Le Tro Bro Leon fait partie des ces courses qui marquent un parcours professionnel, une course que beaucoup rêvent d’accrocher à leur palmarès. Ce n’est pas pour rien que l’amoureux de Paris-Roubaix, Damien Gaudin, en a fait son objectif principal l’année passée. Rencontre avec l’organisateur, l’homme derrière ce petit joyaux de Bretagne, Jean-Paul Mellouët.
« J’ai voulu mélanger ma passion de Paris-Roubaix et celle du cyclo-cross »
Quelle était votre relation avec le vélo, avant d’organiser le Tro Bro Leon ?
Dans les années 70, je courais à l’AC Milizac où j’ai rencontré les frères Magueur, Gérard Kerbrat et ensuite Ronan Pensec ou Gérard Rue. Mais j’étais un très mauvais coureur cycliste. Je faisais du cyclo-cross l’hiver et de la route un peu l’été, mais m’entraîner c’était pas ma tasse de thé parce que j’avais mon boulot à côté et je n’avais pas assez de temps. J’organisais aussi des cyclo-cross sur Lannilis (29) et ses alentours.
Comment vous est venue l’idée de créer cette course atypique ?
Mes enfants étaient à l’école bretonne, et pour la financer, payer le site puis les profs, on s’était dit qu’on allait créer une course cycliste totalement différente des circuits traditionnels. En parallèle on a aussi organisé des cyclo-cross.
Et pourquoi avoir opté sur ce qui fait la marque de fabrique de la course désormais, le mixe entre les chemins de terre et la route ?
J’ai voulu mélanger ma passion de Paris-Roubaix que je regardais à la télé et celle du cyclo-cross. L’idée du Tro Bro Leon m’est d’ailleurs venue en rentrant d’un cyclo-cross. À l’époque, je voulais éviter d’avoir le même scénario que celui des courses qui vont de bourgs en bourgs. Ici, ça ne monte pas trop, ou alors un peu dans les Abers et on s’est dit que pour corser la difficulté de l’épreuve, vu qu’on n’avait pas de pavés, on allait mettre des chemins de terre, des « ribinous ». Au début, il y en avait 5 kilomètres et désormais, il y en a 33.
Comment repérez-vous tous ces fameux “ribinous » ?
Je fais du repérage, il y a aussi des gens qui me disent “tiens, il y a un chemin sympa, viens voir”. Voilà comment ça se passe et j’en ai plein en réserve encore aujourd’hui, car tous les ans, on change le parcours. On a trouvé des chemins superbes, à l’extrême Ouest de la France. En 2018, il y aura 27 secteurs mais à une époque, on ajoutait un secteur par année. Cela a duré comme ça pendant 25 ans.
Tout le monde a-t-il adhéré au projet dès le départ, jusqu’à aujourd’hui ?
La première année, on s’est demandé si ça allait être le cas, et ça l’a tout de suite fait avec les amateurs. La région Bretagne joue sur l’identité culturelle de la course ce qui fait qu’ils m’aident pour l’organisation de la diffusion télé. Par contre, le département du Finistère, lui, beaucoup moins. C’est sûrement politique. Qu’il s’agisse d’une course amateur à Châteaulin où du Tro Bro Leon, nous recevons la même somme en subvention car ils ne tiennent pas compte du direct télé, ils nous disent que c’est notre problème et non le leur. Alors qu’à l’inverse nous avons signé un partenariat pour trois ans avec la communauté de commune.
N’avez vous jamais songé au Pro Tour ?
Pour le Pro Tour, il faut le budget, c’est tout ! Mais dans le futur y aura-t-il encore de la place pour nous ? Il faut voir. Est-ce que les équipes jouent vraiment le jeu, même les équipes françaises ? Les équipes ne tiennent pas forcément compte du nombre de bénévoles qu’il y a autour des courses. En France, c’est comme ça, on est des bénévoles, on ne gagne rien ; et demain je peux dire :”je m’arrête, ras-le-bol”. L’avenir des courses comme les nôtres dépend énormément des coureurs au départ pour attirer le public.
« On m’a souvent décrié et tiré dessus à une époque à cause des chemins »
Vous est-il arrivé d’essayer d’attirer tel ou tel coureur au départ de votre course ?
