“L’honnêteté, la sincérité, la simplicité, l’humilité, la générosité, l’absence de vanité, la capacité à servir les autres – qualités à la portée de toutes les âmes- sont les véritables fondations de notre vie spirituelle”. Voilà les mots que glissait sur la page de son journal intime, Nelson Mandela à l’encre de son stylo. Des mots qui rassemblent dans un monde divisé et qui frappent les consciences avec douceur. Ce discours, Jean-René Bernaudeau l’a fait sien et il l’a guidé au Qatar, puis au Gabon, jusqu’à la Tropicale Amissa Bongo.
Bernaudeau : « c’est surtout des raisons de ne pas y aller, que je ne trouve pas »
« Le sport a le pouvoir de rapprocher les peuples et doit au moins servir à ça. Je suis particulièrement attaché à cette dimension humaine ». Difficile de contredire celui qui fit participer pour la première fois de l’histoire du Tour de France un coureur de couleur noire, en l’occurrence Yohann Gene. Le côté pionnier, il aime ça, Bernaudeau, lui qui fut l’un des premiers dirigeants d’équipe à écumer les routes du Tour du Qatar, et qui, s’il a décliné les 2 premières éditions de la Tropicale Amissa Bongo, a été emporté par la curiosité ensuite. Il faut dire que les retours des deux premières éditions étaient alléchants : « On m’a dit que les routes étaient magnifiques, sans décalage horaire, qu’il y faisait un peu chaud, que le cyclisme y était dynamique… Je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison de ne pas y aller. J’ai dit « banco! » ».
Au Gabon, pour Direct Energie, il n’est guère question de compétition ou de victoire. L’essentiel se niche ailleurs, dans la fraternité propice aux échanges et à l’entraide : « je règle encore des cales, mais beaucoup moins maintenant. On a un devoir social important quand on va là-bas et il faut y aller comme une équipe qui veut aider et montrer un petit panorama de ce que peut donner le cyclisme de haut niveau aux collectifs présents sur place ». L’équipe inscrite au programme de la compétition est là avant tout pour le plaisir. Plaisir de vivre et d’offrir. Thomas Voeckler, pourtant en pleine apogée de son talent s’y pressait également : « J’ai beau chercher des raisons d’y aller, c’est surtout des raisons de ne pas y aller que je ne trouve pas. Et c’est partagé. Thomas Voeckler, 4e de Liège-Bastogne-Liège en 2012, a été le premier à prendre l’avion le soir pour aller au Gabon, alors qu’il était en plein cœur de la meilleure saison de sa carrière ».
Le Gabon bouscule l’imaginaire. Là où le spectateur se plaît à imaginer, en Afrique, des terre arides aux dunes balayées par le vent ou une savane sauvage reposant au pied du Kilimandjaro, il n’en est rien dans ce pays. Les coureurs parcourent des terres à la chlorophylle éclatante, des étendues verdoyantes aux bords des plages et d’un océan bleu turquoise, petits paradis en plein cœur de l’Afrique. Point de nuée de spectateurs, la capitale Libreville représente un peu plus de la moitié des 2 millions d’habitants qui peuplent le pays : « A part les deux grandes villes, il y a quelques bourgs, quelques carrefours avec du monde sur la route, mais voilà tout. C’est un pays particulier, assez peu peuplé mais dès que l’on franchit la frontière et qu’on passe au Cameroun, ce sont des marées humaines ». Peu d’habitants certes, mais quels habitants ! Dans ce pays, transpire l’amitié des peuples, de celle qui attache et manque tant une fois l’heure des adieux arrivée : « Il y a une telle fraîcheur là bas, une telle fraternité qui explose, c’est un bonheur ! On va tous se serrer la main, je les connais presque tous, c’est la seule course comme cela dans l’année. Ça fait drôle d’ailleurs quand je rentre dans le circuit professionnel traditionnel. Il y a un choc. » Tout n’y est pas rose pourtant : « J’ai vu des trucs pas forcément très sympas comme des chefs de délégation africaine qui se faisaient porter leurs valises alors que les coureurs n’avaient pas trois boyaux pour la course. Je leur ai dit : « je n’ai pas envie de vous parler, la priorité pour vous ce devrait être les jeunes ». Mais c’est en train d’évoluer dans le bon sens ».

Victoire de l’Allemand Lucas Carstensen devant Adrien Petit sur la première étape de la Tropicale Amissa Bongo 2018.
