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Alors que s’ouvre ce week-end la campagne des classiques flandriennes en la présence du diptyque Omloop Het Nieuwsblad – Kuurne-Bruxelles-Kuurne, Le Gruppetto s’interroge sur les différents enjeux des six semaines à venir. Au programme notamment : Alaphilippe, van der Poel, Sagan, et équipes françaises.

14 avril 2019. Vélodrome de Roubaix. Philippe Gilbert triomphe de l’Enfer du Nord et ajoute un quatrième monument différent à son immense palmarès. Les jours précédents, Mathieu van der Poel a pris rendez-vous avec l’avenir sur les pavés, Alberto Bettiol a créé une immense surprise sur le Tour des Flandres, et Peter Sagan a clairement marqué le pas après des années de succès éclatants. Voilà la situation dans laquelle nous avons laissé nos chers flahutes l’an dernier. Alors que ceux-ci remettent le couvert ce week-end à l’occasion des premières classiques pavées de la saison, nous nous posons six questions sur les courses à venir.

Julian Alaphilippe peut-il remporter le Tour des Flandres dès sa première participation ?

La petite bombe avait été lâchée sur les Champs-Élysées à l’arrivée du dernier Tour de France, que Julian Alaphilippe venait d’éblouir de son panache et son talent. Le Français allait découvrir de nouveaux horizons en 2020, et en premier lieu le Tour des Flandres. La suite logique de sa découverte des terrains non goudronnés, débutée la saison passée par une victoire éclatante sur les chemins blancs des Strade Bianche. Cette fois-ci, c’est donc aux pavés que le natif de Saint-Amand-Montrond va se frotter. À l’exception de deux passages sur les routes du Samyn il y a quelques années, il n’a jamais pris le départ de la moindre classique flandrienne. Un baptême du feu donc, qui pose inévitablement la question de ses chances de victoire, tant le Français transforme en or tout ce qu’il touche.

La première chose qui nous traverse l’esprit, c’est que cela s’apparente à une mission impossible. Les classiques flandriennes sont une affaire d’expérience et Julian Alaphilippe est un véritable novice à ce niveau-là. Deux chiffres retiennent principalement l’attention. L’âge moyen des vainqueurs de ces dix dernières années est situé à 30 ans lorsque le coureur de la Deceuninck – Quick-Step n’en a que 27. Mais surtout, jamais au cours des 20 dernières éditions un coureur ne l’a emporté à sa première participation. Pire, les plus précoces ne s’y sont imposés qu’à leur quatrième essai. Un saut dans l’inconnu qui pourrait donc être fortement préjudiciable au Français. Restent cependant les récentes exceptions Pedersen, Asgreen et van der Poel (respectivement 2e, 2e, et 4e pour leurs premières participations) pour remettre en perspective ces statistiques et rappeler que le cyclisme n’est – bien au contraire – pas qu’une affaire de chiffres. Surtout quand l’intéressé se nomme Alaphilippe et brille partout où il passe.

Ce premier point mis de côté, il reste la problématique du profil de la course. Le Tour des Flandres est, avec ses nombreux monts pavés, une affaire de puissance avant tout. Et si Alaphilippe reste un véritable équilibriste sur sa machine et que les pavés en eux-mêmes ne risquent pas de le désavantager (bien au contraire), il est de l’avis général qu’il ne faut pas être trop léger pour triompher sur le monument belge. En effet, ces dix dernières années, le poids moyen des coureurs étant montés sur le podium de la course s’approche des 76 kg. Soit 14 de plus que celui du Français. Tout sauf un élément négligeable. L’avantage en revanche, est que le quadruple vainqueur d’étape sur le Tour de France dispose ainsi d’un punch que ses adversaires n’ont pas. Un atout qui, combiné à sa pointe de vitesse au sprint, pourrait s’avérer déterminant dans le final s’il est parvenu à accrocher la roue des meilleurs. L’exemple le plus proche – en termes de profil de coureur – se nomme Alejandro Valverde, 8e l’an dernier pour sa première participation à 38 ans. Toutefois, si le résultat brut était remarquable, l’Espagnol n’avait jamais eu les moyens de peser sur la course.

