Alors que nous sommes à l’aube d’une nouvelle décennie de cyclisme, un constat s’impose: la jeunesse a pris le pouvoir en 2019, avec l’explosion au plus haut niveau d’une multitude de talents exceptionnels. Retour sur les exploits à répétition des cinq figures de proue de cette génération dorée que sont Remco Evenepoel, Tadej Pogačar, Egan Bernal, Mathieu van der Poel et Wout van Aert
Wout van Aert couvert de boue de la tête aux pieds à côté de son vélo, l’image est plutôt courante. Spécialiste du cyclo-cross, le Belge a remporté son troisième titre de champion du monde consécutif en février 2018. Mais un mois plus tard, l’image est saisissante et fait le tour des médias sportifs. Et pour cause, van Aert, au comble de l’épuisement, vient de chuter de son vélo dans la montée finale de la 12e édition des Strade Bianche, cette épreuve sur route qui arpente les chemins blancs de Toscane. Dans des conditions météorologiques épouvantables, le jeune Belge de 23 ans remonte sur sa machine et coupe la ligne en 3e position. Un réel exploit, puisque qu’il ne participe là qu’à la deuxième classique World Tour de sa carrière. Quelques semaines plus tard, il se classe respectivement 9e et 13e des deux monuments du cyclisme que sont le Tour des Flandres et Paris-Roubaix. Une première sortie sur route chez les grands plutôt réussie.
Egan Bernal, grimpeur Colombien né en 1997, sait lui aussi réussir ses débuts. Cinq courses d’une semaine sont à son programme pour sa première saison avec Sky, équipe mastodonte du circuit mondial. Il en remporte deux – son tour national et le Tour de Californie – et finit dans le top 10 du classement général de deux autres. Il épate également en finissant parmi les quinze premiers de ses premiers Tour de France et Tour de Lombardie. Des prouesses qui se contentent de justifier les immenses espoirs placés en lui.
Pendant ce temps-là, le Slovène Tadej Pogačar remporte le Tour de l’Avenir tandis que le Belge Remco Evenepoel signe un retentissant doublé contre-la-montre – course en ligne aux Championnats du monde juniors. 2018 fut l’année de la – relative – découverte de ces jeunes talents. 2019 a été celle de leur explosion au plus haut niveau. Cinq hommes, cinq actes, retour sur une saison marquée par la précocité et le talent de ses acteurs.
Acte I – Promesses

Dimanche 3 février 2019. La 70e édition des Championnats du monde de cyclo-cross se tient à Bogense au Danemark. C’est l’occasion d’assister une nouvelle fois au duel au sommet entre Wout van Aert et le Néerlandais Mathieu van der Poel. Les deux prodiges règnent sans partage sur la discipline, en attestent ces chiffres à donner le tournis : lors des quatre dernières saisons de Coupe du monde, ils ont remporté à eux deux 85% des épreuves disputées. Plus impressionnant encore, une seule course s’est soldée par l’absence simultanée du podium des deux champions. Et leur domination s’étend aussi aux grands championnats. Ils se sont en effet partagé les quatre dernières couronnes mondiales. Avantage van Aert qui mène trois à un dans ce combat des chefs.
Mais le fils de l’ancien coureur cycliste Adrie van der Poel a écrasé les manches de Coupe du monde sans relâche durant l’hiver, et se pose en grand favori. Dans la boue, la sueur, et les larmes, à pied sur la ligne d’arrivée, van der Poel ne craque pas et s’impose avec brio pour aller chercher son deuxième titre de champion du monde, quatre ans après le premier. Juste derrière, van Aert évidemment. Une hégémonie que l’un comme l’autre ont pour ambition d’étendre, là-bas, de l’autre côté des fourrés. En effet, pour la première fois de leurs carrières, ils s’apprêtent à poursuivre leur affrontement sur la route. La promesse d’un grand spectacle.
La saison sur route, elle, a déjà débutée il y a quelques semaines de cela à l’autre bout du globe, lors du Tour Down Under. En Australie, Tadej Pogačar participe à sa première course cycliste dans la peau d’un professionnel. Un bizutage tout à fait honorable, conclu à la 13e place du classement général. Il ne faut pas attendre beaucoup plus longtemps pour avoir un aperçu encore plus grand de son talent. Un mois après débute la 45e édition du Tour d’Algarve. Au départ, des coureurs réputés tels que Wout Poels, Enric Mas ou Sam Oomen. Et bien évidemment, notre jeune Slovène. Celui-ci dame le pion aux favoris dès la première arrivée au sommet et s’empare du maillot de leader. Tout aussi impressionnant ensuite lors d’un contre-la-montre dans les rues de Lagoa, il ne le lâche plus jusqu’à l’arrivée. A 20 ans et 156 jours, il devient tout simplement le plus jeune vainqueur de l’histoire de l’épreuve. La promesse d’un très bel avenir.
1 800 kilomètres plus loin et quatorze jours plus tard, c’est le « vrai » début de la saison cycliste pour certains puristes. Au programme, Paris-Nice, 77e édition du nom. Cette année, plus encore que d’habitude, la course au soleil n’a d’ensoleillé que le nom. Les premiers jours de course sont marqués par une météo exécrable et de violentes rafales de vent. Un temps de flahute en somme.
Pourtant, lors de la 2e étape vers Bellegarde, alors que le peloton se morcelle minute après minute sous l’effet des caprices d’Éole, c’est un Colombien d’à peine 60 kilos qui sort du lot. Egan Bernal – puisque c’est bien de lui dont il s’agit – dont l’on connaissait déjà les prédispositions lorsque la route s’élève, participe en personne à éparpiller ses concurrents à la victoire finale, alors même que son terrain de jeu favori n’a pas pointé le bout de son nez. Son coéquipier Luke Rowe, à l’arrivée de cette folle journée, résumait au mieux le talent du natif de Bogota : « Je lui expliquais à peine ce matin comment remonter dans une bordure, comment courir dans le vent et, lui, il se balade comme s’il avait toujours fait ça ». Impressionnant sur le plat, Bernal domine la course de la tête et des épaules, se montrant impérial sur tous les autres terrains. Du Contre-la-montre à son sang-froid implacable en passant par la haute montagne, sa victoire porte le sceau de la polyvalence.
Le coureur du Team Sky (futur Ineos) devient là le troisième Colombien à inscrire son nom au palmarès de l’épreuve, cinq ans après le pionnier Carlos Betancur, et seulement deux après son ex-équipier Sergio Henao. Une domination naissante de la Colombie sur l’épreuve, illustrée à la fois par l’impression laissée au sommet du Col de Turini cette année (doublé Colombien en la présence de Daniel Felipe Martinez et Miguel Angel Lopez, tandis que Bernal et Quintana distançaient la totalité de leurs concurrents au classement général) et par la statistique suivante. Excepté l’Espagne, aucune nation n’a remporté la course autant de fois au XXIe siècle. Côté statistique toujours, il faut remonter en 1981 en la personne de l’Irlandais Stephen Roche pour trouver trace d’un vainqueur plus précoce qu’Egan Bernal. Et avant lui, seul le Français René Vietto en 1935 s’était imposé à un âge moins avancé. La promesse d’une saison exceptionnelle.
