L’Allemagne accueille de nouveau le Tour de France après l’avoir boudé pendant quelques années, la faute aux dérives d’un cyclisme national qui faisait les gros titres plutôt pour les affaires de dopage que pour ses exploits. Depuis, une nouvelle génération a rendu le goût du cyclisme aux Allemands qui sont enfin prêts à continuer leur longue histoire avec le Tour de France. Celle-ci a commencé dès 1903, de la participation de Josef Fischer à la dernière victoire d’André Greipel sur les Champs, de courtes incursions en Lorraine alors allemande, jusqu’à un grand départ osé au pied du Mur de Berlin. Retour sur l’histoire du Tour en Allemagne et des Allemands sur le Tour.
Le Tour en Allemagne
L’Allemagne inaugure la liste des pays étrangers visités par le Tour.
Le Tour de France s’exporta très tôt hors de ses frontières, dès 1906 et sa 4ème édition. Certes, il ne s’agissait que d’une petite incursion de quelques kilomètres en Lorraine lors de la 2ème étape arrivant à Nancy, sur des terres qui étaient encore françaises en 1870. Dans le contexte d’une époque marquée par le nationalisme et des relations franco-allemandes tendues, il était difficile de ne pas y voir un symbole plutôt qu’une ouverture sur le monde. La manœuvre réussit pourtant puisque Metz, dès l’année suivante, devint la première ville « étrangère » à accueillir une arrivée d’étape. Le premier vainqueur en terre allemande fut ainsi Emile Georget, rejoint au palmarès par Louis Trousselier sur décision des commissaires. Metz s’installait même comme une étape incontournable marquant la fin de la descente depuis le Nord en longeant la frontière belge et le prélude à la traversée des Vosges. Le Tour fit ainsi quatre fois escale à Metz, de 1907 à 1910, avant de se replier à Longwy dès 1911.
Ce fut la fin provisoire de l’histoire du Tour avec l’Allemagne. Metz retrouvait son statut de ville-étape à la suite de la 1ère Guerre Mondiale, mais cette fois-ci en territoire français. Lors de l’entre-deux guerres, le Tour de France s’appliquait à faire le tour du chemin de ronde, longeant les frontières sans jamais les dépasser, en dehors de quelques arrivées dans la ville de Genève. Le Tour de France ouvrit ses frontières dès 1947, en particulier à la Belgique. Il fallut attendre quelques années supplémentaires pour que l’Allemagne vit à nouveau la grande boucle, avec quelques kilomètres anecdotiques en 1955. Le pays et son cyclisme en plein développement était récompensé d’une première arrivée d’étape en 1964, à Freiburg, où le Belge Willy Derboven s’imposait. Rudy Altig, chef de file du cyclisme allemand de l’époque ne parvint à récidiver comme à Metz la veille, mais il se parait néanmoins du maillot jaune, une fête réussie pour le pays-hôte.
Un premier grand départ en 1965
Si le Tour repartit tout de suite en France en 1964, cela appelait néanmoins à de nouvelles étapes en terres allemandes. Il en était ainsi dès l’édition suivante, en 1965, avec le luxe d’un grand départ. Tout le peloton se retrouvait à Cologne pour s’élancer à l’assaut du Tour de France. Le prologue n’existant pas encore, le passage fut à nouveau bref, l’arrivée de la première étape en ligne ayant lieu à Liège, comme cela sera le cas cette année. Après cela, l’Allemagne rentrait légèrement dans le rang et dut attendre 1970 et une arrivée à Felsberg pour accueillir à nouveau le Tour, puis une seconde arrivée à Freiburg lors de l’édition 1971. L’Allemagne s’ancrait alors doucement sur la route du Tour, même si le pays est moins accessible que la Belgique souvent visitée à cette époque.
Les organisateurs conservaient le même rythme, la prochaine escale se faisant en 1977, toujours à Freiburg. Cette fois-ci, un Allemand avait les honneurs de la course. Même s’il ne s’imposait pas, Dietrich Thurau poursuivit son périple en jaune, lui qui portait le maillot depuis le prologue. L’Allemagne attendit moins longtemps pour recevoir à nouveau le Tour, en 1980, pour son deuxième grand départ, cette fois à Frankfurt-am-Main. Pour la première fois, le pays était réellement mis à l’honneur, avec trois étapes, un prologue, une étape en ligne et un contre-la-montre par équipe réparties entre Frankfurt et Wiesbaden. Cette dernière accueillait également le départ d’une quatrième étape vers Metz. L’Allemagne ne voyait toujours pas un coureur national lever les bras, Didi Thurau échouant à la 5ème place du prologue remporté par Hinault, puis à la 4ème place le lendemain dans un sprint de costaud dominé par Raas.
