Écrit le par dans la catégorie Courses, Les forçats de la route.

Année olympique oblige, Le Gruppetto se plonge dans le récent passé d’une course unique en son genre, seulement ouverte aux professionnels depuis 1996 et toujours difficile à apprivoiser. Disputée il y a vingt ans, la course de Sydney déroule le récit d’une fuite en avant passionnante, soldée par le triomphe de Jan Ullrich et des coureurs de la Telekom.

La course olympique est une curiosité calendaire dans le milieu du cyclisme sur route professionnel. Elle vient là, tous les quatre ans, chambouler programmes et objectifs. S’inscrivant dans le cadre du plus grand événement sportif planétaire, elle se plaît à brouiller les repères et édicter des règles à même de répandre le désordre dans le peloton, comme ces équipes nationales réduites.

Une curiosité chassant l’autre, il est d’usage que les Jeux olympiques d’été disputés dans l’hémisphère sud se déroulent au milieu du printemps. En s’arrogeant la deuxième quinzaine du mois de septembre, les jeux de Sydney ne font pas exception. Et si les suiveurs ont aujourd’hui pris l’habitude d’observer les cyclistes parmi les premiers sportifs à s’élancer dans l’arène olympique, le chevauchement de la compétition avec le Tour d’Espagne avait imposé aux organisateurs de retarder les épreuves sur route aux derniers jours de septembre.

C’est donc le 27 septembre 2000, six jours avant la fin des Jeux, huit jours après le dénouement de la Vuelta, et vingt jours avant les championnats du monde de Plouay, que s’est disputée l’épreuve masculine en ligne. Au menu, 239 kilomètres légèrement vallonnés à avaler en 14 boucles organisées dans la ville hôte, du front de mer de Bronte Beach au Centennial Park, dont la traversée est l’attraction majeure du parcours.

Contrairement à la course féminine qui s’est déroulée la veille sous une pluie battante (sacrant dans un sprint en peloton réduit la star néerlandaise Leontien van Moorsel), le soleil se fait plus insistant au départ des hommes. Quasiment tous les champions se sont donné rendez-vous sur la ligne, y compris les plus inattendus, à l’image d’un Marco Pantani dont la sélection en équipe d’Italie a bouté des coureurs du calibre d’Andrea Tafi ou Davide Rebellin hors des JO.

La course met un temps à démarrer, avec l’échappée tranquille du concurrent kirghize Eugen Wacker (qui remportera le Herald Sun Tour quelques semaines plus tard) et d’Orlando Rodrigues, ancien champion du Portugal et lauréat de son Tour national. Plus tard rejoints par le champion de Pologne Piotr Wadecki (7e à l’arrivée) et son coéquipier lituanien Remigius Lupeikis (de la formation Mróz – Supradyn Witaminy), ils seront rapidement revus au moment d’initier une folle seconde partie de course.

Des échappées essaient de se constituer à mesure que s’enchaînent les tours de circuit (Richard Virenque se glissant dans l’une d’elles), jusqu’à ce qu’un groupe comprenant des coureurs de la trempe de Pavel Tonkov (3e de la récente Vuelta), Laurent Jalabert, Stuart O’Grady, Jaan Kirsipuu, Fred Rodriguez, Axel Merckx, Laurent Dufaux, Zbigniew Spruch (futur vice-champion du monde), Alexandre Vinokourov ou encore Andreas Klöden, ne prenne les devants. S’ensuit alors une course poursuite interminable où chacun espère s’extirper du groupe principal pour rejoindre cette échappée au fort potentiel médaillable.

Les entreprenants puncheurs italiens Bartoli et Bettini réalisent la jonction, tout comme Jan Ullrich, vigilant. À l’amorce de l’avant-dernier tour où sera portée l’attaque décisive pour l’obtention des médailles, c’est un groupe de 21 coureurs qui ouvre la route, avec une avance raisonnable compte tenu du calibre des compétiteurs qui le composent. Il ne sera jamais revu par un peloton groupé.