Acte II – Exploits

Exceptionnelle. L’adjectif sied aussi à la perfection à l’odyssée italienne du Français Julian Alaphilippe en début de saison. Victoire sur les Strade Bianche. Double vainqueur d’étape pendant Tirreno-Adriatico. Triomphe lors de Milan-Sanremo. Durant deux semaines, le coureur de la Deceuninck – Quick-Step marche sur l’eau, emporte tout sur son passage, et s’impose comme le meilleur coureur au monde.
Mais revenons à sa victoire sur la Primavera. Alors que la course s’est résumée à une longue et ennuyante procession à travers le Piémont italien durant 280 kilomètres, le natif de Saint-Amand-Montrond place une attendue mais violente attaque dans le Poggio, cette mythique colline sur les hauteurs de Sanremo, véritable concentré d’adrénaline et d’émotions, dont le sommet se situe à 5,4 kilomètres de l’arrivée. Kwiatkowski, Sagan, Valverde, Naesen ou autres Trentin parviennent à suivre non sans mal. Ainsi qu’un septième homme qui vient compléter ce groupe royal. Un septième coureur dont l’identité reste pourtant inconnue durant plusieurs minutes.
“There is a rider from Jumbo-Visma”. Les images le montrent, les commentateurs anglo-saxons le déclarent, le coureur en question fait partie de la Jumbo-Visma. Pas de nom pour autant. Quelques dizaines de secondes plus tard, rebelote. “There is also a rider from Jumbo-Visma in the front group”. Toujours cette certitude, toujours pas de nom. “[…] Also the rider from Jumbo-Visma”. Alors que le groupe de tête fonce tambour battant dans la descente, l’inventaire est une nouvelle fois fait. Toujours un seul coureur dont l’identité est inconnue. “I know they have some Danny Van Poppel, they have some Jos van Emden… they have some very very good riders capable of doing very big things”. Tandis que le Slovène Matej Mohoric réalise un numéro de haute voltige pour faire la jonction, les voix anglaises s’essaient quant à elles à l’énumération des possibilités de l’équipe néerlandaise.
Puis, une autre hypothèse émerge. “Wout van Aert is in that team today”. Le Belge prenait en effet le matin même le départ de son premier Milan – Sanremo. La réalisation italienne affiche quelques instants plus tard la composition de la tête de course. Et confirme la dernière idée formulée. “So it’s Wout van Aert… Wout van Aert is in the break at the front”. Le Flamand ferme en effet la marche du groupe de sept, à la grande surprise des commentateurs. La scène a duré deux minutes et quarante secondes. Deux minutes et quarante secondes d’attente depuis l’attaque de Julian Alaphilippe, deux minutes et quarante secondes durant lesquelles la télévision anglaise est restée dans l’inconnue concernant ce septième homme.
Si ce long moment de flottement n’a pas été aussi important chez d’autres médias ou pour certains téléspectateurs, la scène, elle, reste très symbolique. Elle illustre parfaitement la surprise de retrouver van Aert à ce niveau-là de la course, lui le cyclo-crossman qui n’était pas attendu pour briller sur la course la plus longue de la saison, bien peu adaptée à ses supposées caractéristiques. Cette course, il la conclut à la 6e place finale, non sans avoir été acteur dans le final à travers les rues de Sanremo. Alors que Matteo Trentin s’était fait la malle, c’est lui qui au prix d’un effort impressionnant ramena le reste des prétendants à la victoire. Seulement débordé lors du sprint sur la Via Roma, son résultat est tout aussi bluffant qu’il est annonciateur d’une grande forme pour les classiques flandriennes à venir. Plus encore, il est à l’image de sa saison : ponctuée de prestations toujours plus inattendues qu’impressionnantes.
Les classiques flandriennes, Tom Boonen les a domptées. Quatre fois vainqueur de Paris-Roubaix, trois fois du Tour des Flandres, le Belge est la référence ultime au XXIe siècle. Alors, quand il donne son avis sur Wout van Aert, sa parole est d’or. « Je suis sûr qu’on pourrait voir van Aert gagner le Tour des Flandres cette année. Je pense que Stybar et van Aert sont les deux meilleurs coureurs du monde actuellement ». En deux phrases, l’ex-coureur emblématique de la Quick-Step illustre à merveille le changement de dimension de van Aert dans le monde du cyclisme. Celui qui était vu comme un potentiel outsider un an auparavant, fait maintenant partie des grands favoris aux yeux de tous.
Les résultats ne suivent pourtant pas totalement. Alors qu’il avait impressionné à Harelbeke en prenant la 2e place du Grand Prix E3, qu’il s’était montré le plus fort dans le Kemmelberg sur Gand-Wevelgem, le triple champion du monde de cyclocross déçoit en terminant 14e du Ronde.
Mais s’il y a bien une course qui résume sa campagne de classiques, c’est l’Enfer du Nord. Gêné dans la trouée d’Arenberg, il est victime d’un problème mécanique. Alors que la course est belle et bien lancée, alors qu’aucun équipier ne l’attend, il revient comme une balle sur le peloton, virevoltant sur les pavés abimés. Et chute. Bêtement, dans un virage, juste après avoir fait le choix de changer de vélo. Mais il en faut plus pour abattre le Belge. Il remonte sur sa monture, cravache, zigzague entre les voitures des directeurs sportifs, et, une nouvelle fois, reprend sa place au sein du groupe des favoris. Sans temps mort, il place une attaque dans les kilomètres qui suivent et s’isole en tête de course en compagnie de cinq autres coureurs. Cinq coureurs qui vont finir aux cinq premières places du monument français tandis que lui va payer ses innombrables efforts. Lâché par ses compagnons d’aventure, il finira par se faire avaler et distancer irrémédiablement par ce qu’il reste du peloton.
Sa course se solde par une anecdotique 22e place finale, à quasiment deux minutes de son compatriote Philippe Gilbert. Ses mots à l’arrivée sont peu nombreux : « Je suis mort […] Je suis complètement fini… je suis mort ». Incapable de poursuivre plus longtemps une quelconque interview, il reste de longues minutes allongé au sol. Sa souffrance et son épuisement la ligne d’arrivée franchie resteront comme l’une des images marquantes de cette 117e édition. Son panache et son sens de l’abnégation aussi.

Une semaine plus tôt, il croisait le fer sur le Tour des Flandres avec son meilleur ennemi Mathieu van der Poel. Tandis que le Belge ne parvenait pas à faire la différence sur les monts pavés au sein d’un peloton de favoris ultra homogène, le Néerlandais réalisait l’un des plus grands exploits de la saison cycliste.
Tombé à 60 kilomètres de l’arrivée, resté de très longues secondes au sol, grimaçant de douleur en se tenant l’épaule gauche, on pensait la course de van der Poel terminée. Puis la magie opéra. Tandis que la bataille avait commencée à l’avant, que le peloton maigrissait à vue d’œil après le passage de chaque berg, on vit le champion des Pays-Bas remonter les coureurs un à un, sans l’aide de quiconque. Pour finalement reprendre sa place en tête de course. “He’s back in the system”. La déclaration, signée Jacky Durand en plein direct, fit sourire. Que le lapsus fût l’effet de la surprise, de l’admiration, ou tout simplement de l’émotion, il résumait quand même très bien la donne. Le coureur de la Corendon-Circus n’était pas de retour dans le système, mais bien dans le jeu pour la gagne. Impensable vingt kilomètres plus tôt.
