Écrit le par dans la catégorie Interviews, Les forçats de la route.

Professionnel depuis 2005, l’Irlandais Nicolas Roche est l’un des coureurs les plus expérimentés du peloton international. Aujourd’hui chez Sunweb, il s’épanouit dans un rôle de « grand frère » auprès des jeunes coureurs, tout en visant toujours une victoire d’étape sur le Tour de France.

Depuis tes débuts chez les professionnels, as-tu constaté un changement dans le cyclisme?

Depuis 2006 il est clair que j’ai vu énormément de changements. Chaque année, ça évolue. Mon premier vélo professionnel était en aluminium par exemple ! J’ai aussi fait sixième du Tour d’Espagne [2010] avec le cardio, alors que les grands leaders avaient déjà des capteurs de puissance. J’en ai acheté un pour m’entraîner mais en course, il fallait que je fasse un peu à l’aveuglette. Ça m’apprenait au moins à me gérer, à savoir écouter mes sensations. Dans mes dernières années avec AG2R La Mondiale, on a commencé à faire les premiers stages en altitude, maintenant j’en fais quatre dans l’année. Le nombre de courses a baissé aussi : mes premières années chez AG2R, je faisais une centaine de jours de course dans l’année. Aujourd’hui, c’est limité à 80. Ce qui ne veut pas dire qu’on s’entraîne moins, au contraire, parce qu’il y a énormément de stages pour compenser. Mes premières années chez Cofidis, j’avais dû faire quatre semaines de stage sur l’année. Je crois que l’année passée ou celle d’avant, j’ai fait 90 ou 95 jours de stages, dont ceux en altitude. Fondamentalement, il y a beaucoup de choses qui ont changé.

Tu as souvent été parmi les cyclistes World Tour qui courent le plus dans l’année. Est-ce une volonté de ta part de beaucoup courir ?

Oui, j’aime la course, j’aime la compétition. Je fais quasiment tous les ans deux Grands Tours, ça aide pour courir beaucoup, parce qu’il faut quelques courses avant, quelques courses après. J’aime être en course, donc j’ai toujours eu des programmes chargés. Ça me convient.

A propos des Grands Tours, tu as notamment de bons résultats sur le Tour d’Espagne. Quelle relation as-tu avec cette course ?

C’est comme tout, quand tu y es bon, tu aimes davantage ! C’est vrai que mon premier résultat sur un Grand Tour c’était sur la Vuelta 2008, où je fais treizième. J’ai vite compris que la deuxième partie de saison était celle qui me convenait le plus. Je performe plus facilement en haute chaleur qu’en début de saison, dans le froid. Aujourd’hui, il y a quelques coureurs qui sont capables d’être toute la saison à 100%, mais il y en a très peu. Moi, c’est de juin jusqu’à septembre où je suis le plus performant. J’aurais aimé, parfois, être plus fort en début de saison, mais c’est comme ça.

Sur la Vuelta, quelle journée retiendrais-tu en particulier ? Tes victoires ou alors tes journées passées avec le maillot rouge ?

Si je peux tricher, les deux ! La victoire c’est toujours quelque chose de spécial. J’ai aussi porté le maillot de leader par deux fois, et je l’ai manqué de très peu en 2017. J’étais cinq jours deuxième à deux secondes derrière Froome juste parce que j’avais pris une cassure un jour dans un sprint, sinon, j’aurais eu le maillot. Ça, je m’en mords les doigts encore aujourd’hui. Le maillot rouge, c’est quelque chose d’extraordinaire. C’est sûr, ce n’est pas le Maillot Jaune du Tour ; ça aurait encore plus d’impact. Mais être leader sur un Grand Tour pendant quelques jours fait partie des beaux moments d’une carrière.

Quand on regarde ton palmarès, tu as douze victoires, huit si on enlève les titres de champions nationaux. Au final, tu es plus souvent placé que gagnant.