Ullrich lance son attaque à un tour et demi de l’arrivée. Klöden et Vinokourov, ses coéquipiers de la Telekom, sont les seuls à avoir la jambe pour répliquer. Ni l’activité incessante de Bartoli et Bettini, ni la vigilance et le sens tactique aiguisés de Jalabert, ne seront à la hauteur des médailles. Pointés à plus de 40 secondes de la tête lorsque sonne la cloche du dernier tour, leurs Jeux sont faits.

En supériorité numérique, les Allemands ne font qu’une bouchée de Vinokourov dans la quête de l’or olympique, au bénéfice de l’ogre de Rostock. Dans la confusion du final, Lance Armstrong se plie en quatre pour George Hincapie. Mais les deux Américains réalisent trop tard qu’ils viennent de rejoindre, non pas le groupe des médaillables, mais celui des premiers battus, qui survivra tout juste au peloton pour rafler les honneurs déçus.

Ce triomphe olympique des coureurs de la Telekom tient en partie sa source de la Vuelta, ouvertement utilisée à des fins préparatoires par chacun des médaillés. La majorité des protagonistes attendus de ces Jeux avaient privilégié le tunnel de semi-classiques italiennes pour arriver en bonne forme à Sydney. Le déroulement de la course a donné raison au pari du Grand Tour disputé en tremplin. Les deux champions allemands ont ainsi accumulé les kilomètres en course avant de quitter l’épreuve espagnole en milieu de deuxième semaine. Icône kazakhe, Vinokourov a lui terminé les trois semaines de course en engrangeant une confiance bienvenue. Les trajectoires individuelles des trois médaillés olympiques ont su donner corps, le jour venu, à cette dynamique collective incroyable.

Comme à l’accoutumée, Jan Ullrich a passé la saison à chasser son poids de forme en vue du Tour de France, où il s’est malgré tout nettement fait dominer par Lance Armstrong, à défaut de terminer l’épreuve dans un état plus rôti que le Texan. Sa fraîcheur lui vaut de remporter aisément la Coppa Agostoni, de s’incliner de peu devant Dufaux lors du Championnat de Zurich, avant de prendre le départ de la Vuelta où il se signale brièvement (3e d’une arrivée pour puncheurs).

Transfuge de la formation Casino, pour laquelle il a remporté le Critérium du Dauphiné l’année précédente, Vinokourov représente le champion tout-terrain idéal pour participer aux succès de la Telekom en compagnie des icônes du cyclisme allemand Ullrich et Zabel. 15e du Tour de France au service de ses leaders mais frustré d’une saison sans victoire, il saisit sa chance sur la Vuelta et finit par trouver l’ouverture en dernière semaine, disposant, à l’issue d’un tracé vallonné arrivant à Ciudad Rodrigo, de ses compagnons d’échappée Roberto Laiseka et José García Acosta.

Lauréat de Paris-Nice et du Tour du Pays Basque au printemps, Andreas Klöden s’affirme l’année de ses 25 ans comme l’un des tous meilleurs espoirs mondiaux sur les courses à étapes. Deuxième du Tour du Danemark pour son retour à la compétition, le futur médaillé de bronze a traversé la Vuelta dans l’anonymat du groupe des plus costauds sur les arrivées un peu heurtées.

Trois ascensions pas toutes faites du même métal, mais qui le temps d’une olympiade, relèvent bien là de l’essentiel.

Par Alexandre Bardin (@AlexandreBardin)

Crédit photo : Frédéric Haslin via Getty Images

 

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Re: Triplé austral

Messagepar Tilo » 23 Jan 2020, 18:55

Top récit et bien ecrit
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Re: Triplé austral

Messagepar Geraldinho » 24 Jan 2020, 10:15

Top :up

Manque juste un peu plus de photos pour illustrer le récit ;)
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Geraldinho
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