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Ce vendredi, entre Lourdes et Laruns, la route du Tour conduira le peloton au sommet de l’Aubisque. Le col sera franchi pour la 73e fois dans l’histoire de l’épreuve, la première depuis 2012. Et pourtant, la présence de ce mythe pyrénéen sur le parcours de la Grande Boucle n’aura tenu qu’à un fil…

Le 13 juin dernier, de violents oranges se sont abattus sur le Béarn, provoquant des inondations qui ont emporté une partie de la route reliant Laruns à Gourette, à environ huit kilomètres du sommet de l’Aubisque. La réfection de la route est alors devenu la priorité des autorités, tout d’abord pour désenclaver la station de Gourette, quasiment coupée du monde après cet effondrement, mais également pour assurer le passage des coureurs du Tour de France 2018. Une véritable course contre la montre est alors engagée pour remettre en état la cinquantaine de mètres de voirie effondrée à la suite de ces intempéries. Après un mois de travaux, c’est désormais chose faite. Les coureurs graviront bien l’Aubisque au cours de la dix-neuvième étape ce vendredi.

1910, « l’étape assassine » mène les coureurs au sommet de l’Aubisque

L’Aubisque, au même titre que ses voisins le Tourmalet et l’Aspin, figure parmi la légende de l’épreuve. Et pour cause : en 1910, le Tour s’aventure pour la première fois dans les Pyrénées. L’idée vient d’Alphonse Steinès, le bras droit d’Henri Desgrange, qui parvient à convaincre son patron de lancer les coureurs sur ces terres hostiles. Quand il se rend sur place pour y effectuer une reconnaissance au printemps, Steinès se rend bien compte qu’il est presque impossible d’organiser la course sur ces pentes. Les chemins qui mènent au sommet de l’Aubisque sont en piteux état mais il promet à l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de Pau une somme de 3 000 francs versée par son journal L’Auto pour financer la remise en état de la route.

Le 21 juillet 1910 entre dans l’histoire de la Grande Boucle : 326 kilomètres de Luchon à Bayonne, Peyresourde, Aspin, Tourmalet et Aubisque, un enchaînement de cols terrible pour une « étape assassine » qui fera date. Ce jour-là, c’est un coureur local, François Lafourcade, qui inscrit le premier son nom au palmarès de l’Aubisque. Épuisé par les efforts consentis dans la montée, il s’arrête au bas de la descente et se classe finalement cinquième à l’arrivée à Bayonne, bien loin du vainqueur Octave Lapize.

À cette époque, la route qui mène au sommet du col était bien différente de celle que nous connaissons actuellement. Escaladé d’est en ouest depuis Argelès-Gazost, les coureurs devaient d’abord franchir le col du Soulor (1 474 m), comme l’édition 2018, avant de faire un crochet par le col de Tortes (1 650 m) désormais à l’abandon et réservé aux randonneurs qui s’aventurent sur le GR10 ou le Tour de la Vallée d’Ossau.

Le paysage de l’Aubisque versant ouest pour ses deux derniers kilomètres d’ascension.

La tragédie du maillot jaune

Depuis ce premier passage en 1910, le col d’Aubisque s’inscrit régulièrement au programme de l’épreuve, uniquement surpassé par le col du Tourmalet en nombre d’apparitions sur la Grande Boucle pour un col hors catégorie. Systématiquement emprunté jusqu’en 1958, il voit alors ses visites s’espacer jusqu’à devenir de plus en plus rares, avec seulement trois passages lors des dix dernières éditions.

Du haut de ses 1 709 m, le col d’Aubisque n’est certainement pas la plus spectaculaire ni la plus difficile des ascensions du Tour de France, mais il a connu son lot de drames. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute l’abandon du maillot jaune Wim van Est en 1951. Leader de la course depuis sa victoire à Dax la veille, le Néerlandais, novice en montagne, s’élance à tombeau ouvert dans la descente du col pour défendre sa tunique. Il manque un virage et sort de la route : on le retrouve 70 mètres plus bas, au fond d’un ravin. Hissé à l’aide d’une corde de fortune, il sort presque indemne de cette impressionnante chute mais doit abandonner le Tour. Le « miraculé de l’Aubisque » aura toutefois l’occasion de porter à nouveau le maillot jaune les années suivantes.

