit qu’une porte est entrouverte. Mais Bernal, bien aidé par son compatriote et équipier de luxe Daniel Felipe Martinez, gère parfaitement ses temps faibles. Au bout d’un ultime contre-la-montre dans les rues de Milan, il décroche son premier Tour d’Italie, telle une renaissance à seulement 24 ans.

La dernière marche maintenant, en écho aux propos de Gianni Savio il y a deux ans, sera de récupérer sa couronne sur le Tour de France. Pour cela, il faudra se frotter aux deux Slovènes Tadej Pogacar et Primoz Roglic, absents sur le Giro cette année. Bernal en est conscient, prêt à en découdre : « ce qu’ils ont réalisé dernièrement me motive grandement. J’ai remporté une incroyable course ici, et je suis de retour ».

Par Quentin Douzery.

Photos : Douglasfugazi (CC BY-SA), filip bossuyt (CC BY) & yonolatengo (CC BY)
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Modérateur: Animateurs cyclisme pro