Seulement, c’était sans compter sur Alberto Bettiol. L’Italien, dans la forme de sa vie, attaqua dans le Vieux Quaremont et ne fut jamais revu. Sans aucun doute la plus grosse surprise du jour. L’autre, fut la puissance développée par van der Poel dans le Paterberg. Impressionnant d’aisance, dans un style ultra fluide (dans la limite proposée par les pourcentages affreux de ce mont court et extrêmement raide), il déposa tous les favoris restants. Malgré tous ses efforts antérieurs, il était quand même le plus fort des autres. Repris ensuite, il se permit quand même de prendre la 2e place du sprint des battus. Les quelques Sagan, van Avermaet et Naesen faisaient bien pâle figure face à l’insolente fraicheur affichée par le Néerlandais. Que ce serait-il passé s’il n’avait pas chuté ? Nul ne le sait, mais van der Poel, lui, prenait déjà rendez-vous avec l’année prochaine à l’arrivée : « Je me suis surpris aujourd’hui. Je suis fier plus que déçu après cette course. C’est, d’une manière, une occasion gâchée mais je suis satisfait. […] Là, je suis déçu de ne pas être sur le podium. Avec le recul, la victoire était également possible. Avec le recul… c’est évidemment toujours facile. J’espérais finir sur le podium mais je n’y suis pas parvenu. J’espère revenir ici pour lever les mains au ciel ».
Les mains, ils les avaient tout de même levées les semaines précédentes. Pris dans une chute sous la flamme rouge à Nokere pour sa première classique de l’année, il avait réglé la mire 4 jours après en s’imposant en solitaire sur le GP de Denain. Puis, à l’attaque dans le Baneberg en compagnie de Wout van Aert sur Gand-Wevelgem, il en prenait finalement la 4e place, en ayant été considérablement gêné dans le sprint final. Enfin, il remportait A travers la Flandre quelques jours avant le Tour des Flandres. Une première classique World Tour enlevée avec la manière, en attaquant à près de soixante kilomètres de l’arrivée, et en surclassant au sprint les quelques coureurs qui étaient parvenu à suivre sa roue.
Revenons maintenant au présent. Nous sommes le 21 avril, et Mathieu van der Poel se présente au départ de l’Amstel Gold Race, le dernier objectif de son printemps sur route. Impressionnant les semaines précédentes, il fait partie des grands favoris. Tout feu tout flammes comme à son habitude, il enflamme la course de très loin. Une attaque dans le Gulperberg à 45 kilomètres de l’arrivée, que seul Gorka Izagirre suit. Derrière, la Deceuninck – Quick-Step de Julian Alaphilippe s’organise et revient sur le duo au pied de la difficulté suivante. Difficulté dans laquelle Dries Devenyns (équipier d’Alaphilippe) fait exploser le peloton, son leader dans la roue. Dans la bosse qui suit, c’est le Français lui-même qui fait parler la poudre. Un seul homme parvient à s’accrocher, en la personne de Jakob Fuglsang.
Et van der Poel dans tout ça ? Payant ses efforts des minutes précédentes, il se retrouve relégué à un troisième échelon de la course. Les kilomètres qui suivent vont se résumer à un immense bazar sur les routes néerlandaises. Derrière le duo franco-danois, les attaques se multiplient, les écarts ne cessent de fluctuer, et l’on retrouve des grappes de coureurs à tous les étages de la course. Alors que la course est complètement décousue, c’est l’improbable – l’absurde même – qui s’en empare.
Quatre kilomètres de l’arrivée. 45 secondes. C’est l’avance d’Alaphilippe et Fuglsang sur leurs plus proches poursuivants à cet instant de la course. Moment que choisit le coureur d’Astana pour arrêter de coopérer. Le Français se retrouve alors seul à travailler.
Deux kilomètres de l’arrivée. 30 secondes. L’écart diminue, l’entente entre les deux hommes de tête s’étant bien dégradée. Pas question pour autant d’imaginer un quelconque autre coureur s’imposer, Alaphilippe continuant d’imposer un rythme soutenu.
Un kilomètre et demi de l’arrivée. 20 secondes. Comme s’ils étaient seuls au monde, les duellistes arrêtent littéralement de rouler pour se regarder. L’écart se met alors à fondre à vitesse grand V. Le Polonais Michal Kwiatkowski, sorti seul en contre, est en train de rentrer.
Flamme rouge. 5 secondes. Scène délirante. Alors qu’Alaphilippe et Fuglsang entament l’ultime ligne droite, la moto qui les suit se retourne. Kwiatkowski entre dans le champ de celle-ci comme une balle. Une fraction de seconde plus tard, c’est un groupe composé d’à peine 10 unités que l’on voit apparaître. Stupéfaction en direct. Sans informations sur ce groupe depuis plusieurs kilomètres, le voilà qui fond maintenant derrière le désormais trio de tête.
500 mètres. 0 seconde. Le Polonais du Team Sky, carbonisé, lance le sprint de très loin. Derrière, revenu d’entre les morts, c’est Mathieu van der Poel qui emmène ce qu’il reste des favoris dans sa roue. Personne n’arrivera à le dépasser. Quasiment à bloc depuis déjà 300 mètres, il déclenche son effort en même temps qu’Alaphilippe juste devant lui. Il efface le Français avec une facilité affolante, poursuit son effort, et franchit la ligne en première position.
Maillot de champion des Pays-Bas sur le dos, à domicile devant une foule en délire, le Néerlandais réalise là un exploit invraisemblable. Vainqueur vingt-neuf ans après son père, il marque de son empreinte cette folle édition, et laisse bouche bée la totalité des observateurs. Lui-même n’en revient pas, se tenant la tête dans les mains au passage de la ligne, le déclarant à l’arrivée : « Cela m’arrive rarement de ne pas réaliser l’impact qu’une victoire va avoir […] Je n’ai pas les mots […] Je tombe de surprise en surprise (lorsqu’il évoque ses précédentes victoires cette saison) ».
Cette victoire vient conclure une première expérience exceptionnelle sur les classiques. Aligné sur sept courses d’un jour de mi-mars à mi-avril, il en remporte quatre et prend la 4e place de deux autres. Une réussite impressionnante, illustrée parfaitement par cette statistique : il est devenu le 8e coureur – seulement le deuxième sur les 30 dernières années – à remporter l’Amstel Gold Race lors de sa première participation. Enfin, signe de sa polyvalence, il est rentré dans le club très fermé (ils sont maintenant quinze dedans) des vainqueurs du Tour des Flandres ou de l’Amstel Gold Race qui ont terminé parmi les quatre premiers de l’autre épreuve la même année.
Acte III – Confirmations

Non content d’avoir réalisé un printemps sur route grandiose, van der Poel se lance dans la Coupe du monde de VTT moins d’un mois après. Les résultats ne tardent pas, puisque le 19 mai à Albsadt en Allemagne, le Néerlandais prend la 2e place de la première épreuve de la saison. La veille, de l’autre côté de l’Atlantique, un jeune Slovène confirme ses belles performances réalisées quelques mois plus tôt.