Enfin, sa présence au sein de la Deceuninck – Quick-Step est à double tranchant. Si l’équipe possède un savoir-faire sur les classiques flandriennes unique en son genre, le collectif prime cependant sur l’individu. Autant dire qu’Alaphilippe sera bien entouré, mais qu’il ne sera pas pour autant le leader unique d’une armada composée entre autres des Stybar, Asgreen, Lampaert et Jungels. Avec un début de saison plutôt contrasté (abandon sur le Tour de San Juan notamment), il va falloir attendre son retour en Europe et plus particulièrement sa participation à A travers la Flandre (seule course pavée à son programme avant le Ronde) pour avoir une idée définitive des chances du Français.

Aurons-nous droit à une razzia de Mathieu van der Poel ?

Mathieu van der Poel avait remporté le Grand Prix de Denain en 2019 après une démonstration sur les pavés.

Nous avions laissé l’an dernier l’histoire entre les classiques flandriennes et Mathieu van der Poel sur une exceptionnelle 4e place de ce dernier lors du Tour des Flandres. Sûrement le plus fort ce jour-là, une chute à 60 kilomètres de l’arrivée avait ruiné ses espoirs de victoire. Ce néanmoins très beau résultat venait clôturer une première campagne de classiques plus que prometteuse : outre son abandon inaugural à Nokere après une chute, le Néerlandais avait signé deux succès ainsi que deux 4e places en l’espace de seulement quatre épreuves. Cette année, exit la Danilith Nokere Koerse et le GP de Denain, et place surtout aux classiques World Tour dont une première participation sur Paris – Roubaix. Uniquement la crème de la crème des épreuves pavées donc, et un appétit de glouton.

« J’espérais finir sur le podium mais je n’y suis pas parvenu. J’espère revenir ici pour lever les mains au ciel » avait-il déclaré au sortir du Ronde il y a 11 mois de cela. Une ambition à la hauteur de son talent, lui qui a la gagne dans le sang et qui sera l’un des grands favoris de chacune des classiques sur lesquelles il s’alignera ce printemps. Doté d’une pointe de vitesse assassine, de l’un des meilleurs jumps du peloton, et d’une habileté remarquable, il possède toutes les qualités pour être le grand bonhomme de cette cuvée printanière 2020. Ajouté à cela que sa nouvelle équipe Alpecin-Fenix (continuité de l’équipe Corendon-Circus de l’an passé) a, malgré son statut de Continentale Pro, très fière allure, il est difficile d’imaginer Van der Poel passer à côté de ses objectifs. Il aura ainsi à ses côtés des coureurs de la trempe de Dries De Bondt, Scott Thwaites ou Petr Vakoc, et pourra aussi compter sur la présence d’hommes rapides comme Tim Merlier et Sacha Modolo pour brouiller les cartes.

Seule la météo, annoncée exécrable pour le week-end d’ouverture (sa brutale perte d’énergie alors qu’il était dans le groupe de tête lors des derniers mondiaux, courus dans des conditions météorologiques dantesques, nous revient inévitablement en mémoire), ainsi que sa propension à courir sans trop réfléchir, semblent à même de lui jouer des tours dans l’optique d’une campagne sans partage. Une seule certitude en tout cas : la forme est au rendez-vous pour celui qui n’a été battu qu’à une seule reprise en cyclo-cross cet hiver.

Quels sont les espoirs des Français et des équipes françaises ?

Sénéchal bluffant, Démare décevant. Voilà comment il serait possible de résumer les classiques flandriennes l’an passé du côté français. L’un avait remporté sa première victoire professionnelle (Le Samyn) et impressionné sur Paris – Roubaix en prenant la 6e place, l’autre était passé au travers de toutes ses courses, n’étant jamais en mesure de peser sur le déroulé des épreuves. 

Le premier nommé tentera de confirmer cette saison. Sûrement le Français au plus fort potentiel, en progression constante, sa présence au sein de la Deceuninck – Quick-Step est un avantage certain. Mais pourrait aussi poser problème s’il est cantonné au rôle d’équipier. Nous devrions avoir une première idée du rôle qu’il aura à jouer dès ce week-end. Le second cité a fait des choix forts : seulement trois classiques à son programme, en la présence de Gand – Wevelgem, du Tour des Flandres, et de Paris – Roubaix. L’objectif ? Ne pas se disperser sur les monts pavés sur lesquels il est moins à l’aise, et se concentrer sur les courses qui lui correspondent le mieux. Avec un seul objectif, la gagne : « Mon but, c’est de lever les bras. Donc maintenant, mon objectif, c’est d’aller sur les courses où j’ai le plus de chances de gagner. C’est aussi simple que ça ».