Bernard Thévenet, double vainqueur de la Grande Boucle, a lui aussi connu des déboires sur le col. En 1972, dans l’étape entre Pau et Luchon, les coureurs effectuent l’ascension de l’Aubisque depuis Laruns, puis après le passage du Soulor, dans une descente rendue périlleuse et glissante par la pluie, Luis Ocaña manque un virage et entraîne Thévenet et Alain Santy dans sa chute. Ce dernier se brise plusieurs vertèbres et doit abandonner, tandis que les deux autres remontent sur le vélo. Apparemment indemne, Thévenet se trouve en réalité dans un état second, comme il l’explique lui-même : « Tout ce qui s’est passé durant les trente secondes précédant cette chute, je ne m’en souviens plus, on me l’a raconté. […] Moi, j’ai été assommé après avoir donné un coup de tronche dans un mur, puis je suis reparti. D’un coup, je me réveille sur le vélo, comme si c’était le matin dans mon lit. Je ne ressens aucune douleur et je ne réalise pas que j’ai le crâne ouvert. Je me demande où je suis et j’ai peur car je n’arrive pas à me souvenir de ce à quoi je pensais juste avant. » Le temps gris et froid lui laisse alors penser qu’il participe à une course de début de saison et il n’apprend finalement qu’il se trouve bel et bien sur le Tour de France que lorsque son directeur sportif Gaston Plaud s’approche de lui au volant de la voiture de son équipe. Quant à l’ascension de l’Aubisque…Thévenet déclare le soir même au médecin qui l’examine : « Heureusement qu’on n’a pas monté l’Aubisque, sinon je n’aurais jamais pu finir l’étape ! » Malgré sa perte de mémoire, Thévenet refuse d’abandonner et remporte deux étapes dans les jours qui suivent, au Mont Ventoux et au Ballon d’Alsace.

L’affaire Rasmussen

Michael Rasmussen, vainqueur au sommet de l’Aubisque en 2007, puis finalement déchu par son équipe le soir-même.

En 2007, l’Aubisque est le théâtre de l’une des pages les plus sombres de l’histoire récente du Tour de France. Cette année-là, l’arrivée de la seizième étape est jugée au sommet du col. Dans un climat délétère et de suspicions permanentes à l’égard des performances des coureurs, le Danois Michael Rasmussen écrase un peu plus la concurrence. Maillot jaune depuis sa victoire à Tignes dix jours plus tôt, le coureur de la Rabobank se montre impérial sur les pentes de l’Aubisque et parvient à se débarrasser du seul concurrent encore capable de le suivre, Alberto Contador, pour franchir la ligne d’arrivée en vainqueur, sous les huées du public. Le soir même, face à la pression médiatique, il est limogé par son équipe pour s’être soustrait à plusieurs contrôles anti-dopage avant le départ de l’épreuve et avoir menti sur son emploi du temps. Près de dix ans après l’affaire Festina, l’image du Tour est une nouvelle fois ternie.

Voilà pour la face sombre de l’une des plus célèbres ascensions de la Grande Boucle. Sombre, comme la vallée étroite qui conduit de son sommet jusqu’à Laruns et qui impressionnait tant les premiers suiveurs du Tour de France. Si Henri Desgrange ne voyait « rien au monde de plus hypocrite que l’Aubisque », en décrivant un col « tortueux, souvent boueux – enfin, quand ce n’est pas une tempête de poussière et de cailloux », la beauté naturelle du site, à l’image du vaste amphithéâtre de calcaire du cirque du Litor, en fait l’un des plus beaux représentants de la chaîne pyrénéenne. Comme le souligne l’écrivain-voyageur Paul Wilstach, « l’art du grand ingénieur, ici, atteint des sommets ».

Par Mathieu Langlais ( Mats ).

Crédit Photo :  Myrabella / Anthospace 
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Re: L'Aubisque, théâtre légendaire du Tour de France

Messagepar grandglouton » 09 Aoû 2018, 21:26

Magnifique ! J'étais à 2km du sommet de l'Aubisque le 27 juillet dernier.
Je connaissais l'histoire de Thévenet que j'avais lu dans son autobiographie ; quant à l'affaire Rasmussen, le 25 juillet 2007, jour de cette fameuse étape remportée par le danois, a aussi éclaté l'affaire Moreni, coureur de la Cofidis, pris pour dopage. Lourde ambiance le soir à l'arrivée et à l'hôtel des Cofidis. Comme souvent, quand le Tour arrive à Pau, il se passe quelque chose de pas très joli. Ce jour-là j'étais dans le col de Marie-Blanque et j'avais filé à Pau faire la tournée des hôtels.
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