Oui, ça a été mon gros souci, et c’est pour ça que souvent les gens sont choqués quand je suis à l’attaque. Si tu regardes mes résultats sur les Grands Tours, j’ai plein de top 10 sur les étapes. Je pense que ce sont des chiffres que beaucoup ne connaissent pas. Ce qui m’a manqué pour être parmi les champions, les grands coureurs, c’est cette capacité à gagner que je n’avais pas. J’étais très bon, très solide, très consistant – j’ai sept top 15 sur les Grands Tours. Mais aujourd’hui pour le grand public, les médias ou même les équipes, c’est mieux d’avoir gagné un Liège-Bastogne-Liège et d’en avoir abandonné six que d’avoir fait les résultats que j’ai fait.

Comment expliques-tu cela, justement ?

Ça tient à pas grand-chose… Finalement, aujourd’hui j’ai un palmarès qui ne traduit pas le niveau que j’ai eu pendant ma carrière. C’est essentiellement ma faute : souvent je manque de réussite, je me précipite, je n’ai pas le bon réflexe. C’est comme ça. Il y a des coureurs qui ont été moins forts que moi pendant leur carrière et qui ont plus de victoires. Moi, je n’ai pas su concrétiser certaines de mes performances.

Nicolas Roche a porté trois jours le maillot rouge sur le Tour d’Espagne 2019, avant d’abandonner sur chute

Dans notre podcast, tu parlais de la course aux points qu’il y avait chez AG2R La Mondiale. As-tu été libéré de ne plus avoir à courir derrière des points UCI une fois que tu avais quitté AG2R ?

Oui et non, parce que c’était un scénario qui m’allait aussi. Je voulais me développer comme coureur de courses par étapes, et c’était totalement en accord avec cette chasse aux points. Parfois j’ai un peu plus couru avec le frein, je n’ai pas pris de risques, mais c’est parce que j’essayais de me développer comme un futur grand coureur de Grand Tour. Pour moi, c’était important de rentrer dans les dix premiers de ces courses. Les objectifs de l’équipe AG2R étaient les miens, sauf que j’étais dans un rôle très difficile. J’aurais certainement pu gagner une étape sur le Tour et à Paris-Nice. Mais à ce moment-là, dans ma tête, je n’étais pas prêt. Je voulais progresser en tant que coureur de courses par étapes et je voulais jouer le classement général.

Maintenant, les classements généraux, ce n’est plus ton objectif ?

Non, j’y pense toujours ! Il y a dix ans, je disais « je me concentre sur le classement général, les étapes je verrai plus tard ». Aujourd’hui ce point de vue n’a pas changé. Je continue à jouer le classement général, à part sur le Tour où j’ai évidemment un autre rôle qu’il y a dix ans.

Qu’est-ce qui t’a poussé à quitter AG2R La Mondiale, où tu es étais le leader de l’équipe, pour rejoindre Saxo-Tinkoff, pour te mettre notamment au service d’Alberto Contador ?

C’est la curiosité. Tout le monde disait qu’à l’étranger c’était différent. Je voulais voir quelque chose d’autre, quelque chose de nouveau. Mais je suis parti en bons termes avec l’équipe AG2R, c’est une équipe avec qui j’ai encore de très bonnes relations. J’ai souvent Julien Jurdie au téléphone, mes ex-coéquipiers par texto. C’est une équipe qui me tient à cœur, que je garderai toujours dans mon cœur et que j’ai eu toute ma carrière.

Tu as été au service plusieurs grands leaders (Alberto Contador, Christopher Froome, Richie Porte). Lequel t’a le plus marqué ?