Démare absent de la majorité des courses belges, c’est le Suisse Stefan Küng qui assurera le leadership au sein de la Groupama – FDJ. Auteur d’une campagne mitigée l’an dernier pour sa première saison au sein de l’équipe française, il veut passer un cap. Cela a déjà été aperçu lors des derniers mondiaux, terminés à la 3e place. Dans des conditions météo terribles, « King Küng » avait été tout simplement héroïque. Alors, quand on sait que le week-end d’ouverture devrait se courir dans des conditions très difficiles, les espoirs sont grands. Surtout que le natif de Wil est apparu en forme la semaine passée en Algarve (3e du chrono le dernier jour notamment). La formation de Marc Madiot pourra aussi compter sur Olivier Le Gac, très en vue depuis le début de saison.

Du côté de l’autre grosse équipe française, le Belge Oliver Naesen portera une nouvelle fois tous les espoirs d’AG2R La Mondiale. Impressionnant l’an dernier, une maladie survenue quelques jours avant le Tour des Flandres l’avait empêché de défendre pleinement ses chances lors des deux monuments pavés. Après de très nombreuses places d’honneur, il ne lui manque qu’une grande victoire. Il sera épaulé par Silvan Dillier et Alexis Gougeard notamment. Enfin, le Team Total Direct Énergie se voudra revanchard. Malheureux la saison passée avec l’abandon de leur recrue star Niki Terpstra durant le Tour des Flandres (indisponible ensuite pour Paris – Roubaix), l’équipe française aura à cœur de confirmer les espoirs que leur début de campagne avait laissé entrevoir. Avec un effectif presque inchangé mais toujours très homogène (Gaudin, Petit, Turgis, Van Gestel, Ligthart), les chances des hommes de Jean-René Bernaudeau sont réelles.

Déclin définitivement amorcé ou renouveau, sous quel signe sera placé la campagne de Peter Sagan ?

Peter Sagan n’a pas eu les résultats espérés en 2019 sur la campagne flandrienne.

Week-end d’ouverture zappé, un seul top 10 (5e de Paris – Roubaix), physiquement en-dedans, la campagne flandrienne cuvée 2019 de Peter Sagan fut (très) loin de ses standards habituels. Sa plus mauvaise depuis 2011 à vrai dire, lorsqu’il n’avait que 21 ans. Malade peu de temps avant le début des classiques, en plein divorce, faisant part d’une lassitude plus importante encore que d’habitude, les hypothèses quant à sa méforme étaient nombreuses. Mais le Slovaque s’était ensuite remis dans le bon sens à l’approche du Tour de France. Vainqueur d’un septième maillot vert à cette occasion (record absolu), la forme était meilleure. Jusqu’à être digne de ses plus beaux jours lors des mondiaux britanniques. Sûrement le plus fort ce jour-là, il s’était fait piéger tactiquement et avait fini 5e.

Cette année, le triple champion du monde se retrouve à la croisée des chemins de sa carrière. A 30 ans, après avoir tout gagné ou presque, face à l’émergence d’une nouvelle génération aux dents très longues, Sagan a décidé de chambouler quelque peu son année. Avec une première participation au Giro en mai notamment. Mais aussi avec un recentrage de ses objectifs sur ses courses fétiches, à savoir les classiques flandriennes. Dehors donc les quelques courses ardennaises auxquelles il prenait part ces dernières années.

Si son début de saison n’a pas été transcendant, semblant à la peine sur les différents sprints du Tour de San Juan, l’inquiétude n’est pas forcément de mise, tant le Slovaque est capable d’être fort sur les courses qui l’intéressent réellement. A choisir, il serait plutôt tentant de parier sur un rebond du Slovaque. Celui-ci va surtout aborder les courses – une fois n’est pas coutume – dans la peau d’un outsider, la lumière étant toute concentrée sur les nouveaux phénomènes tels que Van der Poel et Van Aert. Et c’est bien ce qui pourrait permettre à Peter Sagan de tirer son épingle du jeu, lui qui a souvent couru seul contre tous.

Nils Politt va-t-il franchir un palier supplémentaire et remporter sa première classique ?

