Écrit le par dans la catégorie Interviews, Les forçats de la route.

Lancé le 24 juillet 2007 par sept équipes professionnelles, le MPCC (Mouvement pour un cycliste crédible) est dirigé depuis sa création par Roger Legeay. Ancien cycliste puis directeur sportif jusqu’à la fin du Crédit Agricole en 2008, Roger Legeay se trouve aujourd’hui à la tête d’un mouvement représentant actuellement deux tiers du peloton professionnel.

En tant que président du MPCC (Mouvement pour un cyclisme crédible), pouvez-vous nous expliquer le principe de l’association ?
Le MPCC a été créé en 2007, parce que l’instance internationale ne respectait pas les règles mises en place. Il représente 66% du peloton mondial professionnel (World Tour et Continental Pro) et est basé sur le volontariat, c’est-à-dire que les managers s’engagent sur beaucoup de choses, beaucoup de décisions que l’Union cycliste internationale (UCI) ou l’Agence mondiale antidopage (AMA) ne peuvent pas prendre. Par exemple, les membres ont le pouvoir de retirer d’une compétition un coureur impliqué dans une procédure disciplinaire en attendant sa résolution. Si le coureur est suspendu par une sanction de plus de six mois, non seulement l’équipe s’engage à licencier le coureur, mais les autres équipes membres s’engagent également à ne pas le recruter. Ce sont des choses que l’AMA ne peut pas faire. 

De quelle façon vous différenciez-vous des grandes instances ?
Dans le cadre de la santé, les médecins s’engagent à ne pas utiliser les corticoïdes en compétition. Si les coureurs sont malades et ont besoin de corticoïdes, ils s’arrêtent huit jours, se soignent et reviennent à la compétition. Nous faisons ensuite des contrôles sanguins pour surveiller la cortisolémie, toujours sur la base du volontariat. Depuis 2010, nous avons pratiqué pas moins de 3 000 contrôles. La cortisolémie est dangereuse pour la santé si elle est anormalement basse. A partir de là, les médecins arrêtent les coureurs le temps de retrouver un taux normal. Évidemment c’est dans le cadre de la santé mais surtout pour limiter l’utilisation abusive des corticoïdes. Les équipes et les médecins MPCC s’engagent à ça… Ils s’engagent aussi à ne pas utiliser le tramadol, qui est un opiacé très dangereux en compétition. Si jamais une équipe se retrouve avec deux coureurs positifs lors des douze derniers mois, elle s’engage à faire une introspection de huit jours. C’est un peu présent dans les règles de l’UCI, mais pas en totalité. Le MPCC est un donneur d’alerte, et depuis des années on demande à l’AMA de faire des choses, de rajouter des produits sur les listes… On travaille avec l’AMA et avec l’UCI, où le MPCC est représenté. Nos relations sont bonnes, on leur fait des propositions mais on comprend bien la difficulté de leur positionnement.

Vous donnez plus de pouvoir aux équipes en somme…
C’est une association qui est à l’avant-garde, parce que les règles de l’AMA, obligatoirement appliquées par l’UCI, ne peuvent pas être dérogées, mais ils ne peuvent pas aller plus loin. Chez nous c’est différent, les équipes peuvent se permettre de prendre plus de mesures. Mais le MPCC ce n’est pas que les équipes : huit grands sponsors se sont engagés eux aussi à respecter notre règlement, à savoir ne pas employer dans leur personnel, quel que soit le poste, un coureur suspendu plus de six mois. Une dizaine de fédérations nationales ont également suivi le mouvement et ont le droit de déclarer que les coureurs suspendus ne sont pas les bienvenus en équipes nationales. Beaucoup d’actions que les instances internationales ne peuvent pas faire.

Chaque année, le MPCC publie un rapport concernant les chiffres des cas relevés par sport.

 

Le MPCC publie plusieurs fois par an un récapitulatif sur les contrôles positifs dans les différents sports. Avec seulement 18 contrôles positifs, le cyclisme est loin derrière des sports comme le baseball (1er avec 96 cas positifs en 2017). Pourtant les allusions et accusations de dopage ne cessent de perdurer. Quel regard portez-vous sur cela ?