Ils sont tous différents. Je n’aime pas les comparer parce que ça a été des moments différents, des challenges différents. Avec Alberto, on voulait être la super équipe qui allait détrôner Sky. On avait un groupe impressionnant. On était soudés, prêts. Chez Sky, c’était différent parce qu’on était la super équipe qui était là pour défendre, qui allait se faire attaquer. Ensuite je retourne avec Richie dans le but d’être là pour lui. Je suis là pour l’appuyer, être son confident. On était le petit poucet qui allait affronter cette armada Sky parce qu’on avait un des meilleurs grimpeurs sur la planète. Après, je me retrouve, encore une fois, dans une équipe où je rêvais de me battre à nouveau pour remporter un Tour avec Dumoulin. Malheureusement avec sa chute ce challenge n’a pas été atteint. Il n’y a pas une expérience qui est meilleure ou pire que l’autre ; elles sont tellement différentes. Les états d’esprit différent aussi. J’ai vraiment pris mon pied dans chaque moment. Aujourd’hui, j’ai d’excellents rapports avec mes leaders. Je pense que c’est aussi pour ça, dans les premiers temps, que j’ai été choisi par certains. Le plus proche aujourd’hui, ça reste Richie. Il habite juste à côté de chez moi, c’est un ami dans la vie.

C’est lui qui t’a fait venir chez BMC ?

Ça ne se fait plus ça, c’était dans les années 90. Mais mon choix d’aller chez BMC était essentiellement lié à Richie, oui. Il m’a demandé si ça m’intéressait de venir l’épauler en 2017. Le projet sportif m’intéressait et j’avais envie de me retrouver avec lui. Disons que tout allait dans le bon ordre, c’était le bon timing.

Depuis ton départ d’AG2R La Mondiale pour Saxo-Tinkoff, tu as à chaque fois voulu découvrir de nouvelles choses ?

C’est tout à fait ça. C’est pour ça que j’ai connu beaucoup d’équipes. J’ai toujours voulu connaître, voir et apprendre d’autres choses. Sky, je voulais y aller parce qu’à l’époque c’était l’armada, c’était comme faire une carrière de footballeur et vouloir aller au Real Madrid. Je voulais passer chez Sky à un moment ou à un autre, mais je savais que je ne voulais pas spécialement y rester toute ma carrière. Je voulais apprendre, gagner un Tour avec Froome et après, retrouver un autre challenge.

Et pour BMC ?

Ça me plaisait d’aller épauler un copain. C’était une belle aventure. Je retrouvais aussi Amaël Moinard, qui était un de mes grands amis dans le vélo. On a passé notre carrière à se dire « ça serait cool qu’avant notre retraite on refasse deux ans ensemble ». Ça a été mon premier copain de chambre chez Cofidis, quand j’étais stagiaire. Ensuite, Sunweb, c’était totalement différent. Je poursuivais mon rôle d’épauler un grand leader. J’allais toujours avoir ma place sur un Grand Tour, notamment la Vuelta, et ils comptaient sur moi pour partager mon expérience. J’aime passer le temps avec les jeunes, j’aime parler avec eux. C’est quelque chose que je fais naturellement. J’aime partager les expériences que j’ai vécues pendant mes seize ans pros. Jouer le grand frère dans cette équipe de jeunes était un rôle qui me plaisait. C’est une équipe où j’ai trouvé ma place. L’an passé, quand on a rediscuté de mon contrat, j’étais content de re-signer deux ans. Je n’avais pas envie de changer encore d’équipe.

Chez Sunweb, tu es justement le coureur le plus âgé de l’équipe. Vous êtes seulement deux, avec Chad Haga, à avoir plus de 30 ans. Comme tu le disais, il y a pas mal de jeunes. Avec ton expérience, quels conseils as-tu à leur apporter ?

