Sylvain Chavanel, Peter Sagan, Gerald Ciolek, Fabian Cancellara, Eduard Vorganov et Ian Stannard sprinter à l'arrivée de Milan-San Remo 2013

Écrit le par dans la catégorie Histoire, Les forçats de la route.

Alors que devait s’élancer aujourd’hui la 111e édition de Milan – San Remo, Le Gruppetto vous propose de se replonger dans une autre édition pas comme les autres, celle de 2013. Entre conditions climatiques dantesques, parcours tronqué et vainqueur surprise, retour sur l’une des courses les plus folles du XXIe siècle.

Alors que la planète est touchée de plein fouet par l’évolution rapide du virus Covid-19, le monde du sport – et notamment du cyclisme – n’est pas non plus épargné. Annulations en cascade, reports à la pelle, aucun évènement sportif ne résiste à la pandémie actuelle. Si ces mesures exceptionnelles se sont intensifiées ces derniers jours, Milan – San Remo a été l’une des premières courses à voir sa tenue déclarée impossible. Une décision redoutée depuis plusieurs semaines et officialisée le 6 mars dernier. La Primavera cuvée 2020 sera donc une édition à part dans l’histoire du premier monument de la saison cycliste.

Ainsi, à l’occasion de ce 21 mars (date initiale de l’organisation de l’épreuve), Le Gruppetto vous livre – en lieu et place d’une véritable course – le récit de l’édition 2013, unique en son genre, et marquée par une météo dantesque, une interruption de la course, et la victoire surprise de l’Allemand Gerald Ciolek.

Une édition spéciale avant même le départ

Le départ de la course n’a même pas été donné que celle-ci occupe déjà une place à part. En effet, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les coureurs s’élanceront de Milan un dimanche, et non un samedi comme habituellement. La raison ? La volonté des organisateurs italiens d’attirer une audience télévisée plus importante, combinée au coût et à la difficulté de fermer les routes le temps de l’épreuve. Un premier changement – bien que mineur – qui pose les bases d’une course qui va se révéler être l’une des plus mémorables des temps modernes.

Au départ, un grand favori se dessine. Peter Sagan, star montante de la discipline, s’avance fort de deux victoires d’étape lors de Tirreno – Adriatico la semaine précédente. La première en dominant Mark Cavendish et le reste du gratin du sprint mondial. La deuxième en s’échappant en compagnie de Vincenzo Nibali et Joaquim Rodriguez, pointures chez les puncheurs-grimpeurs. Une polyvalence qui fait peur à ses adversaires. A commencer par sa bête noire Fabian Cancellara, deuxième l’année passée et vainqueur à San Remo en 2008. Le Suisse, véritable machine à gagner sur les classiques, se présente comme le principal adversaire du Slovaque. Autour de ce duo clivant, pléthore d’outsiders : Philippe Gilbert, Vincenzo Nibali, Mark Cavendish, ou encore Greg Van Avermaet pour ne citer qu’eux.

Turchino escamoté et coureurs dans les voitures

Les coureurs rentrent dans les bus au sommet du Turchino.

Dès le départ, six coureurs prennent la poudre d’escampette. Diego Rosa, Filippo Fortin et Matteo Montaguti qui courent à domicile sont accompagnés par le Danois Lars Ytting Bak, le Russe Maxim Belkov, et l’Espagnol Pablo Lastras. Sous une pluie battante, ils vont compter jusqu’à 12 minutes et 30 secondes d’avance. Et au kilomètre 117, coup de théâtre. La Classissicima est interrompue à Ovada, juste avant le début de la montée du Passo del Turchino. Les conditions climatiques dantesques ont raison du point culminant de la course, noyé dans la brume et la neige. Les images sont irréelles. Tous les coureurs, transis de froid, le visage marqué par la pluie, montent se réfugier dans leurs bus et voitures d’équipes. Une situation inédite qui aboutit à une interruption de l’épreuve de plus d’une heure et demie.

Certains repartent, d’autres pas. Pour Tom Boonen, les limites ont été dépassées. « Je suis coureur cycliste, mais une course comme celle-ci s’éloigne trop de ma conception du métier. Les premières heures ont pratiquement été inhumaines. Rouler à vélo des heures dans la neige n’est pas normal. » Le Belge quitte la course, non sans un tacle à cette neutralisation qu’il juge injuste : « Il y avait d’ailleurs près de cent coureurs largués lors de cette neutralisation. Mais on les a fait monter dans un bus afin qu’ils puissent repartir avec le groupe lors du départ bis. C’est notamment pourquoi j’estime qu’il ne s’agit plus d’une vraie course et que je préfère m’arrêter là ». Si la décision peut prêter à polémique, elle illustre surtout les conditions extrêmes auxquelles ont dû faire face les cyclistes.

Et Ciolek sortit du brouillard

De nombreux kilomètres plus loin (53 exactement), la course reprend avec ceux que l’on pourrait presque appeler des survivants. La neige a cédé sa place mais pas la pluie. Toujours aussi intense et glaçante. Les échappés repartent avec l’avance qui était la leur au moment de l’arrêt et tous ces gladiateurs des temps modernes – expression qui prend ici tout son sens – reprennent ainsi leur marche en avant vers San Remo. Alors que les abandons se multiplient (Vincenzo Nibali notamment), la bataille se déclenche réellement dans la Cipressa, pénultième difficulté de la journée. Les attaques se succèdent, avant qu’un trio composé de Sylvain Chavanel, Ian Stannard, et Eduard Vorganov ne se détache et aborde la montée du Poggio avec une poignée de secondes d’avance.