C’est pour cette raison qu’au MPCC nous faisons une « photographie instantanée », tous les trois à six mois, avec récapitulatif annuel pour connaitre un peu les athlètes dans le monde, tous sports et fédérations confondus. On agit ainsi depuis 5-6 ans et le cyclisme est loin d’être le sport le plus concerné. On peut discuter du nombre de contrôles, mais si le cyclisme enregistre certes des contrôles positifs, ce n’est pas le plus touché. Pourquoi réduire son image à cela ? Nous y sommes particulièrement sensibles en tant que cyclistes, mais en athlétisme ils sont très secoués aussi. Le cyclisme n’est pas exempt de reproches entre les histoires d’Armstrong, de Valverde, de Contador ou de la Sky maintenant… Mais en revanche une chose est sûre, c’est le sport de l’antidopage. Le cyclisme a inventé le contrôle antidopage, les contrôles sanguins, la localisation des athlètes… Ça a été proposé par le cyclisme, appliqué par le cyclisme, et ce qui est fait dans les autres sports en ce moment c’est ce que fait le cyclisme.

C’est une vraie lutte qui est engagée ?

C’est valable pour tous les sports, il y a un véritable combat qui est mené avec beaucoup de transparence, on le voit bien avec l’AMA et la liste des produits interdits. La problématique de la recherche c’est de trouver. Il y a une volonté évidente de trouver les produits, de confondre les tricheurs et d’apporter la preuve juridique. Mais c’est aussi pour cela que les athlètes, tous sports confondus, ont souvent de l’avance sur l’antidopage. Le MPCC veut parer à cela en anticipant, avec des sanctions beaucoup plus fortes que l’AMA. Si toutes les équipes respectaient cela, plus aucun athlète ne serait contrôlé positif sur les compétitions. C’est ce qu’essaie de faire le CIO avec les Jeux olympiques, pour éviter que les fédérations n’engagent des sportifs qui ont été positifs, mais juridiquement c’est difficile de l’imposer. C’est à chaque fédération de prendre l’engagement, sur la base du volontariat, d’interdire l’équipe nationale aux coureurs pris par la patrouille.

Le MPCC n’a pas de réel pouvoir si ce n’est le respect symbolique du règlement…

Nous nous considérons comme « un plus ». Notre règlement est basé sur la bonne conduite. Et ce que j’ai souhaité, c’est qu’on vérifie cette bonne conduite. Notamment pour que les fans, la presse, voire toute personne qui le souhaite puissent attester que ce que l’on dit, on le fait. Quand les équipes s’engagent à ne pas faire courir un cycliste qui est engagé dans une procédure, vous voyez si on le fait ; si un coureur positif suspendu plus de six mois est licencié vous le voyez ; s’il y a introspection d’une équipe qui a subi deux cas positifs dans les douze mois vous le voyez – ou pas, comme pour AG2R mais c’est une autre histoire… Il est facile de contrôler les membres puisqu’ils se sont engagés volontairement. Si jamais ils ne respectent pas le règlement, ce qui est arrivé, le MPCC leur dit « vous ne faites plus partie de notre bande, vous êtes exclus. » Ça n’empêche pas le cycliste de courir, mais ça pointe du doigt l’équipe qui n’a pas respecté son engagement. 

Un rattachement avec une instance internationale serait-il envisageable ?
Non seulement nous ne le pouvons pas mais surtout nous ne le souhaitons pas ! Nous sommes indépendants mais nous ne sommes pas en concurrence. Personnellement je siège déjà au conseil des cyclistes professionnels en tant que membre-invité représentant du MPCC. Il y a une reconnaissance de la part de l’UCI, car on peut faire des choses qu’eux ne peuvent pas. Au final on se complète, et c’est un plus incontournable pour eux. L’affaire Froome en est le parfait exemple : si l’équipe Sky était au MPCC, Froome n’aurait pris part à aucune compétition jusqu’à la fin de la procédure.

A ce propos, que pensez-vous du comportement du Britannique et de cette affaire ?

On ne peut pas juger sur la partie juridique et disciplinaire, on ne sait pas ce que ça va donner. En revanche ça donne une mauvaise image à l’équipe ainsi qu’au cyclisme, et donc pendant la procédure il ne devrait pas courir. Si cela arrivait aux grands leaders des équipes membres du MPCC comme Bora avec Sagan, la FDJ avec Démare ou Pinot, AG2R avec Bardet ou encore Lotto avec Greipel, ils ne courraient pas. Ça change quand même beaucoup de choses.