Tadej Pogačar vient en effet de remporter le Tour de Californie, déjà la deuxième course par étapes de sa jeune carrière. Comme en Algarve trois mois plus tôt, il devient le plus jeune vainqueur de l’histoire de l’épreuve, avec près de 270 jours d’avance sur un Egan Bernal qui avait placé le record très haut l’année précédente. Surtout, le coureur de l’UAE-Team Emirates s’impose comme le plus jeune vainqueur d’une course à étapes de niveau World Tour.
Plus que le résultat, c’est la manière avec laquelle le Slovène gagne qui impressionne. Extrêmement mature pour son âge (il faut quand même rappeler qu’à l’exception de la pépite belge Remco Evenepoel, aucun coureur n’est aussi précoce dans le peloton World Tour), il court avec des attitudes de grand leader rempli d’expérience. Pour preuve, lors de cette semaine américaine, il ne s’est jamais fait piéger par son placement, en étant constamment classé parmi les vingt premiers de chaque étape. Et quand la Deceuninck – Quick-Step a tenté de renverser la course le dernier jour, il a peu paniqué et s’en est remis à son équipe : « L’étape a été difficile, comme toutes les étapes de la semaine. Je me suis retrouvé seul dans le col, puis quand Asgreen est parti, j’ai commencé à m’inquiéter un peu. […] Mais je savais que mon équipe était assez costaude pour faire revenir le peloton sur la tête de la course, et mes coéquipiers ont répondu présents ». Un sang-froid à toute épreuve, signe caractéristique des grands champions.
La capacité à répondre présent lorsqu’ils sont attendus est une autre qualité des meilleurs coureurs de la planète. A l’échelle de sa (très) jeune carrière, Pogačar coche pour l’instant aussi cette case. Il déclarait en effet à la fin de l’épreuve que « cette course était son objectif majeur de l’année ». Objectif rempli avec cette victoire au général donc, assortie d’un succès lors de l’étape reine qui arrivait au sommet du Mount Baldy. Excepté un certain Peter Sagan, personne n’avait remporté une étape sur les routes californiennes à un âge aussi faible. Des records de précocité à la pelle pour le Slovène, qui restent en plus de rester gravés un bout de temps : le Tour de Californie a vécu cette année sa dernière édition, et on ne sait pas s’il reprendra un jour.
Précoce, Remco Evenepoel l’est encore plus. Le prodige Belge était l’une des attractions les plus attendues de cette saison 2019 après son doublé Contre-la-montre – Course en ligne écrasant lors des derniers mondiaux juniors à seulement 18 ans. Des attentes qu’il a confirmées en à peine six mois, en réalisant des performances d’un autre temps.
Il y a plus de cent ans, Dieudonné Gauthy remportait le Tour de Belgique peu après avoir soufflé ses vingt bougies. Pendant plus d’un centenaire, il sera resté le plus jeune vainqueur de l’histoire de l’épreuve. Jusqu’à ce que la tornade Evenepoel ne débarque et s’impose avec près de sept mois d’avance.
Succès qui n’a souffert d’aucune contestation possible, tant le natif de Schepdaal a été dominant sur tous les terrains proposés. Une victoire – la première de sa carrière chez les professionnels – en solitaire sur une étape empruntant de nombreux secteurs pavés. Une 4e place sur l’unique chrono de l’épreuve, dans les temps du recordman de l’heure Victor Campenaerts. Et enfin un podium sur l’étape passant par certaines des côtes les plus mythiques des classiques ardennaises. Une polyvalence impressionnante, à laquelle on peut aussi rattacher de beaux résultats lors de précédentes étapes de montagne.
Une précocité (il est aussi devenu le deuxième plus jeune vainqueur d’étape de l’histoire de l’épreuve au milieu d’une brochette d’anciens de l’avant-guerre) et une polyvalence qui lui valent d’être régulièrement comparé au grand Eddy Merckx. Fin 2018, Greg Van Avermaet déclarait ainsi qu’il n’avait « jamais vu un tel talent chez les jeunes dans [sa] carrière » et que « après Merckx, on n’avait jamais vu un tel coureur ». La suite de sa saison, plus impressionnante encore que ses performances en Belgique, ne feront rien pour contredire les éloges à son égard.

16 juin. Remco Evenepoel vient donc de remporter le Tour de Belgique. A quelques centaines de kilomètres de là, le critérium du Dauphiné se conclut par la deuxième victoire de Jakob Fuglsang dans l’épreuve. Contrairement à deux ans auparavant, l’épreuve ne se distingue pas particulièrement en termes de suspense pour la victoire finale et de spectacle en montagne. S’il y a bien une chose, ou plutôt un homme, qui marque les esprits, c’est sur la première moitié de course qu’il faut se pencher.
Quatrième étape. Départ de Roanne, arrivée à Roanne. Et Contre-la-montre individuel au programme. Avec une bosse à mi-parcours, le chrono est taillé pour Tom Dumoulin. Problème, le Néerlandais revient d’une blessure au genou contractée sur le dernier Tour d’Italie. Si son état de forme n’est pas optimal, le plateau de rouleurs pas des plus fournis le place tout de même en tant que favori. S’élançant plus tôt que tous les autres prétendants à la victoire d’étape, il signe sans grande surprise le temps de référence. Mais alors que la réalisation s’attarde sur les Bardet, Kruijswijk et autres prétendants à la victoire finale, Wout van Aert apparaît subitement à l’écran au pointage intermédiaire. Et pour cause, le Belge vient de surclasser Dumoulin sur la première partie de course, le reléguant à près de vingt secondes. Un gouffre. Une nouvelle fois, van Aert vient de surprendre totalement son monde, lui dont les qualités dans l’exercice solitaire étaient alors assez méconnues.
Et il ne s’arrête pas en si bon chemin. La deuxième partie est encore plus à son avantage, puisqu’il pulvérise le temps du Néerlandais de la Sunweb de quarante-sept secondes sur la ligne. Seul Tejay van Garderen viendra s’intercaler, mais à plus une demi-minute. Une véritable démonstration que personne n’avait pu prévoir. Pas même l’intéressé : « J’avais déjà gagné un prologue sur le Tour de Belgique, mais là, ce n’était pas tout à fait le même niveau… C’est évidemment une surprise, je ne m’y attendais vraiment pas parce que je n’avais pas fait beaucoup de contre-la-montre au niveau World Tour jusqu’ici. J’ai travaillé un peu ma position de chrono ces dernières semaines, mais sans plus. Jamais je n’aurais pensé que cela serait suffisant pour évoluer à ce niveau ».
Quelques semaines plus tôt, il effectuait son premier stage en altitude avec sa nouvelle équipe Jumbo-Visma, rejointe à l’intersaison. Une nouveauté qui a donc porté ses fruits pour le Belge qui ne cesse de repousser ses limites. Nous le connaissions excellent en cyclocross et extrêmement à l’aise sur les (monts) pavés, voilà que nous le découvrons machine à rouler. Pas au bout de nos surprises, il s’est aussi révélé très bon sprinteur durant ce même Critérium du Dauphiné.
