Alors que Mathieu Van der Poel remet ce dimanche 2 février son titre mondial en jeu à Dübendorf (Suisse), une question se pose: l’ultra-domination du Néerlandais nuit-elle au cyclocross ? Ou l’immense popularité du coureur de 25 ans est-elle une chance pour cette discipline qui peine à s’exporter hors de la Belgique ? Essayons de peser ici le pour et le contre.
C’est désormais un classique des compétitions de cyclocross : Mathieu Van der Poel attaque, Mathieu Van der Poel part seul, Mathieu Van der Poel gagne avec une large avance sur tous ses adversaires. « MVDP » n’a connu qu’une seule défaite cette saison. Et pire qu’une écrasante domination comme un Sven Nys a pu déjà le faire par le passé, c’est dans la manière que le Néerlandais tue tout intérêt pour les courses auxquelles il participe en ne laissant aucun doute sur le résultat final.
Alors certes, cette saison nous avons eu Tabor où le départ du champion du monde loin sur la ligne a permis un beau suspense. Certes, nous avons eu Namur avec un duel incroyable contre Toon Aerts – peut-être la plus belle course de l’année – mais il faut dire que le cyclocross masculin est devenu particulièrement prévisible à suivre depuis plusieurs saisons. Wout Van Aert, le grand rival annoncé, n’a jamais réussi à vraiment tenir le rythme de Mathieu Van der Poel et faisait à peine illusion (même ses titres mondiaux étant plus souvent dus à une course ratée du Néerlandais que d’une capacité à le dominer le jour J).
On aurait pu imaginer que Wout Van Aert, tout auréolé de son incroyable saison sur route où il s’est imposé comme l’un des meilleurs rouleurs du monde et où il a remporté une étape du Tour de France, aurait passé un nouveau cap lui offrant une résistance plus grande à Mathieu Van der Poel. Mais les conséquences de sa chute à Pau n’ont fait que mettre davantage en lumière le gouffre entre Mathieu Van der Poel et le reste du peloton. On s’est pris à imaginer aussi qu’un Eli Iserbyt puisse se montrer à la hauteur du champion néerlandais après un incroyable début de saison. Vaine espérance. En l’état, il n’y a qu’une seule vérité à constater : Mathieu Van der Poel n’a aucun rival en cyclocross.
Une discipline encore peu internationalisée
Il est difficile de dire si le manque d’internationalisation de la discipline joue dans ce constat. A quoi ressemblerait le cyclocross actuellement si des Julian Alaphilippe, des Matteo Trentin, des Peter Sagan n’avaient pas abandonné les labourés ? Ou si un Zdenek Stybar ou un Lars Boom, qui ont voulu se consacrer à plein temps à la route après leurs titres de champion du monde, auraient-ils pu constituer une concurrence à la hauteur ? Difficile de trancher. Quand on voit Mathieu Van der Poel venir rivaliser avec la légende Nino Schurter en VTT malgré son gabarit un peu lourd pour la discipline, on peut douter que dans sa discipline phare quiconque puisse venir faire jeu égal.
Mais très clairement, n’avoir face à Mathieu Van der Poel que le contingent belge n’aide pas. Avoir des coureurs d’un peu partout dans le monde impliqués dans le cyclocross offrirait des chances beaucoup plus grandes de dégoter des pépites à même de venir le titiller. De même que, à l’instar de ce qui se passe chez les féminines, avoir quelques routiers et vététistes qui viendraient faire la fin de saison avec les championnats du monde en objectif permettrait de briser la monotonie de classements où l’on retrouve toujours les 5-6 mêmes coureurs, souvent dans le même ordre.
Parce qu’il est hypocrite de mettre l’ennui des dernières saisons de cyclocross – ce qui de manière plus concrète se retrouve dans une baisse des audiences – sur le seul dos de Mathieu Van der Poel. Comme à l’époque où Marianne Vos déposait tout le monde dans le premier tour, on pourrait avoir des luttes magnifiques pour les places sur le podium, permettant d’apprécier tout le talent technique de Van der Poel, tout en ayant un vrai suspens pour les places d’honneur. Après tout il faut reconnaître que Mathieu Van der Poel est spectaculaire, et que sa façon de rouler est un régal pour les yeux.
Seulement, derrière Mathieu Van der Poel, le peloton souffre d’un manque de variété dans le profil des coureurs. Pire, on a seulement 3 ou 4 équipes qui se partagent les miettes. Le coureur typique de cyclocross actuel est Belge, plus rarement Néerlandais, et est présent dans les classements depuis les juniors sans que son accession au plus haut niveau ne provoque aucun remous particulier. C’est terriblement monotone. Tous sont formés à la même école et perpétuent un entre-soi particulièrement compliqué à intégrer pour les coureurs étrangers.
L’UCI réforme la Coupe du monde
Mathieu Van der Poel n’est qu’un symptôme particulièrement puissant de l’appauvrissement du cyclocross. Il est probablement le meilleur cyclocrossman de tous les temps, et à ce titre reste passionnant à suivre sur chacune de ses courses, mais illustre les problèmes que la discipline traverse en ce moment. Ce n’est pas pour rien que le principal problème de l’UCI actuellement soit d’internationaliser le cyclocross, notamment grâce à sa réforme de la Coupe du monde. Réforme dont l’efficacité s’avère déjà douteuse avec certaines courses renonçant à organiser une Coupe du monde face aux frais demandés, comme en Suisse, ou annulant carrément la compétition n’ayant plus la place d’exister dans le calendrier comme La Mezière ou Lanarvily.
A contrario, si un Mathieu Van der Poel provoque un peu d’ennui, sa médiatisation fait beaucoup pour populariser le cyclocross auprès du grand public. Dans un contexte où le cyclocross a besoin de nouvelles têtes, et où des Thomas Pidcock, Kevin Kuhn ou Antoine Benoist incarnent un renouveau de la discipline, Mathieu Van der Poel est une formidable publicité pour le cyclocross. Que des jeunes de tous les pays puissent être inspiré par son exemple est le meilleur moyen pour que le peloton cyclocross masculin perdure au-delà du modèle économique belge.
Par Johann Peyrot.
Crédit Photo: Frans Peeters