« Il faut juste y aller sans penser à l’argent »
Les coureurs se doivent ainsi d’être à la hauteur de l’enjeu, lequel dépasse le simple aspect sportif. Sorte de parenthèse enchantée dans leur saison, leur devoir est avant tout de participer à leur petite à échelle au développement du cyclisme en Afrique. Ils sont quelques-uns à le prophétiser : le jour où l’Afrique s’éveillera, le monde du vélo tremblera ! Il se passe au Gabon, des anecdotes qui prêteraient à sourire dans le vieux continent mais qui forgent le respect et sont de vrais révélateurs de ce que pourraient donner ces athlètes avec de bonnes conditions de travail: « j’ai vu des Kenyans qui faisaient leur première course de vélo. C’étaient genre, les 15e athlètes en marathon. Et ils étaient loin d’être ridicules alors qu’ils couraient avec des pros. Ce sont des coureurs qui découvrent le haut niveau à 22 ans, alors que chez nous au Vendée U, c’est plutôt à 18 ans. Au niveau du potentiel, Bernard Hinault a vraiment raison, ils ont la capacité de gagner une étape du Tour de France très prochainement ! »
Pourtant, ils sont bien peu à faire le déplacement dans cette pépinière de talent qui ne demande pourtant qu’à éclore, si l’on daignait bien s’intéresser un peu plus à elle. L’Afrique tend les bras à ce vieux continent qui se refuse à elle. Il suffirait de presque rien pourtant…
Jean-René Bernaudeau, lui n’en a cure : « iIs (les dirigeants des autres équipes World Tour et Continentales, ndlr) ne m’intéressent pas beaucoup, on ne partage pas la même vision. Ce qui me passionne c’est la jeunesse. Ma démarche est un peu exotique mais il n’y a pas de raison de ne pas l’avoir, car c’est tellement enrichissant ! Peut-être qu’un jour ça ira mieux. Il faut juste y aller sans penser à l’argent. La priorité ne doit pas être le business ». Hélas, comme le disait Antoine Blondin, “quand la curiosité est satisfaite, on délaisse l’objet. Sans y revenir”. Dimension Data, qui aurait pu être le porte étendard des ambitions du berceau de l’humanité, l’abandonne désormais, au point de ne pas participer à la Tropicale.

Les routes de la Tropicale Amissa Bongo peuvent mener à celles du Tour de France, à l’image de la carrière de Natnael Berhane.
« Il y a une pépinière de talents, en Erythrée par exemple »
Peu importe, si l’élite du cyclisme ne daigne pas se pencher sur sa sœur Africaine, qu’il s’agisse de Bouygues Telecom, d’Europcar, ou bien de Direct Energie, tant que Jean René Bernaudeau en sera le dirigeant, sa structure trouvera le moyen d’être présente sur l’épreuve, pour y dénicher les coureurs de demain, ceux qui attendent qu’on leur tende la main. Natnael Berhane a été de ces coureurs Africains que l’ancien coéquipier de Bernard Hinault a accueilli au sein de sa structure. Une belle expérience et une belle histoire avec l’épreuve gabonaise : « un des plus beaux souvenir que j’ai, c’est la victoire de Natnael, qui bat au sprint Jérôme Pineau, alors chez Quick Step. La foule le porte, elle le prend, s’en empare et l’amène en triomphe sur le podium. Tout le monde pleurait, les commentateurs, le public et même nous! » D’autres Natnael attendent certainement. Pas facile cependant de les accueillir dans l’hexagone : « il y a une pépinière de talents, en Erythrée par exemple en tant qu’ancienne colonie italienne. Mais pour les accueillir, c’est très compliqué avec les visas. J’ai dû me porter garant personnellement pour les coureurs qui venaient chez nous. Mais si je peux découvrir un petit coureur de 19 ans qui sort de l’ordinaire, j’essayerai de le faire venir 3 à 4 mois au Vendée U. C’est l’un des objectifs de ma venue ».
Voilà, 9 ans après sa première participation, la fièvre n’est pas descendue chez Bernaudeau, la passion est toujours là, prenante, qui enserre son cœur à tel point de ne plus imaginer l’existence sans elle : « pour moi, la Tropicale est devenue obligatoire et prioritaire. Et s’il n’était pas si tard dans la saison, c’est sûr que nous irions aussi sur le Tour du Rwanda ».
Loin du sportif et pourtant si proche, l’essentiel au Gabon est ailleurs : « le sport peut combattre le racisme. Et l’un des mes objectif de vie, c’est de laisser la trace de quelqu’un qui a fait du bien ».
Propos recueillis par Bertrand Guyot ( bguyot1982) pour Le Gruppetto
Crédit Photo : https://www.tropicaleamissabongo.com/fr/photos