22 des 27 équipes Continental pro ont intégré le mouvement mais seulement 7 équipes World Tour sur 18… Une explication ? 
Attention ce n’est pas parce-qu’elles ne sont pas au sein du MPCC qu’elles ne sont pas respectables, mais comme on est sur la base du volontariat chacun fait ce qu’il veut. On regroupe quand même sept grandes équipes avec AG2R, la FDJ, Bora, EF Education, Dimension Data, Lotto-Soudal et Sunweb. D’autres grandes équipes étaient encore membres il y a peu comme Astana, Katusha, ou la Lampre mais elles n’ont pas voulu se conformer aux règles et ont donc été exclues ! C’est dommage mais c’est leur choix.

Dans la même lignée, pourquoi n’y a-t-il que 6 équipes féminines parmi vos 44 membres enregistrés (dont 5 de la même structure que l’équipe masculine) ?
Le MPCC a d’abord été créé pour les équipes de première et deuxième divisions masculines. Nous ne nous sommes ouverts qu’ensuite aux féminines, aux sponsors, aux fédérations… qui avaient tous montré leur intérêt. Après il est vrai que ce sont toujours principalement les équipes qui ont les moyens qui répondent présentes. Il y a une telle multitude d’équipes à travers le monde que la plupart ont bien d’autres soucis que de savoir s’ils doivent intégrer le MPCC ou non. En revanche, le MPCC représente 66 % des deux premières catégories masculines, soit une quinzaine de nations au total. Les équipes féminines commencent à leur tour à montrer l’exemple.

Quand on voit des équipes non soumises au passeport biologique courir contre des équipes professionnelles (World Tour et Continental Pro) qui le sont, ça ne pose pas un problème ?

Si mais c’est très complexe à gérer, c’est la problématique de l’AMA. Dans certains pays comme la France, ces équipes n’ont pas de passeport biologique mais restent soumises aux mêmes règles que les autres équipes. Quand ils courent, leur cortisolémie est contrôlée.

Faut-il interdire l’utilisation des Autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT) comme le souhaitent certains coureurs ?

Il faudrait une nouvelle réglementation sur les corticoïdes, mais ça ne bouge pas beaucoup à l’AMA. Ce sont eux qui édictent les règles à l’international, donc il faut que ce soit adapté à tous les sports. Le règlement strict du MPCC permet d’éviter ces abus. Preuve supplémentaire du bien-fondé de notre politique, depuis 2007, personne parmi les spécialistes, scientifiques ou dirigeants n’a critiqué nos règles.

L’UCI a durci ses sanctions depuis quelques temps, oscillant généralement entre 2 et 4 ans de suspension. Sont-elles suffisamment dissuasives ?
C’est mieux que rien, mais ça a moins de poids que la règle du MPCC. Au début du mouvement, peut-être y avait-il encore quelques coureurs contrôlés positifs par le passé parmi les équipes membres. Mais aujourd’hui c’est terminé, c’est notre marque de fabrique. Nous ne sommes pas là pour juger le passé mais pour parier sur le présent et l’avenir. Ce qui a pu arriver par le passé est le problème de la justice, des instances. Et si une équipe avec certains antécédents souhaite nous rejoindre, avec de bonnes intentions et le respect de nos règles, il n’y a pas de problème.

Le logo du MPCC, mouvement qui fêtera son onzième anniversaire en juillet prochain.

La suspension à vie ne serait-elle pas le moyen radical de stopper les pratiques illégales ?
Au MPCC c’est l’idée. Mais ça n’empêchera pas le dopage, parce que l’être humain est comme ça. Je compare souvent le sport avec d’autres activités professionnelles comme la politique ou la médecine : la bouteille de vin est très bonne, mais dans le fond de la bouteille il y a toujours un petit peu de lie. C’est valable pour toutes les professions. Il faut comprendre qu’il y aura toujours des contrôles positifs, mais surtout montrer au public ce qui est fait pour résoudre le problème. Les actions du MPCC permettent de crédibiliser le cyclisme et les performances.