Cinquième étape. 201 kilomètres entre Boën-sur-Lignon et Voiron. Promise aux sprinteurs, elle l’est surtout à Sam Bennett. Ultra facile deux jours plus tôt au milieu d’un plateau de sprinteurs dégarni, il est difficile d’imaginer l’Irlandais ne pas faire la passe de deux. Et pourtant. Des échappés récalcitrants, une attaque au kilomètre de Gilbert, un final sinueux, et un sprint lancé de loin par Julian Alaphilippe vont avoir raison de lui. Mais il va surtout subir la loi d’un Wout van Aert toujours sur son nuage. Dans la roue d’Alaphilippe, le Flamand prend rapidement la tête aux 300 mètres. Bennett, un peu loin, sera incapable de le remonter, impuissant face à la puissance de ce coureur qui n’en cesse plus de surprendre.
Bilan de ses huit jours de course : un maillot vert, récompense de son impressionnante polyvalence, deux victoires d’étapes consécutives, mais aussi deux autres podiums signés lors des premiers et troisièmes jours de course. Un tel bilan n’avait plus été réalisé depuis Alejandro Valverde en 2008. C’est dire la performance de van Aert, qui confirme tout le talent dont on le savait empli. Dix jours plus tard, il survole le contre-la-montre des championnats de Belgique, reléguant les Lampaert, Evenepoel et Campenaerts à plus de trente secondes. A peine remis de ses émotions, il est finalement l’invité surprise de l’armada Jumbo-Visma sur le Tour de France.
Acte IV – Délivrance

Le Tour de France, Egan Bernal n’aurait jamais dû y participer en 2019. Programmé sur le Giro qu’il devait découvrir, le Colombien se fracture la clavicule une semaine avant le départ. Changement de plan chez Ineos. Pavel Sivakov sera le leader de l’équipe sur l’épreuve italienne. Bernal, lui, fera la Grande Boucle. Une décision de dernière minute qui chamboule tout : l’équipe britannique n’aura pas un, ni deux, mais trois leaders au départ. Une hydre à trois têtes en compagnie de Chris Froome et Geraint Thomas qui effraie autant qu’elle laisse songeur quant à la gestion des egos.
Une partie de la question est réglée dès le Dauphiné, lorsque le quadruple vainqueur du Tour chute gravement durant la reconnaissance du chrono et doit mettre un terme à sa saison. Le triumvirat originel ne sera donc qu’un duo : le vainqueur sortant contre le jeune aux dents (très) longues. Les deux protagonistes sont déjà alignés ensembles sur le Tour de Suisse trois semaines avant le Grand Départ de Bruxelles. Le duel tourne court lorsque Thomas abandonne sur chute lors de la quatrième étape. Voie royale pour Bernal. Impérial en montagne (une victoire d’étape et deux podiums sur le triptyque montagneux final) et tout à son aise sur le Contre-la-montre l’avant dernier jour (11e), il remporte l’épreuve en toute logique. Le Colombien en profite pour devenir le troisième plus jeune vainqueur de l’histoire de l’épreuve.
Le natif de Bogota n’a ainsi que 22 ans au départ du Tour de France. Un âge auquel découvrir la plus grande course du monde n’est déjà pas courant. S’y présenter en tant que favori, c’est du jamais vu presque. Pourtant, chez les bookmakers, c’est bien lui qui remporte tous les suffrages, en dépit de certaines réserves tout à fait justifiées : manque d’expérience, cohabitation avec Thomas, ou autres interrogations sur son état de forme. Surtout, il porte sur ses épaules la pression de tout un peuple, qui attend depuis toujours que l’un des siens ramène la tunique dorée au pays. Le fameux sueño amarillo, tant espéré depuis plus de quarante ans en Colombie et incarné par Nairo Quintana qui en a fait la maxime de sa carrière. Voici donc la chronique d’un Tour qui bascula le 26 juillet aux alentours de 15h18.
Atomium de Bruxelles, arrivée de la deuxième étape. La Jumbo-Visma écrase le début d’épreuve. Déjà vainqueurs la veille grâce à la surprise Mike Teunissen, les jaunes et noirs remettent le couvert lors du contre-la-montre par équipe. Partis en dernière position, ils coupent leur effort avec plus de vingt secondes d’avance sur le Team Ineos d’Egan Bernal et Geraint Thomas. Une véritable démonstration collective, dans le sillage d’un Wout van Aert tellement facile qu’on le vit se retenir dans le final pour ne pas lâcher ses coéquipiers.
Le lendemain, c’est le Français Julian Alaphilippe qui éblouit la course. Avec le panache qui le caractérise, il fait coup double à Épernay : victoire d’étape et maillot jaune. Ce maillot jaune, il va l’abandonner 72 heures plus tard aux épaules de Giulio Ciccone, avant de le reconquérir magistralement lors de la huitième étape. En cette veille de fête nationale, le natif de Saint-Amand-Montrond est à l’origine d’un magnifique feu d’artifice. Tributaire d’un retard de six secondes sur l’Italien de la Trek-Segafredo au départ de l’étape, il sait que le final pour puncheur est à son avantage. Alors, dans la dernière côte du jour, il place une attaque surpuissante. Dans sa roue, un seul homme. Le visage déformé par la douleur, Thibaut Pinot parvient à s’accrocher et à basculer au sommet avec son compatriote. Les deux hommes collaborent à merveille et ne seront jamais revu par le peloton. A l’arrivée, Pinot deuxième, Alaphilippe troisième. Le premier nommé dépasse au classement tous les prétendants à la victoire finale. Le second récupère son précieux doré.
« C’était sympa d’attaquer comme ça tous les deux, je pense que le public a apprécié » lâche Alaphilippe, la ligne franchie. Pas de doute, la France vient de vivre un moment de sport unique. Elle se met même à rêver d’un potentiel successeur à Bernard Hinault. Mais deux jours plus tard, le destin des deux Français se délie. Sur la route d’Albi, le vent souffle fort. Et après moult vaines tentatives de bordures de plusieurs équipes, le peloton casse sous l’effort du maillot jaune en personne. Cette fois, Pinot n’est pas dans la roue. Au contraire, il est piégé dans un second groupe. A l’inverse des deux favoris à la victoire finale, Thomas et Bernal. Le bilan est lourd à l’arrivée : une minute et quarante secondes concédées par le Franc-Comtois sur le duo britanno-colombien. A la veille du premier jour de repos, ce bouleversement du classement général éclipse la performance du vainqueur du jour.