J’ai la chance d’être dans un groupe où, en général, les jeunes m’écoutent. Je pense que le fait d’avoir dix, douze ou quinze ans d’écart avec certains change complètement la donne. Aujourd’hui les jeunes arrivent beaucoup plus préparés. Ils ont moins à apprendre sur le côté technique. Mais ils sont curieux sur les différents régimes alimentaires ou les techniques d’entraînement parce qu’ils ont lu, mais ils n’ont pas encore essayé. Je les aide avec ma connaissance du terrain qui est, aussi, importante. Quand remonter, quand rouler ensemble, comment bloquer pour ne pas te faire dépasser par une autre équipe, pour défendre ta place dans le groupe… Ce ne sont que des choses que tu peux faire sur le vélo et sur le moment, quand tu leur expliques. Heureusement, je suis assez doué pour expliquer aux jeunes.

Tu appliques ce que tu as vécu quand tu débutais ?

Quand je suis passé pro, c’était « ferme ta gueule tu es néo-pro ». Aujourd’hui, beaucoup d’anciens coureurs râlent comme quoi les néo-pros n’ont pas de respect. Mais pour moi, il faut commencer par leur en donner. Si tu leur donnes du respect et que tu les traite comme des jeunes qui sont là pour apprendre, ils te le rendent. Il faut aussi les écouter quand ils te donnent leurs conseils. Par exemple, l’année dernière je faisais chambre avec « Lenny » Kämna, qui est maintenant chez Bora, et c’était génial ! Certains soirs, on allait se coucher à minuit, minuit et demi parce qu’on partait dans des discussions sur la nutrition, sur ce qu’il avait appris. C’était génial parce que j’avais aussi des choses à apprendre d’un gamin de 23 ans. C’était cool d’être aussi à son écoute et de voir ce qu’il avait fait, ce qui avait marché pour lui, ce qui avait marché pour moi… C’est une question d’échange. Je pense que j’ai mon rôle là-dedans, parce que je suis à leur écoute, et je participe au maximum aux réunions pour les aider.

Ça te tient à cœur de partager, d’échanger avec eux ?

Oui, je me régale ! Je suis plus qu’un coureur de l’équipe, c’est un truc qui me plaît. Je ne suis pas juste là pour aller faire un top 10, une échappée… Je suis là pour aider l’équipe à se développer et faire partie du développement des jeunes. C’est un rôle qui me plaît et qui me complète. On fait des réunions tous les lundis, par exemple, en quarantaine. Je dois les préparer, je suis là pour appuyer le directeur sportif. Je suis là pour les aider, pour leur consacrer du temps, pour les encourager. Pendant la période de quarantaine, actuellement, j’envoie un petit message aux jeunes quand ils sont sur Instagram, un smiley. Ce sont de tout petits détails qui te donnent envie de continuer. Ça, je le fais sans réfléchir.

Après ta carrière, ça te plairait de devenir directeur sportif, dans la continuité de ce rôle ?

J’ai deux choses qui me plaisent : directeur sportif ou être consultant à la télévision. Je l’ai déjà fait cinq jours sur le Tour et quelques jours sur le Giro l’année passée avec Eurosport. Je vais voir comment ça va se passer, mais ce qui est sûr c’est que je resterai dans le vélo. Je n’ai pas envie de partir de ce monde. Je suis trop passionné pour ça.

Chez BMC, Nicolas Roche a retrouvé Richie Porte, l’un de ses proches amis

Depuis 2007, tu tiens des chroniques dans le quotidien irlandais Irish Independent. Pourquoi ?

Quand j’ai écrit la première, en 2007, j’étais le seul coureur irlandais professionnel avec Philip Deignan et le premier à faire un Grand Tour. L’Irish Independant m’a demandé si je voulais faire une chronique, j’ai dit pourquoi pas. J’ai commencé cette chronique sur mon Tour d’Italie en 2007. Avant la Vuelta 2008, ils m’ont demandé si je voulais le refaire, j’ai dit oui. En plus, c’est là où j’ai fait mon premier résultat au classement général. Ma chronique a vraiment pris de l’ampleur. L’année suivante, je l’ai refait juste sur le Tour. Puis pendant quasiment trois ou quatre ans, j’ai fait presque chaque course World Tour. Ensuite il y a eu des coupes dans les budgets, et depuis 2017 on s’est limité aux Grands Tours. J’aimais partager, avoir ce contact-là. En Irlande, c’était quelque chose qui m’a donné de la visibilité. Il y a un moment où quand j’étais en Irlande, les gens ne me disaient pas « félicitations pour ta course » mais « j’adore tes articles ». C’était cool parce que c’était devenu très populaire.