Après les années noires du dopage de masse, quel est votre sentiment vis-à-vis du peloton actuel et de l’évolution du dopage mécanique ? 
Je suis optimiste, je pense qu’on a vraiment un bon cyclisme aujourd’hui. Je le répète, le cyclisme est le sport de l’antidopage et il fait tout pour s’améliorer. Il y a sans doute eu des dérives avec la fraude technologique mais de manière partielle, et le président de l’UCI David Lappartient va vraiment s’engager là-dessus. Évidemment c’est beaucoup plus facile à détecter vu qu’on peut le voir, donc il faut mettre tous les moyens pour le déceler et le décourager… Au niveau amateur en revanche, la tentation du vélo électrique est sûrement plus répandue mais très difficile à contrôler.

Quel regard portez-vous sur le cyclisme d’aujourd’hui ? Ne regrettez-vous pas les anciennes périodes où il y avait plus de spectacle ?
On critique beaucoup les étapes de plaine et leurs scénarii trop convenus. Mais il en faut pour tout le monde. Et puis, c’est beau un sprint ! Il faut avoir de la mémoire : déjà du temps de la « Garde rouge » (Rik van Looy et l’équipe Faema, ndlr) ça arrivait au sprint. Moi j’étais de l’époque Peugeot, Maertens gagnait 11 étapes sur la Vuelta, 5 sur Paris-Nice, idem pour Merckx… Aujourd’hui on a la chance d’avoir 7-8 équipes qui ont de grands sprinteurs, alors plutôt que de critiquer il vaudrait mieux montrer la beauté de la spécialité.

Quel est le problème avec l’image du sprint selon vous ?
Peut-être que la télévision a encore quelque chose à prouver, parce que le sprint ce n’est pas uniquement sur la ligne d’arrivée que ça se passe. Le sprint c’est dans les dix derniers kilomètres, en vingtième position. C’est là que c’est intéressant, là où ça frotte. C’est très beau athlétiquement, sportivement et techniquement. Il en faut des arrivées au sprint. De toute façon, au final, ce ne sont pas les sprinteurs qui gagnent le Tour de France.

Propos recueillis par Awen Le Gall.

 

Crédit photo : Clémence Ducrot / Velobs pour MPCC
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Re: Roger Legeay : "Le cyclisme est le sport de l'antidopage

Messagepar Coxo » 01 Mar 2018, 19:31

Très intéressant Guame :ok:
Seulement 7 équipes WT au MCCP :sarcastic:
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Re: Roger Legeay : "Le cyclisme est le sport de l'antidopage

Messagepar B-A » 01 Mar 2018, 19:44

Coxo a écrit:Très intéressant Guame :ok:
Seulement 7 équipes WT au MCCP :sarcastic:


C'est un article de Kornrat ;)
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Re: Roger Legeay : "Le cyclisme est le sport de l'antidopage

Messagepar Coxo » 01 Mar 2018, 19:58

B-A a écrit:
Coxo a écrit:Très intéressant Guame :ok:
Seulement 7 équipes WT au MCCP :sarcastic:


C'est un article de Kornrat ;)

Autant pour moi :wtf
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Re: Roger Legeay : "Le cyclisme est le sport de l'antidopage

Messagepar gosso » 02 Mar 2018, 09:00

Comme déjà dit, vraiment une interview intéressante ;)
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Re: Roger Legeay : "Le cyclisme est le sport de l'antidopage

Messagepar Tyler » 02 Mar 2018, 09:40

J'avais peur de trouver l'ITW un peu longue et barbante, c'est loin d'être le cas, intéressant et qui se lit bien.
Bravo à l'auteur (et aux relecteurs) ;)
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Re: Roger Legeay : "Le cyclisme est le sport de l'antidopage

Messagepar Mania » 02 Mar 2018, 09:45

Interview sympa ! Bravo Kornrat :ok:
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Re: Roger Legeay : "Le cyclisme est le sport de l'antidopage

Messagepar Kornrat » 02 Mar 2018, 10:39

Merci à vous et aux relecteurs également !
Modifié en dernier par Kornrat le 02 Mar 2018, 10:50, modifié 1 fois.
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Re: Roger Legeay : "Le cyclisme est le sport de l'antidopage

Messagepar Tyler » 02 Mar 2018, 10:47

Kornrat a écrit:Merci à vous et aux relecteurs également !



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Re: Roger Legeay : "Le cyclisme est le sport de l'antidopage

Messagepar Kornrat » 02 Mar 2018, 10:51

Oops, je pensais l'avoir mis.
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Re: Roger Legeay : "Le cyclisme est le sport de l'antidopage

Messagepar Cyro » 02 Mar 2018, 13:08

Sympa :heureux:
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