Une performance qui s’apparente à un exploit, ou tout du moins à une immense surprise. Car si le vent a désorganisé le peloton, bon nombre des meilleurs sprinteurs sont présents dans l’emballage final. Pourtant, aucun d’eux ne l’emporte. La faute à Wout van Aert, qui vient conclure la première semaine de Grand Tour de sa carrière de la plus belle des manières. D’un sprint surpuissant, il écœure tout le monde, d’Ewan à Viviani, en passant par Sagan et Matthews. Déjà en vue lors de la cinquième étape dont il prit la 2e place derrière un Sagan intouchable, le Belge démontre une bonne fois pour toutes qu’il est à l’aise (presque) partout. Mais là encore, il est le premier surpris par ses exploits. « Je ne peux pas y croire, battre tous ces gars rapides au sprint. Ah… désolé, je ne peux pas y croire » déclare-t-il à chaud. Quelques heures plus tard, alors qu’on lui demande si cette victoire est plus belle que ses titres mondiaux de cyclocross, le coureur de la Jumbo-Visma n’a toujours pas réalisé : « C’est sûrement plus grand, mais c’est difficile de répondre à une telle question actuellement […] Quand je me réveille le jour des mondiaux [de cyclocross], je sais que je peux gagner. Mais là, c’est une grosse surprise ».
Le rêve prend fin brutalement quatre jours plus tard. Alors qu’il faisait partie des grands favoris à la victoire sur le chrono de Pau, il chute violemment à moins d’un kilomètre de l’arrivée, agrippé par une banderole publicitaire dans un virage. Abandon, opération à la jambe, et saison terminée. Une bien moche manière d’en terminer avec une année marquée par ses plus grands succès sur la route.
Chez les favoris, la bonne opération est pour Geraint Thomas. Deuxième derrière un Alaphilippe qui n’en finit plus d’impressionner, le Gallois laisse tous les autres prétendants à la victoire finale à plus de trente secondes. Surtout, il repousse Bernal à une minute et vingt secondes. Une nouvelle contre-performance du Colombien, pourtant annoncé très en forme par son directeur sportif Nicolas Portal à quelques minutes du départ : « Vous allez voir, Egan va en impressionner plus d’un aujourd’hui ». Nouvelle ? Oui, car le coureur de 22 ans a déjà concédé du temps à son coéquipier à la Planche des Belles Filles. Seulement dix secondes, mais qui ajoutées au temps perdu sur le contre-la-montre, le placent à près d’une minute et demie d’un Thomas qui semble s’affirmer comme le leader naturel de sa formation.
La suite des Pyrénées va pourtant redistribuer totalement les cartes. Au Tourmalet, le dossard n°1 fait le yoyo. Plusieurs fois, l’élastique tend mais ne rompt pas. Mais le dernier kilomètre lui est fatal. Alors que Bernal limite très bien la casse sur un Thibaut Pinot de gala, le Gallois craque la barre des 2000 mètres d’altitude à peine atteinte. 36 secondes de perdues. Une première fissure apparaît sur une carapace qui semblait incassable. L’ascension du Prat d’Albis le lendemain vient fragiliser un peu plus sa situation.
Depuis sa « journée de merde » sur la route d’Albi, Pinot a « la rage ». Alors le Français, porté par sa victoire de prestige la veille, attaque dans la dernière ascension. Une attaque violente, qui laisse Thomas et tant d’autres sur le carreau. Pas en reste, il accélère de nouveau. Alaphilippe, maillot jaune toujours ancré sur ses épaules, lâche à son tour. Bernal, lui, est toujours là. Le coureur de la Groupama – FDJ place alors une nouvelle attaque. Puis une autre. Et encore une autre. Tel un boxeur, Thibaut Pinot est en train de martyriser de coups le jeune Colombien. Assis sur sa selle, les dents serrés, le visage marqué par l’effort, celui-ci se bat courageusement. Mais irrémédiablement, l’écart se creuse. Il franchit la ligne avec un débours de vingt secondes sur celui qui s’affirme comme le meilleur grimpeur de ce Tour de France. Thomas, lui, est plus loin encore, à près d’une minute.
Col du Galibier, quatre jours plus tard. Le peloton a déjà avalé les cols de Vars et d’Izoard quand les coureurs se présentent au pied de ce mythe qui culmine à 2642 mètres d’altitude. Ici, l’oxygène se fait rare. Très rare même. C’est là qu’Egan Bernal est le plus à l’aise. Une seule attaque à moins de trois kilomètres du sommet lui suffit pour se débarrasser de la concurrence. Pas embêté le moins du monde dans la descente qui suit, il ne perd rien et se replace à la deuxième place du classement général. Pinot et Thomas sont maintenant dans ses rétroviseurs. Seul Alaphilippe fait de la résistance, mais la position du Français se fait de plus en plus fragile. L’étape du lendemain va en être l’ultime confirmation.

Nous sommes donc en ce fameux 26 juillet. Il est 16 heures passé, et ce qui était prévu depuis maintenant de nombreux jours se produit : Julian Alaphilippe est seul, à la dérive, lâché sans aucune aide dans les terribles pentes du Col de l’Iseran. L’abandon de Thibaut Pinot, voilà quelque chose qui était moins prévu. Il est environ 15h18 lorsque le Franc-Comtois se porte à la surprise générale à hauteur de la voiture médicale. Les commentateurs pensent un instant à « une piqûre d’insecte ». Très vite malheureusement, le monde du vélo s’aperçoit que le Français a un problème plus grave. Celui-ci est lâché du peloton dans un anonymat paradoxal, tant les caméras sont braquées sur lui alors qu’il se fait dépasser sans un regard par les retardataires. L’abandon est aussi déchirant que les espoirs qu’il portait avec lui étaient grands. La France perd son atout majeur.
Le deuxième, Alaphilippe donc, ne résiste pas à l’offensive du Team Ineos quelques kilomètres plus loin. Alors que Wout Poels mène un train d’enfer, Geraint Thomas passe à l’offensive. Attaque fatale au coureur de la Quick-Step. Derrière le Gallois, le trou est rapidement bouché par les Bora – Hansgrohe d’Emanuel Buchmann. C’est là que le festival Bernal débute. Un contre assassin, auquel personne ne peut répondre. Dans les plus hautes sphères de ce Tour de France, le Colombien s’envole. Mètre après mètre, coup de pédale après coup de pédale. Les échappés n’ont pas le temps de s’en apercevoir que Bernal est déjà dans leurs roues. Impassible, il prend la tête instantanément et les décroche un par un. Pas d’attaque en danseuse, rien. Juste un rythme effréné, insoutenable. Warren Barguil tente de lui prendre un relais pour assagir la cadence du Colombien, mais celui-ci le laisse sur place en quelques secondes. Et un écart avec ses poursuivants qui ne cesse de grandir. Une minute sur Thomas et Cie au sommet du col de l’Iseran. Plus de deux sur Alaphilippe. Mais la course n’est pas finie. Il reste encore une longue descente et une remontée vers la station de Tignes. C’est alors que l’irréel fait son apparition sur la route de la grande boucle.
De la grêle. Un orage de grêle vient de s’abattre dans la descente qui mène à Val d’Isère. Au même moment, une coulée de boue s’invite sur la route. Un tractopelle essaye de réparer les dégâts. En vain. L’image fait le tour du monde, et la décision des commissaires ne tarde pas. Étape interrompue. Les coureurs n’y comprennent rien. Tandis que certains l’acceptent sans discuter, d’autres demandent des explications de manière plus ou moins virulente. Les voitures des directeurs sportifs attendent, Val d’Isère à peine atteint. Les coureurs s’arrêtent les uns après les autres, enfilent des imperméables, filent se mettre à l’abri. Egan Bernal semble légèrement déboussolé. Une image parmi tant d’autres effarantes. Le Colombien réalisait une performance stratosphérique mais ne sais pas si elle sera prise en compte. L’incertitude est maximale, les multiples rumeurs se succèdent, avant que la décision officielle ne tombe près d’une heure après l’interruption. Les temps seront pris au sommet du col de l’Iseran mais il n’y aura pas de vainqueur d’étape. Et une conséquence majeure : le Tour de France a un nouveau leader.