Le Tour retrouve son audace à Berlin-Ouest
Le Tour de France prit goût aux grands départs allemands. Après un délai d’attente de seulement 7 ans, la grande boucle était de retour et la destination choisi particulièrement audacieuse pour 1987. Il s’agit en effet de Berlin, la ville étant encore coupée en deux par un gigantesque mur. Même si la détente était de rigueur avec le bloc soviétique, le symbole reste particulièrement fort que de faire partir la plus grande course cycliste du monde à quelques mètres de leurs miradors, puis de traverser la moitié de la RDA pour continuer la course. Ce départ est encore de nos jours le plus lointain pour le Tour de France, prélude pour certains à l’époque d’ouvertures encore plus exotiques. Le Tour de France prenait ses quartiers à Berlin pour trois étapes, prologue, étape en ligne et contre-la-montre par équipes, disputés en ville. Si les Allemands ne réussissaient toujours pas à s’imposer à domicile, ce fut un Polonais qui tira son épingle du jeu. Lech Piasecki, fraîchement émigré en Italie en 1986, profita d’une cassure sur l’étape en ligne pour ravir le maillot jaune au vainqueur du prologue, Jelle Nijdam. Il s’agissait du premier représentant du bloc de l’Est à porter le maillot de leader, tout un symbole à Berlin.
Le reste du pays profita aussi de la course, avec des étapes à Karlsruhe, Stuttgart et Pforzheim et là encore, les allemands rentrèrent bredouille. L’Allemagne retrouva ensuite le Tour en 1992, alors qu’il fêtait le traité de Maastricht et faisait escale partout en Europe. Jan Nevens s’imposait à Koblenz. Depuis l’Allemagne n’a plus accueilli de nouveau grand départ, mais est restée une destination fétiche au début des années 2000, 4 passages dont 3 étapes entre 2000 et 2006. L’Allemagne était au sommet de la vague de popularité initiée par la génération de Jan Ullrich ou Erik Zabel. Depuis, la relation entre l’Allemagne et le Tour s’est dégradée. L’accumulation des affaires de dopage a détourné le spectateur allemand au point même qu’aucune chaîne publique ne veuille retransmettre la course. La nouvelle génération incarnée par Kittel, Greipel, Degenkolb ou Martin suscite de nouveau l’intérêt des supporters, au point de voir la course revenir par la grande porte, 12 ans après une dernière étape à Karlsruhe et 30 ans après le grand départ de Berlin. Il ne fait nul doute que les têtes d’affiche du cyclisme allemand seront motivées pour remporter un succès à domicile qui leur fait défaut depuis toujours.
Les Allemands et le Tour
Des débuts en dents de scie
Si les Allemands n’ont jamais levé les bras sur leurs terres, ils n’ont pas fait de figuration pour autant sur le Tour de France, décrochant quelques succès d’estime. Josef Fischer, vainqueur de Paris-Roubaix en 1896 et de Bordeaux-Paris en 1900, faisait partie de l’épopée initiale de l’édition 1903 qu’il achevait à une modeste 15ème place. Le champion allemand ne tenta plus l’aventure lors des éditions suivantes. Il fallait attendre l’avènement des équipes nationales en 1930 pour voir des allemands à nouveau au départ. L’Allemagne vint avec une équipe à part entière, alors que jusqu’ici, aucun d’entre eux n’avait figuré parmi les grandes formations qui régnaient sur la course, ou même en simple indépendant. Adolf Schön fut le premier à se distinguer en 1930, en achevant la course au dixième rang. Erich Metze progressait l’année suivante en obtenant le huitième rang. 1932 est à marquer d’une pierre blanche. Kurt Stöpel s’imposait lors de la deuxième étape. Il devint ainsi le premier vainqueur d’étape pour l’Allemagne. Il s’emparait en outre du maillot jaune, qu’il ne porta qu’un seul jour, pour terminer la course en 2ème position. Stöpel est le roi des premières et marque des sommets qui ne seront plus atteints avant de nombreuses décennies. Les Allemands continuaient toutefois de produire de solides performances, en particulier en 1937, avec 4 victoires d’étape tandis qu’Erich Bautz passait 5 jours en jaune. En 1938, dernière participation de l’équipe d’Allemagne, Willy Oberbeck remportait l’étape inaugurale et passait une journée en jaune.
