Écrit le par dans la catégorie Histoire, Les forçats de la route.

Premier vainqueur non-européen de Milan-San Remo à l’âge de 24 ans, Matthew Goss aurait pu devenir l’un des géants de sa génération. Las, le déclin sportif de l’Australien fut aussi brutal que son ascension limpide. Avant que ne se tienne samedi la 112e édition de la Primavera, retour sur le sommet de la carrière d’un coureur bien singulier.

Stuart O’Grady est incrédule, en cette fin d’année 2004 baignée dans le soleil de l’été tasmanien. Le médaillé d’or olympique de l’américaine et lauréat d’une étape sur le Tour de France n’est pourtant venu sur la modeste Launceston Classic que dans le but de tourner les jambes en vue d’entretenir sa condition pour les courses de reprise du mois de janvier. Mais voilà qu’un jeune du coin lui grille la priorité dans le sprint final. Un gamin de 18 ans qui, s’il ne le sait pas encore, vient de s’offrir un beau ticket d’entrée dans le peloton professionnel. Toujours vif de ce souvenir, O’Grady jouera bien de son influence pour aider l’adolescent à signer son premier contrat pro avec le puissant Team CSC, deux ans après les faits.

Homme rapide dans un pays qui ne manque pas de sprinteurs, le Tasmanien est aussi à son aise sur terrain vallonné. C’est en néo-professionnel qu’il s’arroge la 3e place de Kuurne-Bruxelles-Kuurne, avant d’accomplir un Tour de Grande-Bretagne 2008 très prometteur, à ferrailler contre la sensation norvégienne Edvald Boasson Hagen, star de cette édition avec trois victoires d’étape (dont deux devant Goss). Il réaffirme son potentiel dans les classiques en s’emparant l’année suivante de la 3e place d’un Gand-Wevelgem mémorable (là encore remporté par son concurrent générationnel Boasson Hagen). Vainqueur de Paris-Bruxelles et double lauréat d’étape sur le Tour de Wallonie en fin de saison, c’est bien au sprint et dans des configurations de course dynamiques que s’exprime au mieux le jeune Goss.

Un rouage essentiel de la machine de guerre HTC

L’intersaison 2010 bouleverse les équilibres du peloton professionnel avec l’arrivée en fanfare du Team Sky. Boasson Hagen quitte la meilleure équipe du monde, HTC-Columbia, pour se greffer au projet porté par l’aisance financière de Rupert Murdoch et le management avant-gardiste de Dave Brailsford. Au jeu des chaises musicales, c’est l’Australien qui prend la place de son bourreau au sein de l’armada américaine. Alors âgé de 23 ans, il remporte sur le Giro son premier succès individuel d’envergure, en dominant Filippo Pozzato et Tyler Farrar sur un final en côte. Il devancera à nouveau l’Américain sur le GP de Plouay, participera activement aux victoires de son leader Mark Cavendish sur la Vuelta, avant de décevoir les attentes sur un parcours à sa mesure lors du Mondial de Geelong, disputé à domicile.

Matthew Goss, ici entouré par ses camarades tasmaniens Richie Porte et Wesley Sulzberger, en amont des Mondiaux de Geelong.

Matthew Goss, ici entouré par ses camarades tasmaniens Richie Porte et Wesley Sulzberger, en amont des Mondiaux de Geelong.

Contre-performance digérée, c’est sous très bon augure que débute la saison 2011. Omniprésent sur le Tour Down Under (une victoire, cinq top 5 en cumulé, 2e du classement général), il remporte une étape sur Paris-Nice devant son compatriote Heinrich Haussler. Auréolé de ce succès, c’est avec confiance que le Tasmanien s’élance dans l’épreuve la plus longue du calendrier, annoncé par l’ensemble des observateurs comme un outsider crédible aux côtés de Mark Cavendish, meilleur sprinteur du monde.

Une édition sans temps mort

Traditionnellement courue à faible allure dans sa première partie, la 102e édition de la Primavera est secouée dans des proportions inattendues. Introduite en 2008 pour fatiguer les purs sprinteurs, la montée du Manie satisfait la tâche qui lui incombe. À la faveur d’une descente parsemée de chutes, un groupe de 44 coureurs prend les devants sur un peloton de 140 chasseurs, parmi lesquels figurent Tyler Farrar, Mark Cavendish, le triple vainqueur Óscar Freire et le champion du monde Thor Hushovd. Acharnée sur toute la côte ligure, la lutte tourne à l’avantage des pourchassés, l’écart atteignant 1m10s au pied de la Cipressa. Une différence a priori irrémédiable à combler, sauf pour Michele Scarponi qui s’attache à bousculer nos certitudes en accomplissant seul le saut de puce à l’avant.