Egan Bernal, du haut de ses 22 ans, s’apprête donc à revêtir le maillot jaune, paletot porté par seulement deux Colombiens auparavant dans l’histoire du Tour (Victor Hugo Peña et Fernando Gaviria). Une joie immense pour lui : « Je suis en jaune et je suis vraiment vraiment heureux ». S’il ne réalise pas encore, il est surtout fier de ce qu’il a déjà pu accomplir : « Je suis déjà heureux avec ce que j’ai réalisé durant ce Tour. J’ai à peine 22 ans et je suis en jaune. C’est incroyable […] Je ne sais pas quoi dire ». Pour prendre la mesure de ce qu’il vient de faire, il faut attendre sa descente du podium : « Ce n’est que quand j’étais sur le podium, en train d’enfiler le maillot jaune, que j’en ai finalement pris conscience et que j’y ai vraiment cru ». Surtout, le coureur d’Ineos est à 48 heures de la victoire finale, attendue par toute une nation.
Le lendemain est une purge cycliste. Alors que l’étape est réduite à l’unique montée de Val Thorens à cause des conditions météo, les favoris ne tentent pas le moindre mouvement au cours des 35 kilomètres d’ascension. Bernal ne concède rien à personne et abordera donc le traditionnel défilé de l’étape des Champs-Élysées tunique jaune sur les épaules.
« Je n’arrive toujours pas à réaliser ». Ses mots dans la station de ski française sont les mêmes que la veille. « Je ne suis toujours pas parvenu à analyser tout ça. Il faut que j’aille à l’hôtel, que je prenne une douche et que je m’asseye pendant de longues minutes pour faire le point ». Et lorsqu’on lui demande s’il se rend compte de ce qu’il représente pour son pays, le jeune homme nie : « Je n’ai aucune idée de qu’il se passe en Colombien en ce moment. J’imagine qu’ils sont tous super heureux ». Ce qui prime avant tout, c’est sa fierté : « Je suis extrêmement fier, et je suis impatient de rapporter le maillot jaune à la maison ». En Colombie, c’est tout simplement la folie. Ferveur immortelle, Rêve accompli, ou plus sobrement Egan, tous les journaux du pays lui rendent hommage à la Une. Le fameux sueño amarillo n’est plus un mirage. Le coureur cycliste est un véritable héros national. Sa victoire finale est fêtée dans les rues par des milliers d’habitants. Une véritable délivrance pour le peuple sud-américain.
Sur le podium de la plus belle avenue du monde, l’émotion est très forte pour le Colombien. En larmes, son discours est succinct : « Je suis l’homme le plus heureux du monde […] Je viens de gagner le Tour de France, je ne peux pas y croire » déclare-t-il entre autres remerciements à sa famille et son équipe. Les livres d’histoire retiendront que cela est bel et bien réel et qu’il a remporté le 106e Tour de France. Ils retiendront surtout qu’il devient le troisième plus jeune vainqueur de l’histoire de l’épreuve, le plus précoce depuis plus de 100 ans. Géant.
Acte V – Triomphes
Si Egan Bernal a remporté le Tour, Julian Alaphilippe, lui, a conquis le cœur de millions de Français durant trois semaines marquées par son panache et son abnégation. Mais l’ancien cyclocrossman n’en a pas fini avec son été. Moins d’une semaine après l’arrivée à Paris, il est attendu au départ de la Clásica San Sebastián en tant que leader de la Deceuninck – Quick-Step. Dans son équipe, Remco Evenepoel. Le Belge participe à la première course d’un jour de niveau World Tour de sa carrière. Au départ, il est le benjamin du peloton. Mais aussi et surtout le plus jeune partant de l’histoire de l’épreuve. La course n’a pas commencé qu’il possède déjà un nouveau record de précocité.
Après à peine 90 kilomètres de course, Alaphilippe rend les armes. Sous la chaleur espagnole, le Français semble cramé par son mois de juillet. Peu de temps après, c’est au tour de Bernal de lâcher prise. A quarante kilomètres de l’arrivée, le peloton se situe dans la pénultième ascension du jour lorsque plusieurs accélérations sont fatales à Evenepoel. Distancé peu avant le sommet, il revient à la faveur de la descente, jouant les équipiers modèles en ramenant des bidons pour Enric Mas et Dries Devenyns. Quelques kilomètres plus loin, sur la portion de plat précédant la dernière difficulté, le Letton Toms Skujins s’échappe. Instantanément pris en chasse par Evenepoel. Baroud d’honneur pour celui qui avait craqué quelques minutes plus tôt pense-t-on. Mais, impressionnants, les deux hommes creusent rapidement. L’écart monte même jusqu’à 50 secondes au pied du mur final. Et alors que l’on s’attend à ce que les deux compères craquent dans les terribles pourcentages basques, le prodige Belge s’envole littéralement. Les Valverde, Van Avermaet ou autre Mollema – excusez du peu – qui font le forcing pour rentrer ne reprennent que la bagatelle de dix secondes. Le final n’y change rien, Evenepoel maintient son avance. Alors qu’on le pensait cuit une heure auparavant, le natif de Schepdaal vient lever les bras sur la ligne. Un véritable triomphe qui en appelle déjà tant d’autres.
A l’arrivée, le Belge n’en revient pas. « Je n’arrive pas à le croire… Je ne me sentais pas bien pendant toute la course et c’était un gros risque d’attaquer si tôt […] Je n’arrive pas à y croire… Je ne m’attendais vraiment pas à ça », déclare-t-il en secouant la tête en continu. On savait le gamin pas comme les autres. Mais de là à gagner si tôt, de manière si impressionnante… La marche était grande. Derrière, les hommages fusent. Du grand Merckx en personne notamment : « Gagner une telle compétition à 19 ans… ce qu’il a fait est exceptionnel ». En effet, Evenepoel est devenu le plus jeune vainqueur de l’histoire de l’épreuve. Avec plus de deux ans d’avance sur le précédent détenteur du record. Un écart abyssal. Merckx poursuit les louanges : « Nous savions que Remco avait un gros moteur. Le fait est qu’il a déjà prouvé qu’il était aussi mature. Il est fin prêt ». Et à la question de savoir s’il peut suivre ses traces ? La réponse est limpide : « Peut-être qu’il sera encore meilleur. Remco possède toutes les qualités pour y parvenir ». En conclusion, l’avenir lui appartient. Même si le présent commence déjà à être à sa botte.