27e en 2017, 7e en 2018, 2e l’année dernière, Nils Politt ne cesse de progresser sur Paris – Roubaix. A tel point qu’il a failli l’emporter en 2019, seulement battu au sprint par un Philippe Gilbert historique. Cette performance faisait suite à une campagne de classiques solide, ponctuée d’une 6e place sur le GP E3 et d’une 5e sur le Tour des Flandres. Déjà très à l’aise sur les pavés plats de l’Enfer du Nord, l’Allemand a aussi passé un cap sur les monts belges.

La suite logique est maintenant pour lui d’aller chercher un premier bouquet sur l’une des flandriennes. Jamais avare en efforts, véritable machine à rouler, doté d’une bonne pointe de vitesse, il n’a cependant gagné qu’à une seule reprise dans sa carrière professionnelle. Son sens tactique lui ayant déjà fait défaut, il faut espérer qu’il ait progressé sur ce point. Toujours est-il que le voir s’imposer ce printemps semble difficilement envisageable, tant la concurrence est féroce et son équipe Israël Start-up Nation moins équipée que d’autres pour l’aider dans ce but-là (les Belges Jenthe Biermans et Tom Van Asbroeck, ainsi que le Danois Mads Würtz Schmidt, devraient être ses principaux équipiers). Mais le voir continuer à progresser en allant chercher des places d’honneur plus régulièrement encore n’est pas à exclure, bien au contraire. Enfin, il est important de noter qu’il a changé d’équipe à l’intersaison, et que l’on ne sait pas comment cela affectera ses performances. Premiers éléments de réponse ce samedi à l’occasion du Het Nieuwsblad, où son meilleur résultat est une 19e place.

Les surprises de 2019 confirmeront-elles les espoirs placés en elles cette année ?

Alberto Bettiol avait crée la sensation en remportant le Tour des Flandres l’an passé.

Alberto Bettiol vainqueur devant Kasper Asgreen, absolument personne n’aurait pu parier sur un tel scénario lors du dernier Tour des Flandres. Le premier s’était imposé au terme d’une démonstration de force dans le Vieux Quaremont après une saison 2018 transparente. Le deuxième disputait son premier monument flandrien et a devancé tous ses équipiers de la Deceuninck – Quick-Step, véritable dream team au départ de l’épreuve. Une armada dans laquelle il était notamment possible de retrouver Bob Jungels. Le Luxembourgeois, vainqueur de Liège – Bastogne – Liège l’année précédente, avait décidé de s’essayer aux pavés. Bien lui en a pris, puisqu’il a entre-autres remporté Kuurne-Bruxelles-Kuurne et terminé 5e du GP E3 au terme d’incroyables démonstrations en solitaire.

La question maintenant est de savoir si ces trois hommes vont être capables de reproduire les mêmes performances dans les semaines à venir. S’il y en a un pour qui nous n’avons pas le moindre doute, c’est bien Kasper Asgreen. Le Danois n’a cessé d’épater tout au long de la saison, en brillant sur tous les types de terrains : montagne, contre-la-montre, et même sprint. Maintenant qu’il revient sur son terrain de jeu favori, dans la meilleure équipe flandrienne du plateau, le voir remporter sa première classique serait tout sauf une surprise.

Les doutes sont en revanche de mise pour les deux autres larrons. Bettiol, après son triomphe sur le Ronde, a traversé la suite de la saison de manière plutôt discrète. Son début de saison (2e de l’Etoile de Bessèges et vainqueur du chrono final) a au contraire été très bon. Difficile de dire à quoi s’attendre donc, surtout qu’il ne participera pas au week-end d’ouverture belge. Du côté de Jungels, la suite de sa saison a même été plus inquiétante. Transparent lors du Giro, dépassé en deuxième partie d’année, il a semblé vidé après sa campagne très prometteuse. Au sein d’une Deceuninck – Quick-Step extrêmement forte, il va falloir qu’il fasse ses preuves très vite s’il ne veut pas être relégué au simple rang d’équipier pour la suite des classiques. Enfin, impossible de ne pas dire un mot sur Mads Pedersen. 2e du Tour des Flandres en 2018. Il avait traversé 2019 tel un fantôme, avant de remporter les mondiaux en septembre à la surprise générale. Il sera donc attendu au tournant cette année.

Par Quentin Douzery.

Crédit photo : Flore Buquet
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Modérateur: Animateurs cyclisme pro

Re: Qu’attendre de la campagne des classiques flandriennes 2

Messagepar France » 29 Fév 2020, 10:00

Très bon article, très bien fait :up
Du même acabit que ton premier :ok:
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