Justement, est-ce un moyen de garder le lien avec l’Irlande et les supporters irlandais ? Tu habites à Monaco, tu as beaucoup vécu en France…

Bien sûr, pour moi c’est très important. J’ai toujours dit que j’ai les meilleurs fans du monde. Partout où tu vas, il y a toujours un drapeau irlandais. Quand j’étais sur le Tour, les premières années, j’étais le seul irlandais. C’était génial d’avoir autant de monde qui venait me soutenir. C’est vrai que l’Irlande est un tout petit pays, mais très suiveur dans le sport. J’ai toujours eu un appui important, et j’essaye de leur donner de mon temps en faisant le maximum. J’ai toujours été fier d’être Irlandais, sans renier que ma mère et mon éducation sont françaises.

Il y a plusieurs années tu as mis en place une structure juniors, pourquoi ?

C’est toujours dans la même optique de faire plus que du vélo, d’aider les jeunes. À ce moment, il y avait un suivi des jeunes mais seulement jusqu’en cadets, et l’équipe de Sean Kelly qui s’occupait des espoirs. Il y avait vraiment un chainon manquant. J’avais un copain qui avait un peu de temps libre et qui m’a dit proposé de faire une équipe. J’ai dit pourquoi pas, on peut essayer de faire une académie, et notre équipe complètera le trou qu’il y a entre les cadets et les espoirs. On avait un budget pour faire trois-quatre manches de Coupe du Monde, avec deux sponsors en Irlande qui nous ont suivi. Ensuite, le budget est parti, on avait moins de temps. Un jour mon ami directeur sportif a eu un accident de voiture avec les jeunes. Je ne voulais pas y être associé ; c’était trop de responsabilités. Il y a deux ans j’ai décidé d’arrêter l’équipe juniors. Je trouvais que ça avait perdu l’image que je voulais créer au départ.

Comment tu expliques cela ?

Ce ne sont pas les résultats, car les jeunes ont marché. J’en ai trois qui sont pros aujourd’hui. J’avais [Michael] O’Loughlin, qui était chez Wiggins, il y a Eddie Dunbar qui est passé chez moi et qui a gagné le Trofeo Karlsberg, Mark Downey qui est Champion d’Europe sur piste. J’avais de très bons résultats, j’étais invité sur les belles courses. C’est tout simplement que je ne trouvais pas de sponsor.

C’est une fierté d’avoir pu aider des jeunes irlandais ?

J’ai eu la chance d’avoir de l’aide : quand j’étais junior et espoir, j’avais une bourse olympique – pas grand-chose, 3000 ou 4000 euros, ça me permettait d’acheter une paire de roues, mes chaussures de vélo. Je suis toujours attaché à mon pays. Je pourrais faire ma vie égoïstement, mais j’ai toujours essayé de donner un peu, d’une manière ou d’une autre. J’ai toujours voulu rendre de la même manière qu’on m’a aidé à certains moments.

Au début de ta carrière, le fait d’être le fils de Stephen Roche a-t-il pu te desservir ?

Oui, surtout au départ. Aujourd’hui ça ne change rien du tout. Mais il y a quinze, seize ans, il y avait encore beaucoup de personnes du monde du vélo qui étaient là à l’époque de mon père, ce qui rendait les choses encore plus compliquées. Le souci est que mon père a gagné très jeune, et je ne pouvais que décevoir. Au départ on m’a mené un peu la vie difficile chez Cofidis. Ils s’attendaient à ce que je sois vainqueur de Paris-Nice et Champion du Monde avant mes 23 ans.