Au départ de la classique espagnole, un autre coureur détonne par sa précocité. Tadej Pogačar est en effet le deuxième plus jeune coureur de l’édition. Si sa performance du jour n’approche en rien celle d’Evenepoel (abandon), les semaines qui suivent sont au contraire formidables pour le Slovène. Aligné sur la Vuelta, il ne cesse de monter en puissance, jusqu’à l’apothéose madrilène. Un premier Grand Tour qu’il boucle sur le podium, auréolé de trois victoires d’étapes, d’un maillot de meilleur jeune, et d’un statut de futur très grand. Troisième du classement général d’une course de trois semaines à moins de 21 ans, il n’est que le dixième de l’histoire à y parvenir. Seulement le troisième en cent ans. Et une première depuis Gianbattista Baronchelli sur le Tour d’Italie 1974.

Tout avait pourtant bien mal commencé pour le coureur de l’UAE-Team Emirates. Une piscine qui fuit le long du parcours du contre-la-montre par équipe inaugural suffit à le mettre à terre en compagnie de ses coéquipiers. Celui qui se présente au départ sans réelle ambition personnelle se retrouve tout de même à plus d’une minute du premier leader Miguel Angel Lopez. Les jours qui suivent lui permettent de se montrer plus à son avantage : 8e de l’étape vallonnée de Calpe, il se classe également 7e lors des deux premières arrivées au sommet – mais en réalité 4e des favoris à l’Observatoire de Javalambre, les échappés s’étant déjà joué la gagne quelques minutes plus tôt, il se permet également de grappiller quelques maigres secondes sur les autres favoris lors d’une arrivée en faux-plat à Ares del Maestrat. Un cran en dessous des quatre fantastiques (Roglič, Valverde, Quintana et Lopez), ses performances restent tout à fait honorables pour un néophyte.
Arrive alors la neuvième étape. Moins de cent bornes intégralement courues en Andorre. Cinq ascensions. Dont trois dans les 25 derniers kilomètres. Et un scénario totalement fou. Alors que Lopez avait attaqué dans l’antépénultième montée du jour, un violent orage s’abat sur la course. Plus d’images, plus d’informations, et un flou total. Lorsque la situation revient à la normale, tout a changé. Quintana et Pogačar se sont isolés et reviennent sur Marc Soler seul en tête. L’Espagnol se relève alors contre son gré pour attendre son leader Colombien. A peine réuni, le trio vole en éclat sous l’impulsion du Slovène. Quintana est incapable de suivre. Un fiasco stratégique de la Movistar qui contraste avec l’absolue maîtrise du coureur de l’UAE-Team Emirates. Celui-ci s’impose au sommet, remonte à la cinquième place du classement général, et devient le quatrième plus jeune vainqueur d’étape de l’histoire de la course. « J’étais heureux quand j’ai vu les prévisions météo la nuit dernière… c’était parfait pour moi […] Je me suis bien senti avec toute cette pluie » déclare-t-il à l’arrivée. Comme un poisson dans l’eau a-t-on envie de dire.
La suite de l’épreuve est plus impressionnante encore. Alors qu’il était prévu qu’il s’arrête après deux semaines de course pour ne pas trop brusquer son physique, la donne change au cours des étapes suivantes. A l’aise sur le chrono (11e), il se montre surtout impérial dans les pourcentages inhumains de l’alto de Los Machucos. Le seul à suivre la roue de son compatriote Roglič, il s’impose au sommet pour la deuxième fois en l’espace de six jours. Une nouvelle performance de choix qui lui permet de grimper à la troisième position du classement général. Pas question alors de rentrer à la maison. Le benjamin du Tour d’Espagne entame donc les cinq derniers jours de course sur le podium. En difficulté lors de la 18e étape, il recule au cinquième rang. Pogačar montre enfin ses limites pense-t-on. Que nenni. C’était uniquement pour mieux s’envoler ensuite.
20e étape. Dernière journée pour les favoris afin de se départager. Alors que Miguel Angel Lopez se démène à coup de brusques changements de rythme pour tenter de gagner sa place sur le podium, le Slovène ne place lui qu’une seule attaque, dans le Puerto de Peña Negra. Injouable, il s’échappe irrésistiblement. Vingt secondes d’avance. Puis cinquante. En attaquant à près de quarante kilomètres de l’arrivée, le porteur du maillot vert par dérogation se lance dans un numéro à risque. Mais au lieu de faiblir, il ne cesse de creuser sur ses poursuivants. Très rapidement, il porte son avance à une minute et quarante secondes. Ce sera l’écart sur la ligne. Une phénoménale performance de soliste qui lui permet de faire coup double : victoire d’étape et place sur le podium récupérée. Trois victoires d’étape sur un Grand Tour à moins de 21 ans, il n’est que le troisième de l’histoire à réaliser un tel exploit. S’il ne remporte pas l’épreuve, nul doute que sa Vuelta est un véritable triomphe personnel. Qui en appelle tant d’autres.
Sur le podium à Madrid, Tadej Pogačar n’est pas le seul Slovène. A sa droite, sur la plus haute marche, Primoz Roglič. Ultra dominateur lors des trois semaines passées, l’ancien sauteur à ski remporte là son premier Grand Tour. Dix jours plus tard, il est au départ des mondiaux de contre-la-montre dans le Yorkshire. Contrecoup oblige, il termine 12e à trois minutes du vainqueur Rohan Dennis. L’Australien est seul sur sa planète ce jour-là. Si la concurrence est littéralement réduite à néant en ce 25 septembre, un coureur s’en tire mieux que les autres. Ce coureur ? Remco Evenepoel. Au départ, le Belge est – de très loin – le plus jeune inscrit sur la liste de départ. A l’arrivée, il devient surtout le coureur le plus précoce de l’histoire à monter sur le podium. 19 ans et 243 jours. Un âge à littéralement donner le vertige. Juste fou lorsque l’on y réfléchit quelques instants. Mais les mots ne sont pas évidents à trouver pour qualifier ses exploits. Début Août, Evenepoel était déjà devenu champion d’Europe de la discipline. Sa progression a été plus rapide encore que tout ce qu’il était possible d’imaginer. Autant dire que si certains doutes peuvent encore légitimement planer sur sa capacité à dominer le cyclisme mondial dans les années à venir, aucun ne persiste sur sa capacité à surclasser la concurrence de l’effort solitaire.
Remco Evenepoel, c’est le symbole ultime d’une nouvelle génération de cyclistes qui bat les records de précocité les uns les après les autres sans discontinuer. 2019 a été un (très) grand cru à ce niveau-là. Que ce soit en termes d’expérience sur la route ou juste d’âge, Wout van Aert, Mathieu van der Poel, Egan Bernal, et Tadej Pogačar ont été les quatre autres figures de proues de cette génération peu avare en exploits l’année passée. Mais si ces cinq noms frappent plus que les autres, c’est aussi la densité de nouveaux talents qui impressionne. Filippo Ganna, David Gaudu, Marc Hirschi, Jasper Philipsen : une simple sélection de coureurs – parmi tant d’autres – aux profils radicalement différents qui se sont déjà révélés et qui sont prêts à s’affirmer en cette année 2020. La nouvelle génération ne frappe plus à la porte, elle est déjà rentrée dans le hall d’entrée de la cour des grands. Longue vie à la jeunesse.
Par Quentin Douzery.
Crédit Photo: Nicolas DUPREY/ CD 78 / Bicisport / Flore Buquet / Clémence Ducrot / Claude / FG Photographic