De Christophe Bassons à Nans Peters, ils sont 107 coureurs tricolores à avoir œuvré dans la sélection nationale pour tenter de décrocher la tunique arc-en-ciel qui fuyait la France depuis 23 ans, plus longue attente de son histoire. Retour sur une quête incroyablement ardue, qui s’est achevée ce dimanche sur le circuit automobile d’Imola par le sacre attendu de Julian Alaphilippe.
L’équipe de France masculine de cyclisme sur route a remporté ce dimanche son neuvième championnat du monde depuis le début du 21e siècle. Non, pas d’erreur de notre part ! Quatre chez les juniors, quatre chez les espoirs, et désormais un chez les grands. Le compte est bon. Mais pourquoi ce dernier titre, le seul qui importe finalement, a-t-il le goût si marqué de la délivrance ? Arpentons les chemins escarpés de la sélection française en compagnie de ceux qui ont espéré succéder à Laurent Brochard.
Le capitaine et le prodige
À tout seigneur, tout honneur. Pour la richesse de son expérience et sa régularité dans une période où le cyclisme français était alors sur la pente d’un lent déclin à la suite des douloureux soubresauts de l’affaire Festina, Laurent Brochard a représenté une évidence dans les sélections qui se sont succédé après son titre arc-en-ciel. Le coureur au mulet, qui prit également sa part dans le sacre de Luc Leblanc à Agrigente en 1994 avant de demeurer une valeur sûre jusqu’à son propre couronnement, a participé sans discontinuer aux sept Mondiaux qui suivirent l’annus horribilis 1998, avant de retirer dignement son casque à la fin de la saison 2005.
De l’autre côté du spectre, Julian Alaphilippe a imposé le même consensus auprès de ses sélectionneurs, tant pour ses références dans les épreuves d’un jour que pour son punch dévastateur qui vaut de l’or mondial. Dix années passent depuis la retraite de la Broche, avant que ne survienne la première sélection de l’Auvergnat bondissant. Celui-ci a dès lors été de toutes les batailles, exception faite de la célèbre et chaotique traversée du désert qatari dont les vents balayèrent sans ménagement une sélection tricolore mal pensée. Amusant trait d’union, l’ancien et le nouveau champion du monde ont chacun vu un coéquipier s’emparer d’une médaille dans le sillage d’Alejandro Valverde.
Face à la tempête

Thomas Voeckler (à gauche), l’un des tauliers de l’équipe de France avant d’en devenir le sélectionneur à l’été 2019.
Avant la gloire, il y eut donc les longues années de galères. Sylvain Chavanel (11 sélections) et Thomas Voeckler (6 sélections) sont alors les tauliers d’une équipe de France qui disparaît des radars à mesure que le rythme du peloton s’élève. Bâtie avec et autour de figures familières des échappées du Tour de France, qui ont à la fois triomphé d’une étape en baroudeur et parfois connu la joie de porter le maillot jaune (à l’image de Cédric Vasseur, coéquipier attitré de Brochard tout au long de son parcours en équipe de France), la maison bleue fête quasiment comme une victoire la présence du moindre de ses représentants dans le dernier tour de circuit. Les deux têtes du cyclisme français d’alors affichent en cumulé le bilan d’un seul top-10 sur la course en ligne. Un chiffre famélique qui ne dit certes pas combien ces coureurs ont compté, chacun à leur manière, dans la reconstruction d’une sélection nationale souffreteuse.
Insignifiante sur les circuits difficiles et négligeable sur les parcours plats, l’équipe de France se trouve bien trop souvent réduite à suivre la course loin de l’avant. La rétrogradation du cyclisme français en termes de compétitivité s’est surtout brutalement matérialisée lors des saisons 2009 et 2010, en échouant piteusement à qualifier pour la course en ligne le total de neuf coureurs alloués aux dix nations les plus performantes sur les épreuves du calendrier UCI. Un camouflet absolu pour la première patrie du vélo, qui découvre alors véritablement l’abîme.