A 6,9 kilomètres de l’arrivée, Luca Paolini sort du peloton dans les plus forts pourcentages de la colline italienne. Derrière, c’est Peter Sagan qui fait l’effort pour rentrer. Suivent en file indienne dans sa roue Fabian Cancellara, Filippo Pozzato et… Gerald Ciolek qui s’arrache pour faire la jonction. A peine rentrés, c’est le premier cité qui contre. Une nouvelle fois, c’est le Slovaque de la Cannondale qui ramène le petit groupe. Pas avare en efforts, il réalise une descente de haute voltige pour revenir sur Chavanel et Stannard, toujours isolés en tête.

Six hommes ouvrent alors la marche. Pas pour longtemps puisque Stannard attaque instantanément. Une troisième fois, Sagan effectue le travail pour revenir. Décidant d’arrêter de subir, il contre à son tour. Mais Cancellara, collé à ses basques, revient quelques hectomètres plus loin. Stannard tente alors à ce moment de s’échapper une nouvelle fois. Pour la quatrième fois en moins de dix minutes, c’est Tourminator qui permet aux autres d’espérer se mêler à la victoire. Impressionnant de facilité, le Slovaque lance son sprint de loin. Il prend rapidement un vélo d’avance. C’est plié, pense-t-on alors. C’était sans compter sur Ciolek. Au prix d’un sprint fabuleux, il remonte Sagan mètre après mètre pour le coiffer sur la ligne. Dans la nuit tombante, l’Allemand exulte littéralement.

« Tous les coureurs qui ont couru ce Milan-San Remo l’ont gagné »

La surprise est de taille. Et c’est un euphémisme. Ses seules victoires d’importance avaient été acquises sur le Tour d’Allemagne et la Vuelta, toutes plus de trois ans en arrière. Surtout, ses quatre premières participations à Milan – San Remo se résumaient à une 27e place (en 2007), une 142e, et deux abandons. Mais Ciolek a réalisé la course parfaite. Des six hommes de tête, il est le seul à ne pas avoir produit le moindre effort, la moindre accélération. Un sens tactique impeccable, qui lui a permis d’aller chercher sa première – et unique – victoire sur une classique de niveau World Tour. Victoire qui a aussi été la première de l’histoire pour une équipe africaine (MTN-Qhubeka) sur un monument. Plus encore, il a tout simplement remporté l’une des courses les plus mémorables du XXIe siècle.

Côté statistiques, Milan – San Remo 2013 fut, du fait de sa neutralisation, l’édition la plus courte de l’histoire de l’épreuve. Mais, inversement (et malgré les conditions météorologiques), ce fut l’une des plus rapides de l’histoire en termes de vitesse moyenne – la dixième moyenne horaire la plus élevée pour être précis. Enfin, signe de sa difficulté terrible pour les coureurs, un tiers des partants n’a pas atteint la ligne d’arrivée. Avec 65 abandons, ce n’est rien de moins que le deuxième total le plus élevé au XXIe siècle.

Si les chiffres disent beaucoup de ce qu’ont vécu les coureurs, les intéressés restaient les mieux placés pour évoquer cette journée dantesque. Au moment d’évoquer les sensations sur le vélo, l’Espagnol José Joaquin Rojas n’avait pas hésité : « De ma vie, je n’ai jamais eu aussi froid qu’aujourd’hui ». Philippe Gilbert louait lui le courage des acteurs de cette invraisemblable course : « Quelle journée ! Tous les coureurs méritent de recevoir une médaille. Et beaucoup de respect ». Du côté de Fabian Cancellara, même son de cloche, plus tranché encore : « Tous les coureurs qui ont couru ce Milan-Sanremo l’ont gagné. La neige, le froid… on ne peut pas croire tout ce que l’on a rencontré ». Un beau résumé d’une course qui restera gravée dans les mémoires et les livres d’histoire. En espérant que l’édition 2020 ne la supplante pas dans ce domaine-là, en devenant la première à être victime d’une annulation pure et simple depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Par Quentin Douzery.

Photo : antonio bonomo / CC BY-NC-SA / bristol bike
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Re: Milan - San Remo 2013 : récit de l'une des courses les p

Messagepar Alexandre7894 » 21 Mar 2020, 17:32

Pour quelqu'un comme moi qui n'avait pas vu la course, c'est très bien résumé, bravo et merci :ok:
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Re: Milan - San Remo 2013 : récit de l'une des courses les p

Messagepar Geraldinho » 21 Mar 2020, 20:20

Wahou Top :ok: :ok: :ok:
Et je n'avais jamais vu ce cliché au moment où le sprint se lance :love:

J'ajouterai un petit détail au récit : si la course a été aussi rapide malgré le froid et la pluie, c'est que justement les échappées sont repartis après l'interruption avec la même avance qu'ils avaient sur le peloton au pied du Turchino alors que la distance par rapport à l'arrivée avait d'un coup considérablement diminué ce qui a obligé les Cannondale (Bodnar et Koren notamment) à chasser plein gaz ;) ;)
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Re: Milan - San Remo 2013 : récit de l'une des courses les p

Messagepar MaStErHaP » 22 Mar 2020, 14:11

Très joli résumé !

Sagan toujours dans les bons coup sur MSR sans jamais mettre au fond...
Sur 9 participations :
- 2 Deuxième place (dont 2013)
- 7 top 10
- Pire place 17e (pour sa première participation en 2011)
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Re: Milan - San Remo 2013 : récit de l'une des courses les p

Messagepar Kaizer Ulle » 11 Sep 2020, 14:47

Alexandre7894 a écrit:Pour quelqu'un comme moi qui n'avait pas vu la course, c'est très bien résumé, bravo et merci :ok:


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