Toujours objet de coups tactiques, la transition menant les coureurs au Poggio met à l’œuvre Steve Chainel, parti dans la descente de la Cipressa et vite rejoint par son coéquipier Yoann Offredo, Greg Van Avermaet et Stuart O’Grady. Tiens donc… Le quatuor parvient à capitaliser 30 secondes d’avance au moment de se frotter aux douces pentes du Poggio, suffisamment affriolantes pour exciter Vincenzo Nibali, qui dégaine le premier pour revenir. Pas non plus de quoi effrayer un Philippe Gilbert marchant sur l’eau, emmenant dans son offensive six autres coureurs et autant de pointures (Cancellara, Pozzato, Ballan, Marcato, Scarponi et Goss) à la poursuite de Van Avermaet, arrivé seul en tête à la cabine téléphonique.

Périlleuse et dévalée à grande vitesse, la descente du Poggio réserve toujours son lot d’ennuis. Qui seront ici pour Marcato, rapidement écarté sur chute. Équipier-piston de Cancellara, O’Grady se sacrifie sans compter pour ramener Van Avermaet à la raison. Le Belge sera cruellement revu à 2 500m de l’arrivée. À la flamme rouge, ils ne sont plus que huit en lice pour la victoire alors qu’un sprint se dessine : Ballan, Cancellara, Gilbert, Goss, Nibali, Offredo, Pozzato et Scarponi. Une aubaine pour l’Australien, seul authentique sprinteur de ce groupe, qui saisit pleinement l’occasion de transformer l’essai. À 24 ans, Matthew Goss se présente non seulement comme le premier coureur à enlever Milan-San Remo après avoir préalablement couru Paris-Nice depuis le commencement du XXIe siècle, mais bien davantage comme le premier non-européen à triompher du plus long des cinq Monuments. L’histoire s’écrit, et le ton est donné pour la décennie à venir.

Avant-dernier wagon du célébrissime train de sprint de Mark Cavendish sur le Tour de France pour assurer la razzia de victoires du Britannique (assorti du maillot vert), le Tasmanien ponctue sa saison majuscule d’une médaille d’argent aux championnats du monde de Copenhague. Dans la roue de… Mark Cavendish.

Tout frais champion du monde, Mark Cavendish salue son dauphin Matthew Goss.

Tout frais champion du monde, Mark Cavendish est félicité par son dauphin Matthew Goss.

Leader provisoire chez GreenEDGE, soucis permanents

La fermeture de l’équipe numéro un mondiale à la fin de l’année contraint Matthew Goss à démarrer un nouveau cycle. Et quelle meilleure opportunité que rejoindre le projet de son compatriote Gerry Ryan, homme d’affaires qui vient de lancer GreenEDGE, amenée à devenir la première formation australienne du peloton WorldTour ? Propulsé sprinteur de référence au sein de la nouvelle structure, le Tasmanien maintient un bon niveau dans la hiérarchie mondiale des hommes rapides, avec à son actif un nouveau succès d’étape sur le Giro ainsi qu’une participation remarquée à la lutte pour le maillot vert sur le Tour de France face aux mastodontes Sagan, Greipel et Cavendish (3e finalement).

Déjà débordé en résultats et notoriété par Simon Gerrans, qui l’a succédé au palmarès de Milan-San Remo, la venue l’année suivante de la pépite Michael Matthews acte la relégation du Tasmanien dans son expression individuelle, en même temps que le déclin de ses propres performances. Sa victoire au sprint sur la deuxième étape de Tirreno-Adriatico sera ainsi la toute dernière de sa carrière à titre personnel (il participera ensuite au succès de sa formation dans le contre-la-montre par équipe disputé à Nice sur la centième édition du Tour de France, qui permettra à Gerrans de s’emparer du maillot jaune). Trois saisons anonymes jonchées d’abandons paveront la route d’un champion en errance, perdu pour le haut niveau. C’est à seulement 30 ans, chez lui à Launceston, entouré de ses amis les frères Sulzberger, que Matthew Goss mit un terme définitif à sa carrière, sur la course qui lui en a donné une.

Par Alexandre Bardin (@AlexandreBardin)

Crédit photo : Marco Trovati – Keystone

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Re: Goss, le poids du pionnier

Messagepar Nathan7945 » 21 Mar 2021, 17:52

C’est vrai que Goss était dans l’ombre de Cavendish mais il y pouvait pas grand chose, comment faire face à un homme qui dominait à cette époque le sprint mondial mais ça reste sa plus belle victoire et Goss aurait pu retrouver une deuxième vie chez Orica comme en 2012-2013, malheureusement il a pas confirmé les années suivantes en allant chez MTN et retravailler ensuite chez Dimension Data avec Cavendish
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Re: Goss, le poids du pionnier

Messagepar Geraldinho » 21 Mar 2021, 20:22

Magnifique article :ok: :love:
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Re: Goss, le poids du pionnier

Messagepar Alessiocortez » 22 Mar 2021, 22:57

C'est assez cocasse , samedi matin en cours je me demandais pourquoi Goss avait si vote disparu des radars, j'ai eu toutes les réponses que je cherchais :up
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Re: Goss, le poids du pionnier

Messagepar Tyler » 24 Mar 2021, 09:20

Article très sympa oui !
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