Il y a un an Gilles le Roc’h publiait un édito contre « le jeu qui consiste à publier, bribes par bribes, ce que sera le parcours du Tour […] avant que Christian Prudhomme n’en fasse la présentation ». Il pestait contre ceux qui se gâchaient (et gâchaient aux autres) la surprise de la découverte du tracé, se prenant pour des journalistes, pourtant loin des vrais scoops essentiels comme le nom des coureurs non localisables par le labo de Lausanne en 2015.
Alors, pourquoi s’échiner à rechercher à l’avance le tracé du Tour ? Contrairement à ce qui était avancé dans cet édito, la révélation du tracé ne correspond pas au cadeau de noël. Le cadeau de noël est la course de Juillet. Le parcours n’est que la base de ce qui sera le vrai spectacle. Certes, la surprise lors de la découverte du tracé est agréable… ou pas. On aurait eu du mal à s’émerveiller devant le parcours médiocre de 2015. L’anticipation permet au moins ceci : la déception n’est jamais trop grande. Un parcours raté sera déjà prévu et moins frustrant qu’en cas de découverte immédiate. A contrario, tout apport positif à un tracé qu’on pensait raté sera bien plus enthousiasmant qu’à la simple découverte du parcours où l’analyse globale n’a pas eu le temps de déceler les potentielles faiblesses et avantages des configurations proposées. L’émerveillement a encore sa place, même avec un parcours globalement révélé à l’avance. Ne serait-ce que parce que le contenu des étapes ne l’est pas, et que toute la latitude entre un bon et un mauvais parcours tient dans le contenu, moins dans le contenant.
#Tdf16 Dernière reconnaissance des Alpes finie sous la pluie , qpuis retour sur Paris pic.twitter.com/bB7ROu3AMf
— Gouvenou (@tgouvenou) September 16, 2015
En 2015 la surprise de la présence de la montée de Bisanne avait réjoui ceux qui justement s’étaient échinés à découvrir les tenants et aboutissants du parcours. Parce que ce col n’avait à aucun moment été prévu, et parce qu’il faisait parti de cette liste de cols chers aux traceurs de parcours amateurs mais absents des tracés du cyclisme professionnel. (l’escamotage de l’édition 2016 n’enlève en rien les qualités de ce col). Le fait est que sans connaissance des parcours, des difficultés possibles et de ce qui peut donner une base à une course intéressante, la présence de ce col n’a pas de raison de susciter un enthousiasme particulier. Et comment justifier de discuter des parcours si, quelque part, on ne se permet pas d’échafauder des hypothèses à l’avance, de rechercher les possibilités logistiques, de suivre les évolutions d’ASO année après année. Faudrait-il se contenter des annonces, puis d’une discussion sur quelques jours, avant de se donner rendez-vous à l’année prochaine ? L’annonce du tracé du Tour de France est au contraire le feuilleton qui maintien l’intérêt et nourrit les discussions. Le plaisir de la révélation est bien faible face aux débats d’une année entière. Le jeu décrié par Gilles Le Roc’h est un jeu de piste bien plus plaisant que l’attente rigide d’une déclaration officielle.
Ce jeu de piste est d’autant plus difficilement critiquable qu’il est encouragé par les organisateurs du Tour eux-même. Tout au long de l’année ASO s’amuse à donner ci et là de petits indices sur Twitter, souvent des indices visuels tirés d’archives. Le Tour de France est déjà passé ici, et y repassera cette année. Arrivez vous à reconnaître ce lieu ? Thierry Gouvenou lui-même poste annuellement une photo de reconnaissance, parfois sur le parcours, parfois non, dans laquelle tout élément est bon à prendre pour reconnaître le lieu présent sur l’image. L’aspect d’enquête plus classique avec la recherche des hôtels réservés à l’avance et des informations disséminées dans la presse quotidienne régionale s’adjoint ainsi d’une partie plus ouvertement ludique, proposée directement par ASO. Loin de gêner, la révélation progressive du parcours est au contraire un moyen efficace d’assurer une présence continue de la marque Tour de France dans les médias. Les avantages sont ici pour les deux parties, l’entreprise et son public.
? #TDF2017 ? @LeTour est déjà passé par là et y sera de retour en 2017 / has already been there and it will be back in 2017. pic.twitter.com/h010d14ZHK
— Le Tour de France (@LeTour) September 23, 2016
Surtout, il est malhonnête d’accuser ceux qui comme le site Velowire sont à l’affût d’indices sur le tracé général du Tour. Connaître les réservations d’hôtel n’a jamais donné de manière sûre les départs et arrivés d’étapes, encore moins leur contenu. Pourtant ces informations fuitent aussi, et parfois de manière trop détaillée, ce qui peut effectivement gâcher le plaisir de la découverte. Mais la plainte est à adresser aux collectivités locales ! Ce sont souvent les maires, qui, trop fiers d’accueillir le Tour dans leur commune, ne peuvent s’empêcher de se faire mousser auprès de la presse, et pour un peu qu’ASO ait donné plus d’informations sur le tracé de l’étape prévu, voire sur les étapes prévues dans toute la zone géographique, d’ajouter à la révélation initiale des détails encore plus croustillants. Le jeu de piste ne fait que reprendre ces informations et les compile pour donner une idée générale du tracé. Chose certes plus facile à l’époque d’internet et des réseaux sociaux, mais qui permet dans le même temps de discuter des choix de parcours sur une durée plus longue et plus constructive.
D’autant que certains désirent connaître ces informations. Connaître les passages du Tour avant octobre permet de s’organiser en amont pour prévoir ses lieux de vacances, sa possible participation à l’étape du Tour, d’organiser des manifestations en parallèle de l’épreuve (par exemple décaler une date d’une cyclosportive pour profiter de la popularité de l’événement)… L’information ne sert pas qu’à gâcher le plaisir de la découverte, elle répond aussi à un besoin plus réel, quand bien même ce n’était pas son objectif premier. Et sur le plan journalistique, on se permettra même de dire que les détails du parcours sont une information assez capitale pour peu qu’on envisage le Tour de France pour ce qu’il est : un produit à vendre et à faire fructifier. Les stratégies d’entreprise d’ASO sur son produit phare sont directement visibles dans les choix des villes et pays visités, dans l’adaptation au format télévisuel, dans les régions directement concernées… Pour prendre exemple sur les derniers Tour de France, les Pyrénées sont de plus en plus délaissées par rapport aux Alpes. Parce qu’on y trouve plus de moyens, plus de candidats à une arrivée d’étape, que la très rentable étape du Tour y est plus attractive, que les partenariats avec des stations ou des régions sont plus nombreux (et permettant de faire perdurer les déficitaires Critérium du Dauphiné et Tour de l’Avenir). Bref, des trucs plus essentiels que juste « des scoops à deux balles ».
par bullomaniak