Écrit le par dans la catégorie Histoire, Les forçats de la route.

En ces périodes de courses sous ultra contrôle, Le Gruppetto vous propose de revivre les grandes heures du Tour de France, à l’époque des étapes débridées, des échappées au long cours et des retournements de situation inattendus. Comme exemple parfait de ce cocktail, le Tour 1968. Dans la lignée des événements de mai, le Tour est explosif. Suspens, chutes, échappées, trahisons et même dopage… tout y est! Retour sur deux étapes de légende qui ont tout fait basculer.

Cinquante ans nous séparent de la seizième étape du Tour de France 1968. Cette année-là, les organisateurs proposent un Tour allégé en difficultés et les contrôles antidopage deviennent obligatoires, un an après la mort de Tom Simpson. L’équipe de France, bâtie autour de Raymond Poulidor et Roger Pingeon avec des équipiers solides, est largement favorite. Après une première moitié de course bien gérée, Poulidor se replace à la cinquième place au général lors de la douzième étape entre Pau et Saint-Gaudens, alors que Pingeon retrouve progressivement la condition après avoir été malade en début de Tour.

Au départ de la quinzième étape entre Font-Romeu et Albi, l’équipe de France semble donc en bonne posture, et cette étape de transition ne semble pas propice à un bouleversement de la situation. Mais à 192 kilomètres de l’arrivée, Pingeon attaque dans la côte de la Citadelle ! Personne ne réagit derrière, et il se retrouve avec deux minutes d’avance dix kilomètres plus loin, au sommet de la côte d’Espezel. Les Italiens tentent de réagir, mais leurs attaques sont neutralisées par les coureurs français, ce qui fait que le peloton ne s’organise pas. Pingeon prend alors une marge démesurée : à 75 kilomètres de l’arrivée, le vainqueur du Tour 1967 devance ses rivaux de treize minutes.

C’est alors qu’après 200 kilomètres de course, tout bascule : une moto de presse percute Raymond Poulidor, qui chute. Dans le peloton, les favoris réagissent : Jan Janssen roule, bien aidé par les coureurs de l’équipe de France B. En effet, leur leader Lucien Aimar, vainqueur du Tour deux ans plus tôt, est vexé d’avoir été relégué en équipe B par le directeur sportif Marcel Bidot. De plus, l’ambiance entre les deux équipes s’est encore aggravée depuis les déclarations de Roger Pingeon lors de la cinquième étape. Puisque Janssen et les Français roulent, les Belges, les Espagnols et les Italiens décident de participer. L’accélération du peloton, en plus de reléguer Poulidor à une minute et cinq secondes à l’arrivée malgré le travail de son équipier Bernard Guyot, pénalise fortement Pingeon : alors que son avance a longtemps dépassé les dix minutes, il coupe la ligne seulement trois minutes avant le groupe des favoris, réglé par Walter Godefroot. Bien peu de gain pour 192 kilomètres en solitaire…

Victime d’une mauvaise chute, Raymond Poulidor perdit ses espoirs de remporter le Tour de France 1968 lors de la quinzième étape.

Le lendemain, « Poupou » se présente au départ malgré ses blessures, espérant que l’étape entre Albi et Aurillac ne soit pas trop mouvementée, et ainsi entamer son rétablissement. Mais l’équipe de France B sonne à nouveau la charge : elle envoie Maurice Grain dans l’échappée, puis Lucien Aimar profite du premier ravitaillement pour attaquer, suivi par l’italien Franco Bitossi. Les deux hommes repris, Jan Janssen contre, suivi notamment par Wolfshohl, Visentini, Bracke, Godefroot et un équipier d’Aimar, Bolley. Quelques kilomètres plus loin, Aimar opère la jonction accompagné par Van Springel, Bitossi, San Miguel et Gomez del Moral. Il reste alors 80 kilomètres. Poulidor, affaibli par sa chute, et Pingeon, éreinté par son échappée de la veille, n’ont pas suivi et perdent rapidement du terrain. La situation empire à 60 kilomètres de l’arrivée, puisque la côte de Montsalvy fait craquer tous leurs équipiers. Bidot demande alors à Guyot, membre de l’échappée matinale, de se relever, mais ce sera insuffisant : à l’arrivée, les deux leaders de l’équipe de France concèdent neuf minutes ! À l’avant, Franco Bitossi et Rolf Wolfshohl se débarrassent de leurs adversaires à 20 kilomètres de l’arrivée et les relèguent à une minute sur la ligne. Bitossi remporte l’étape tandis que Wolfshohl se pare de jaune.

Ce 15 Juillet 1968 restera à jamais un jour noir pour l’équipe de France. Roger Pingeon, relégué à plus de huit minutes au général, se contentera de la cinquième place à Paris après une nouvelle échappée solitaire dans la Chartreuse, et le gain du classement de la combativité ne lui offrira qu’une maigre consolation. Poulidor renoncera quant à lui à prendre le départ deux jours plus tard. Mais l’hécatombe ne se limitait pas aux deux coureurs de l’équipe Mercier. La veille, Jean Stablinski, champion du monde en 1962 et vainqueur de la Vuelta en 1958, a été contrôlé positif et exclu du Tour. Une bien triste fin de carrière pour le recordman de victoires sur le championnat de France, et un événement de plus pour cette édition 1968, décidément forte en rebondissements.

Par Raphaël Thomazo.

Crédit photo : http://montour1959lasuite.blogspot.com/2011/11/poulidor-la-une-de-miroir-du-cyclisme-4.html
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Re: Juillet 68 : le jour où tout bascule

Messagepar grandglouton » 12 Aoû 2018, 07:32

Une époque révolue : des équipes nationales, bien plus d'étapes au-delà de 200km comparé à aujourd'hui, un cyclisme offensif, bref, rien à voir avec notre période actuelle.
J'ai noté que bien que ce soit une moto de presse qui fait chuter Poulydor, les autres leaders n'ont pas joué la carte fair-play : ils ont tous attaqué. Comme le répétait Laurent Fignon : "c'est un fait de course". L'an dernier, Froome a mal négocié un virage dans une descente, a fini dans l'herbe, et Bardet et les autres l'ont attendu, n'ont pas profité. Oui, le cyclisme relaté dans cet article est vraiment révolu.
Je me régale avec vos articles les gars. :ok:
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Re: Juillet 68 : le jour où tout bascule

Messagepar grandglouton » 12 Aoû 2018, 07:33

Sur la photo, Poulydor a un air de Johnny :mrgreen:
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