Il fallut attendre quelques années avant de revoir un coureur allemand, que les blessures laissées par la seconde guerre mondiale cicatrisent et que l’Allemagne ne soit plus bannie du monde sportif. Le retour fut tardif sur le Tour, l’Allemagne n’ayant pas forcément le niveau pour prétendre à sa propre équipe nationale, d’autant plus que seuls les coureurs professionnels de l’Ouest pouvaient se déplacer en France. 1958 marquait leur retour, d’abord au sein de l’équipe suisse, puis seule en 1960. 1960 était aussi l’année du retour de l’Allemagne au plus haut niveau. Hans Junkermann s’échappait en compagnie du futur vainqueur Nencini, s’assurant une belle avance qui lui permit finir 4ème au général. Il confirmait l’année suivante avec une 5ème place, mais ce fut un autre coureur qui leva à nouveau les bras sur le Tour de France. Rudi Altig était le nouveau chef de file du cyclisme allemand en 1962 et le premier grand champion que le pays a compté. Il s’imposa dès le prologue, puis sur deux étapes supplémentaires, passant 3 jours en jaune et remportant également le maillot vert. Coureur polyvalent, il s’offrit 8 étapes sur le Tour en 4 participations, accompagnées de 16 jours en jaune, sans toutefois réellement briller au général.
L’Allemagne profite de la réunification
L’Allemagne connut d’autres bons coureurs à l’époque, comme Rolf Wolfsohl ou Karl-Heinz Kunde, qui réussirent à se classer parmi les dix premiers du classement général, mais sans paraître capable de faire mieux. Le pays connut un passage à vide jusqu’en 1977. Dietrich Thurau entrait par la grande porte pour son premier Tour de France. A 22 ans, il remporta le prologue ainsi que 4 autres étapes supplémentaires et le maillot de meilleur jeune, passant en outre les deux premières semaines de course en jaune. Si la montagne était trop forte pour lui, il finit la course à une encourageante 5ème place, un an après une Vuelta aussi riche en succès et achevée en 4ème position. S’il connaitra une belle carrière avec quelques succès d’estime et plusieurs places d’honneur, il ne retrouva plus jamais les mêmes jambes sur le Tour de France.
Après une dernière victoire d’étape en 1979 par ce même Thurau, l’Allemagne dut attendre 1987 pour lever à nouveau les bras, par l’intermédiaire de Rolf Gölz. Si le Tour s’élançait cette année au pied du Mur de Berlin, il fallut attendre sa chute pour voir l’Allemagne prendre son envol. Les coureurs est-allemands dominaient en effet le monde « amateur » et profitèrent de l’ouverture du rideau de fer pour se joindre aux professionnels. Fer de lance de cette génération, Olaf Ludwig se distingua en 1990 en remportant le maillot vert doublé d’une étape. Ce fut un premier succès qui en annonçait d’autres pour lui. Olaf Ludwig remportait encore deux étapes en 1992 et 1993. Il annonçait surtout une toute nouvelle génération, formée aux rudes méthodes d’un état communiste mais débutant sa carrière professionnelle dans l’Allemagne réunifiée, ainsi que la naissance d’une véritable culture du sprint.
Une génération dorée s’installe
Cette génération était emmenée par Erik Zabel et Jan Ullrich. C’était la grande époque de l’équipe Deutsche Telekom qui s’imposait doucement comme la patronne du Tour de France. Sprinteur de son état, Erik Zabel débutait sur les routes du Tour en 1994, mais se fit un nom dès 1995 en remportant ses deux premières étapes. S’il n’était pas aussi spectaculaire que le flamboyant Mario Cipollini, ses qualités physiques qui lui permettaient de franchir aisément la montagne par rapport à ses concurrents du classement par points et sa régularité sur trois semaines lui offrirent le maillot vert six fois consécutivement entre 1996 et 2001. C’est un record qui tient toujours même si Peter Sagan semble bien parti pour l’égaler dès cet été. Erik Zabel a remporté 12 étapes entre 1995 et 2002, même s’il participa au tour jusqu’en 2008. En dehors de ses succès sur le Tour, Zabel était l’un des meilleurs sprinteurs de sa génération, glanant des succès parmi les plus prestigieuses classiques comme Milan-San Remo ainsi que de nombreuses autres victoires d’étapes.