Quelques éclaircies au milieu des nuages
L’avantage de toucher le fond, c’est que l’on ne peut que finir par remonter. Principal capitaine de la sélection française dans les années 2010 (avec pas moins de sept apparitions), Tony Gallopin a symbolisé, sous le maillot national, la résurgence du cyclisme tricolore au cours de la décennie, en accompagnant l’éclosion d’une génération talentueuse de sprinteurs (Bouhanni, Démare), de grimpeurs (Bardet, Barguil, Pinot) et avec elle d’un coureur d’exception aujourd’hui vêtu d’un habit irisé. Avec son concours et celui de Romain Feillu (deux top-10 chacun), la France a réinvesti la première partie des classements et repointé le bout de son nez dans le final de l’épreuve.
Visiteurs occasionnels de l’équipe de France dans la grande arène des Mondiaux, Jean-Cyril Robin (4 sélections), Anthony Geslin (3 sélections) et Romain Bardet (3 sélections) ont pourtant été les rares tricolores à avoir pris un bout du rêve irisé dans le creux de leur main sur les 23 années qui se sont écoulées. C’est à la manière dont ces résultats ont été obtenus que l’on mesure finalement le chemin parcouru pour arriver au titre net et sans bavure d’Alaphilippe. Car si le podium des bronzés de Varèse et Madrid fut vécu comme le fruit de performances individuelles plutôt inattendues et réalisées au meilleur des moments, le métal argenté de Bardet représente l’aboutissement d’une prestation collective impressionnante – pas toujours maîtrisée – terriblement inédite depuis le tournant du siècle. Comme une éclaircie annonçant l’arc-en-ciel…
23 ans d’attente, 107 coureurs
11 sélections : Sylvain Chavanel
7 sélections : Laurent Brochard, Tony Gallopin
6 sélections : Thomas Voeckler
5 sélections : Julian Alaphilippe, Christophe Le Mével, Anthony Roux, Cédric Vasseur
4 sélections : Warren Barguil, Cyril Gautier, Jean-Cyril Robin
3 sélections : Romain Bardet, Nacer Bouhanni, Sandy Casar, Samuel Dumoulin, Pierrick Fédrigo, Romain Feillu, Anthony Geslin, Frédéric Guesdon, Patrice Halgand, Amaël Moinard, Christophe Moreau, Yoann Offredo, Franck Rénier, Richard Virenque, Nicolas Vogondy
2 sélections : Stéphane Augé, Julien Bernard, Frédéric Bessy, William Bonnet, Sylvain Calzati, Jimmy Casper, Mickaël Delage, Arnaud Démare, Cyril Dessel, Jacky Durand, Andy Flickinger, Stéphane Goubert, Stéphane Heulot, Sébastien Hinault, Laurent Jalabert, Nicolas Jalabert, Christophe Laporte, Cyril Lemoine, Pascal Lino, Christophe Mengin, Rudy Molard, David Moncoutié, Jérôme Pineau, Thibaut Pinot, Christophe Riblon, Christophe Rinero, Julien Simon, Geoffrey Soupe, Jean-Michel Tessier, Ludovic Turpin, Arthur Vichot
1 sélection : Christophe Bassons, Walter Bénéteau, Stéphane Bergès, Maxime Bouet, Gilles Bouvard, Franck Bouyer, Florent Brard, Lilian Calmejane, Rémi Cavagna, Dimitri Champion, Pascal Chanteur, Jérôme Coppel, Benoît Cosnefroy, Carlos Da Cruz, David Delrieu, Kenny Elissonde, Frédéric Finot, Nicolas Fritsch, John Gadret, Alexandre Geniez, Alexis Gougeard, Fabrice Gougot, Maryan Hary, Xavier Jan, Vincent Jérôme, Sébastien Joly, Blel Kadri, Christophe Kern, Anthony Langella, Éric Leblacher, Olivier Le Gac, Geoffroy Lequatre, Valentin Madouas, Emmanuel Magnien, Gilles Maignan, Guillaume Martin, Sébastien Minard, Jean-Patrick Nazon, Quentin Pacher, Jean-Christophe Péraud, Nans Peters, Adrien Petit, Anthony Ravard, Kévin Réza, Jérémy Roy, Marc Sarreau, Florian Sénéchal, François Simon, Yannick Talabardon, Florian Vachon
Par Alexandre Bardin (@AlexandreBardin)
Crédit Photo: Patrick Pichon / Panoramic / AFP