On s’imaginait que tu suivrais la même destinée que ton père ?

Oui, on s’imaginait que j’allais être le futur grand. Mes premières années, je n’ai fait que décevoir, même si je « marchotais ». Je faisais mes petits résultats, mes échappées, mais je n’étais pas le champion que certains avaient pu s’imaginer. Parce que mon père était champion, il fallait que je sois champion.

Ça a été dur à vivre pour toi ?

Non, j’ai vite appris à me détacher de ça. Je m’en foutais.

Cependant, avec ton cousin Dan Martin, qui est pro, mais aussi tes oncles qui l’étaient, ça crée quelque chose de particulier d’avoir une famille très cycliste autour de soi ?

Ça c’est sûr, ça a toujours été un avantage. On ne m’a jamais reproché mon égoïsme par rapport au vélo. Depuis que je suis gamin, le vélo a toujours été ma priorité. Même pendant les moments où mon frère était malade, ma mère comprenait que je ne pouvais pas aller le voir tous les jours à l’hôpital, en chambre stérile. C’est un exemple tout bête, mais ils savaient que, quand je venais, c’est parce que j’avais le temps et que si je ne venais pas ce n’était pas que je ne voulais pas venir. A tout niveau, dans ma carrière, j’ai toujours eu un soutien fondamental de ma famille. Quand on est cycliste, c’est une vie particulière. Il y en a qui sont plus famille que d’autres, qui ont réussi à gérer les deux. Moi non, j’étais obligé de faire peut-être plus de sacrifices sur le vélo. J’ai eu une famille qui m’a toujours appuyé dans mes décisions sur le vélo.

Si on regarde l’avenir, qu’aimerais-tu faire d’ici la fin de ta carrière ?

Déjà, ne pas prendre ma retraite tout de suite ! (rires) J’aimerais aller, symboliquement, jusqu’aux vingt ans de carrière. Je vais me battre pour montrer que je suis encore au niveau. J’aimerais refaire un top 10 sur un Grand Tour. Et je suis toujours à la recherche d’une étape sur le Tour de France, plus que tout. Je suis passé trop de fois à côté, j’ai beaucoup de top 10 sur les étapes, mais je n’ai pas gagné sur le Tour. Je voudrais vraiment tout faire pour avoir l’opportunité de gagner sur le Tour de France. Les années passent, les Tour de France se font de moins en moins nombreux. L’année passée j’étais encore très actif, très dynamique sur le Tour. J’ai eu une vraie opportunité mais je suis passé à côté sur l’étape où Impey gagne. Cette étape-là, j’ai vraiment fait une petite erreur tactique qui m’a coûté la chance de disputer la victoire.

Si à la fin de ta carrière tu n’as pas gagné d’étape sur le Tour de France, ça sera un regret ?

Ça sera un regret, c’est sûr, mais je vivrais avec. Ce n’est pas un problème. J’en ai gagné deux à la Vuelta, et même trois avec le contre-la-montre par équipes.

Tu n’auras pas vraiment de regret à la fin de ta carrière, quoi qu’il arrive ?

Non, parce que j’aurais essayé. Tu as des regrets quand tu ne te mets pas dans les conditions pour gagner. Si j’arrive au Tour avec dix kilos de trop, oui j’aurais des regrets. Mais chaque année j’arrive au Tour en condition. Après c’est un sport, il y a des choses qui sont contrôlables, d’autres moins. Il y a des journées où tu es plus fort que d’autres. Je serais déçu de ne pas avoir gagné d’étape au Tour, parce que c’est quelque chose qui me tient à cœur, mais la vie continue.

Depuis le début du confinement on te voit assez actif sur home trainer, avec notamment les courses virtuelles. Tu disais ne pas y être habitué avant. Tu continueras quand tu pourras reprendre la route ?