L’autre nouveauté de cette génération provint de sa capacité à jouer le général. Si Jens Heppner et Udo Bölts avait entrouvert la voie en prenant une place dans les dix premiers, comme avait réussi leurs ainés des années 60, Jan Ullrich a porté le cyclisme allemand à un autre niveau. Dès son premier Tour de France en 1996, le jeune coureur de 22 ans renversait les montagnes au point de pratiquement griller la politesse à son leader Bjarne Riis. Jan Ullrich devait se contenter de la 2ème place, égalant ainsi Kurt Stöpel en 1932. Cependant, sa marge de progression était telle qu’il faisait déjà figure de grand favori de l’édition 1997. Il ne manqua pas son rendez-vous avec l’histoire en s’imposant assez facilement après quelques performances stupéfiantes. La légende semblait en marche et l’Allemand un nouveau candidat crédible pour franchir la barre des 5 victoires. Hélas, tout ne se passa pas comme annoncé. La machine se grippait en 1998 face à Marco Pantani, avant que l’émergence de Lance Armstrong ne le relègue à un rang d’éternel second, d’un perdant généreux et sympathique et de souffre-douleur de l’Américain triomphant. Deuxième en 2000, 2001 et 2003, troisième en 2005, il a tout de même réussi à monter 7 fois sur le podium final, à une unité de Raymond Poulidor.
A la recherche du successeur
Le succès de Jan Ullrich ouvrit la voie à un fort engouement populaire en Allemagne dans les années 2000 mais fut paradoxalement un héritage lourd à porter. Comme les Français attendent un successeur à Bernard Hinault, les Allemands cherchent le nouvel Ullrich en vain. Nombreux sont les espoirs qui se sont vu affublés de ce sobriquet sans jamais réussir à combler les attentes. Le meilleur candidat fut Andreas Klöden, sosie d’Ullrich par son manque d’explosivité et son faible sens tactique. Deuxième en 2004 et 2006, il semblait voué à répéter les mêmes échecs sur le Tour de France, alors même qu’il avait certainement le niveau pour s’imposer en courant plus juste. D’autres échouèrent tout autant après lui, sans même être capable de s’accrocher avec les meilleurs. Les rêves de trouver un successeur s’éteignaient progressivement à mesure que l’Allemagne s’empêtrait dans les scandales de dopage au point que le cyclisme cessait pratiquement d’exister au plus haut niveau, avec le retrait des sponsors historiques. De même, le public commençait à tourner le dos au cyclisme et remiser au placard les envies de succès.
Le salut vient d’une autre génération élevée à l’Est. Certes, l’ère communiste n’est plus de mise mais les vertus formatrices de cette région ne se sont pas démentis pour autant. Cette nouvelle génération se tourne vers le sprint pour perpétuer l’héritage d’Erik Zabel plutôt que celui de Jan Ullrich. André Greipel est le premier à trouver la voie du succès en 2011, pour totaliser 11 victoires jusqu’à aujourd’hui. En 2013, c’est Marcel Kittel qui devient le nouveau roi du sprint, bien propulsé par John Degenkolb. Ce dernier voit toujours la victoire lui échapper tandis que son ancien coéquipier de Thüringer Energie compile 9 succès. Les sprinteurs allemands ont ainsi totalisé jusqu’à 7 victoires d’étape en 2014, le record national. Ils sont passés maitre dans l’art de dominer le sprint des Champs-Elysées. Olaf Ludwig s’y était imposé le premier en 1992, Marcel Kittel en 2013 et 2014, puis André Greipel en 2015 et 2016 en ont fait leur affaire. Il ne faut pas oublier un 3ème « Thüringer », le rouleur Tony Martin qui contribue à la liste des succès avec 5 victoires d’étape. Il sera surtout le favori n°1 samedi pour remporter le prologue de Düsseldorf et permettre ainsi à l’Allemagne de célébrer comme il se doit sa fête du cyclisme, avec un premier vainqueur à domicile et un maillot jaune au départ le lendemain.
Par CSC_3187
Crédit Photo : Flore Buquet