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Sixième volet consacré à l’année 1919, avec la suite et la fin du Circuit des Champs de Bataille, menant un petit nombre de coureurs à Strasbourg, via Paris, la Champagne, la Lorraine et les Vosges.

Pour la quatrième étape les coureurs prennent la direction de Paris, sur un tracé picard via Saint-Quentin, Chauny, Soissons, Senlis et le Parc des Princes. Pour la première fois de l’épreuve, le Petit Journal, qui organise l’épreuve, remplace la carte du parcours dans ses colonnes par d’autres illustrations, l’arrivée parisienne permettant d’avoir quelques photographies, comme celle du leader de la course, Charles Deruyter, signant dans le vélodrome après son arrivée, ou encore la foule devant les locaux du journal pour l’arrivée, de nuit, des retardataires, qui n’ont pas droit à leur tour de piste sur les 666 mètres du grand vélodrome extérieur parisien.

Pour les coureurs, un peu de relâche a lieu, puisque l’étape est plus courte (seulement 277 kilomètres, rendez-vous compte !). Ainsi, il est 6 heures lorsque le peloton quitte Amiens. Si l’état des routes reste déplorable, la pluie qui accompagnait les coureurs jusque là va s’atténuer au fur et à mesure qu’ils progressent vers l’Île-de-France, au point de voir même apparaître les premiers rayons de soleil.

Sportivement, les écarts sont moindres. Ils sont même encore 8 en tête à Pontoise et c’est la côte du Cœur-Volant qui permet à Charles Deruyter de faire la différence. Il s’impose en un peu moins de 12 heures, avec une avance ridiculement courte sur les concurrents – 4’18″ sur Paul Duboc et 6’08’’ sur Jean Alavoine.

Charles Deruyter, signant au Parc des Princes après sa victoire.

Par ailleurs, les premiers concurrents ont pu se disputer une prime exceptionnelle de 100 francs pour qui saurait faire son tour de piste le plus rapidement possible. Après autant d’efforts, la prestation n’est pas exceptionnelle et c’est le Parisien Charles Kippert, 10ème de l’étape, qui se donne à fond. Il accomplit son tour en 1 minute et 3 secondes, soit à une moyenne de 38 km/h qu’il est le seul à atteindre. Il faut dire que certains se sont contentés de saluer la foule lorsqu’ils en terminaient.

À noter que si les colonnes du Petit Journal se contentent d’une description sportive de l’épreuve, traitant le reste de l’actualité dans ses autres colonnes, le journal sportif L’Auto ne se prive pas de commentaires nationalistes, malgré son statut de journal sportif. Henri Desgrange décrit ainsi le trajet des coureurs comme « un chemin que jamais les Boches ne purent emprunter ».

Trois jours plus tard (Paris mérite bien son jour de repos supplémentaire), les 24 coureurs encore en compétition quittent Paris après un rassemblement prévu à minuit, avant un départ fictif très nocturne à Noisy-le-Grand (2h30). Si bien que pendant plus de 200 kilomètres, rien ne se passe. Dans une région où le sol est très calcaire, les coureurs sont gênés par la poussière qui s’envole dès qu’une auto ou un vélo roule dessus.

Carte de la 5ème étape

Concasser la roche naturellement présente sur les lieux était la façon la plus simple de faire (ou refaire) des routes abimées par la guerre. Imaginez des coureurs avoir à passer une demi-journée sur un chemin blanc des Strade Bianche, le tout au milieu de villages en ruine et la moitié de cela de nuit, cela vous donnera une vision encore facile de ce qu’ont eu à connaître ces valeureux coureurs.

Dans ce peloton, un évènement majeur va alors se produire : l’abandon de Paul Duboc. Le dauphin de Charles Deruyter au classement général souffre du dos.  Il était le seul dont le retard approchait l’heure.

Entre Vouziers et Verdun, sur un tracé qu’Alphonse Steinès pensait neutraliser, il n’y a finalement rien à déplorer. Il faut dire que vu ce que les coureurs ont enduré dans les précédentes étapes, quelque soit ce qu’il y a à affronter, les coureurs s’en accommodent volontiers maintenant que le vent et la pluie ne sont plus là.

La course reste calme et l’élimination limitée. Charles Deruyter doit cependant céder quelques minutes : 9 à vélo sur le quatuor se jouant la gagne au sprint, avec le succès du Français Jean Alavoine devant les Belges Hector Heusghem, Albert Desmet et Henri Hanlet. À cela, vient s’ajouter un quart d’heure de pénalité pour avoir été trop aidé par le Français René Guénot, dont les relais ne semblaient pas justifiés par l’organisation.