Je pense que je vais faire du travail spécifique de chrono, vu que notre région n’est pas top pour rouler avec le vélo de chrono. Cette année j’ai envie de préparer le Championnat du monde de contre-la-montre. C’est un de mes objectifs. Je ne suis pas un spécialiste, mais je ne suis pas mauvais non plus. Il ne me manque pas grand-chose pour entrer dans les 10. Je voudrais, symboliquement, pouvoir dire « j’ai fait dans les 10 au Championnat du monde ».

Douzième du Championnat du Monde de contre-la-montre en 2017, Nicolas Roche vise un top 10 cette année

Pour finir, as-tu une anecdote de gruppetto ?

En général, les jours où je suis dans le gruppetto c’est les jours où je me suis pris un gros carton (sic). Donc ma journée dans le gruppetto, je la passe très mal ! (rires) Je me souviens d’une journée en particulier, celle où on faisait deux fois l’Alpe d’Huez [sur le Tour de France 2013, NDLR]. La fameuse étape que gagne Christophe Riblon. Alberto nous avait fait attaquer avec Sergio Paulinho. J’ai vite compris qu’on était parti dans un suicide qui n’allait servir à rien. Je survis dans le gruppetto la première montée de l’Alpe d’Huez. Dans la deuxième, je suis complètement en fringale. Heureusement, Philippe Gilbert vient m’encourager juste avant d’arriver à l’Alpe, à deux kilomètres du sommet. Je commençais à me faire lâcher du gruppetto, et il me disait « Nico, tiens le coup ». Il m’a donné un gel, une petite pousse symbolique pour me remettre dans l’allure. Ça m’a permis de remonter. C’était cool parce que ce sont des moments de solidarité. C’est la beauté du sport, le côté solidaire qu’il y a des fois dans le gruppetto.

C’est ça que tu aimes dans le cyclisme, aussi ?

Oui, c’est le côté solidaire, ce respect mutuel qu’on a entre nous. Pas avec tout le monde, puisque tout le monde n’est pas copain. Il y a beaucoup de rivalités mais il y a quand même un côté solidaire. On est un des seuls sports où on est autant en compétition et on s’entraîne pourtant ensemble. L’après-midi, je vais parfois boire le café avec Richie. On n’est pas du tout dans la même équipe mais on est copains depuis une dizaine d’années. C’est ce qui est génial, il y a tellement de changements d’équipes, que les amitiés passent au-dessus de ça.

Propos recueillis par Matthieu S.

Photos : ASO/Gautier Demouveaux, PhotoGomezSport/Luis Angel Gomez, Andrew Sides via Flickr (CC BY-NC), Løken via Wikimedia Commons (CC BY-SA)
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Re: Nicolas Roche : « J’aime ce rôle de grand frère »

Messagepar Guame » 07 Mai 2020, 17:56

Encore une fois bon client le Nicolas. On sent qu'il est vraiment passionné, très intéressant. :up

Souhaitons-lui une victoire d'étape sur le Tour, il est effectivement passé assez près l'an passé.
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Re: Nicolas Roche : « J’aime ce rôle de grand frère »

Messagepar Kornrat » 07 Mai 2020, 18:46

Vraiment sympa !
Le type de coureur parfait pour les interviews, vraiment passionnant, il sera un très bon consultant/journaliste.
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Re: Nicolas Roche : « J’aime ce rôle de grand frère »

Messagepar ElRojo » 07 Mai 2020, 18:49

Très sympa cet entretien ! Déjà dans chasse patate il était bien, mais là il offre aussi un autre récit assez intéressant.
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Re: Nicolas Roche : « J’aime ce rôle de grand frère »

Messagepar Tyler » 12 Mai 2020, 10:50

Belle Interview oui :heureux:
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Re: Nicolas Roche : « J’aime ce rôle de grand frère »

Messagepar Breizh Arzh » 12 Mai 2020, 20:21

Un type bien.
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