Non, on a aucun pouvoir sur la décision des coureurs de venir ou pas. Et je n’appelle personne, je ne suis pas là pour ça, ils font ce qu’ils veulent. Le problème qui se pose le plus, c’est un problème de calendrier. Je suis contre l’Amstel et cette année, elle termine à 17h. Mon direct télé, lui, commence à cette heure là et se termine à 18h30 avec un départ en décalé. Ce n’est pas terrible. Mais la course intéresse, on a des coureurs comme Damien Gaudin, voire des équipes qui viennent faire du repérage pendant la semaine avant la course tandis que d’autres me demandent le code Openrunner du parcours.
Depuis, l’idée des chemins de terre à été reprise dans certaines courses. Cela vous agace-t-il ?
Paris-Nice a utilisé des chemins, le Tour de France va le faire également, le Poitou Charente l’a aussi fait… On a même copié l’idée du cochon dans d’autres courses… On m’a souvent décrié et tiré dessus à une époque à cause des chemins. Cela ne me dérange pas que des gens me copient à l’étranger, mais en France, un peu plus. Fallait y penser avant !
Y-a-t-il une édition qui est sortie du lot depuis l’existence de la course ?
En 1996, ça a commencé à monter en puissance. La course était encore amateur, on avait avec nous le Vendée U et c’est la première fois qu’on a eu un contrôle antidopage. Et en plus, mon fils courait cette année-là. Chez les pro, ça a commencé à bouger quand Guesdon a gagné il y a 10 ans. Puis on a commencé à avoir la télé, en 2007 ou 2008. J’ai aussi en tête le triplé de la FDJ avec Mourey, Le Bon et Geslin. Il avait plu la veille et les chemins étaient tellement pourris qu’on s’est demandé s’il ne fallait changer l’itinéraire. C’est Bricaud (ndlr : Directeur sportif Groupama – FDJ) qui m’a dit : “non, laisse ça comme ça, c’est nickel”. Ça avait un peu séché le lendemain et ça a donné une très belle édition.
« C’est un boulot de dingue »
Quels ont été les moments les plus compliqués que vous ayez vécus sur la course ?
La première année, ça a été compliqué. D’ailleurs, on m’avait dit qu’il n’y aurait pas d’épreuve. Ils ne me connaissaient pas à l’époque (rires). Pendant la course, la voiture ouvreuse a pris un mauvais chemin et les deux premiers coureurs l’ont suivie. Il y a eu deux parcours en parallèle, un vrai bordel (sic). Une année, le dimanche, on m’a appelé en me disant qu’il n’y avait plus de panneau, il a fallu tout refaire sur 20 km le matin de la course. L’année dernière, on m’a arraché tout un secteur de bandeau. Il y a aussi eu un panneau de ribinou que je ne mets plus, parce qu’il a servi de cible au tir à la carabine. On ne passe plus par là. Il y a aussi les flèches qui sont enlevées pendant la semaine, parce que les gens pensent que la course est déjà terminée…
Comment est sélectionné l’autre star de la course, le cochon ?
C’est un agriculteur du secteur qui nous l’offre. On fait ça depuis 10-12 ans : comme on n’a pas de pavés, on offre un porcelet au premier breton du secteur. Il y a eu Sébastien Hinault ou bien Pichon qui l’ont gardé, puis offert à des copains paysans de la région pour qu’ils l’élèvent ensuite. Il ne voyage pas, il reste dans le coin autour de Lannilis.
Vous voyez-vous continuer encore longtemps ?
Non ! C’est un boulot de dingue, les chemins, les dérivations, les panneaux… vous n’avez pas ça dans les autres courses. Le plus dur, ce n’est pas le jour même, c’est juste avant, quand il faut gérer 100 personnes sur le site et tous les bénévoles. Pour prendre la relève il faut trouver quelqu’un, et ce n’est pas évident car on a tous le même âge. Maintenant, si quelqu’un se sent prêt à prendre la relève… avis aux amateurs !
Propos recueillis par Bertrand Guyot (@bguyot1982) pour Le Gruppetto
Crédit Photo : Ronan Caroff