1 500 kilomètres ont déjà été parcourus. Il en reste un peu moins de 500 pour les deux dernières étapes et le Petit Journal laisse moins de place à la course dans ses colonnes. Il faut dire que l’actualité est alors dominée par les préparations au traité de Versailles.

Une description claire du tracé reste faite en une seule phrase pour le tracé reliant Bar-le-Duc à Belfort : « Plus de cités dévastées, ni de routes détruites mais un obstacle topographique, le ballon d’Alsace, dont nos routiers doivent faire l’escalade au moment où il est à peine dégagé des neiges qui l’obstruent six mois de l’année. »

Ainsi, les meilleurs coureurs restent ensemble via Nancy, Lunéville, Saint-Dié et Gérardmer et c’est la seule montée du ballon. Même les trois crevaisons de Charles Deruyter ne lui font pas perdre de temps avant d’affronter la montée.

Une fois dedans, les Français vont vite perdre pied. Puis le pistard Charles Deruyter montre ses limites, tout comme le flandrien Henri Van Lerberghe. Tout en haut, il ne reste que le Wallon Hector Heusghem. Avant-guerre, il n’avait gagné qu’à Namur dans son tour national, tout proche de sa ville de Charleroi. Là, il démontre d’indéniables qualités de grimpeur, qui lui permettront en 1920 et en 1921 de prendre deux fois la deuxième place du Tour de France, puis de porter le maillot jaune en 1922.

Son avance de près de 20 minutes à Belfort ne change pas grand-chose pour Charles Deruyter, qui prend plus d’une demi-heure à Urbain Andeeuw, pour avoir désormais 2 heures d’avance au classement général (très exactement 1h59’52″).

Il ne reste alors plus qu’une procession vers Strasbourg. À peine plus de 160 kilomètres en descendant la vallée du Rhin via Mulhouse et Colmar. Il reste 21 coureurs dans le peloton : 19 officiels et deux coureurs hors-délais que l’organisation a accepté de laisser courir jusqu’à Strasbourg, sans pour autant les inclure au classement général.

Chose assez folle, les coureurs s’élancent de jour, à 10 heures ! On roule alors vite. Charles Deruyter impose sa suprématie et petit à petit, le peloton s’égraine, pour qu’il ne reste plus que Charles Kippert avec lui dans les rues de Strasbourg. Après moins de 5 heures de course, Charles Deruyter remporte l’étape en plus du classement général.

Avec un cumul de temps approchant les 90 heures de selle, Charles Deruyter domine le classement général, notamment grâce à l’étape Bruxelles-Amiens. Le podium est complété par ses compatriotes Urbain Anseeuw et Henri Van Lerberghe, dont le retard respectif est de 2h22 et 2h52. Jean Alavoine, au pied du podium, est à plus de 10 heures. Arsène Pain est 19ème à plus de 52 heures.

S’il a montré de grandes capacités de routier, Charles Deruyter préfèrera ensuite la piste, plus lucrative. Ce qui ne va pas l’empêcher de revenir périodiquement sur la route, comme en 1923, lorsqu’il est 2ème du Tour des Flandres, seulement battu au sprint par un Heiri Suter sur le point de faire le premier doublé avec Roubaix. Par la suite, il a été entraîneur pour Stan Ockers ou Wim van Est. À plus de 60 ans, il participait toujours à des compétitions sportives, comme une « Ronde Belge » à moto, sur un engin qu’il avait lui-même fabriqué.

Une pensée également pour Louis Ellner, non-classé, mais qui a terminé cette dernière étape encore bon dernier. S’il n’a pas de temps officiel, ayant été hors-délais la veille, il a le mérite d’avoir accompli tout le parcours avec un temps cumulé équivalent au double du vainqueur. Tout ceci sur un vélo traditionnel, pas fait pour les courses de haut niveau, pour ne crever cependant qu’une seule fois. Plus aucune trace de lui dans une course cycliste n’est trouvée après cet exploit que d’avoir su parcourir tout le tracé à vélo, comme seulement 20 autres de ses contemporains, alors que près de 140 étaient près à le faire.

 

Geoffrey L. (darth-minardi)

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Re: 1919 : La course des survivants

Messagepar Koudfoli » 02 Juil 2019, 20:45

Super article! Merci Darth.

Juste un petit point de détail, le livre que j'ai sur cette course prétend que Louis Ellner a ensuite participé au Grand Prix de l'Armistice 6 mois après, à Paris-Roubaix en avril 1920 et à Paris-Nice en mai 1920 même s'il n'apparait sur aucun classement de ces courses ayant peut-être abandonné ou, connaissant le bonhomme, ayant fini hors délai. Pas le genre de la maison d’abandonner a priori.
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Koudfoli
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