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Monaco 2009, Rotterdam 2010, Liège 2012, Leeds 2014, Utrecht 2015, Düsseldorf 2017, et peut-être Copenhague et Bruxelles dans les années à venir… Le Tour de France ne porte plus si bien son nom en ce qui concerne son Grand Départ. Surpassées par les candidatures étrangères à grand coups de passion et de millions, les villes françaises sont-elles condamnées à faire office d’exception ?

Reverra-t-on le départ de la Grande Boucle en France ? La question mérite d’être posée, alors que le rythme des départs à l’étranger s’accélère considérablement ces dernières années. Depuis Amsterdam en 1954, le Tour s’est expatrié 21 fois, dont 5 fois ces huit dernières années. Le départ 2016 qui sera donné depuis le Mont-Saint-Michel fait désormais figure d’exception. Si l’on considère la période 2009-2019, la France est bien (mal) partie pour n’en accueillir que trois (Vendée 2011, Corse 2013 et donc Manche 2016)… Les villes françaises n’ont-elles plus les moyens de se payer le départ du troisième événement sportif mondial ? Elles voient défiler les métropoles européennes, seules à pouvoir s’acquitter du ticket d’entrée à verser à Amaury Sport Organisation (ASO), société détentrice de la Grande Boucle, qui dépasse souvent la dizaine de millions d’euros.

 

Stars et TV

andré greipel

Les bonnes performances sportives des allemands ont certainement favorisé un Grand Départ à Düsseldorf.

Officialisée à la mi-janvier, la candidature de Düsseldorf a remporté le départ 2017 contre un peu plus de 11 millions d’euros, selon une étude du cabinet Deloitte. « Nous attendons un retour sur investissement aux alentours des 80 millions d’euros, entre hôtellerie, restauration, transport, et autres activités commerciales boostées par le Tour », se réjouit Thomas Geisel, maire de la métropole rhénane depuis 2014. Le choix de Düsseldorf par ASO est tout sauf une surprise. Fâchée avec le Tour depuis les nombreuses affaires de dopage, la chaîne publique allemande ARD vient de racheter les droits de diffusion. Raison supplémentaire, les coureurs d’outre-Rhin sont performants (Greipel, Degenkolb). De son côté Copenhague, en lice pour 2019, 2020 ou 2021, annonce vouloir verser la modique somme de 12 millions d’euros. Le premier ministre danois Lars Løkke Rasmussen s’est récemment entretenu avec Christian Prudhomme, directeur du Tour chez ASO. Ce dernier aurait pu profiter du voyage pour faire une halte à Bruxelles qui vise également le Grand Départ 2019. Il y est invité par Alain Courtois, échevin aux sports de la capitale belge. « Nous nous étions déplacés à Paris avec Eddy Merckx, qui fêtera les 50 ans de sa première victoire sur le Tour en 1969, et nous avons invité les dirigeants d’ASO à venir discuter des modalités chez nous ».

 

Lobbying outre-Manche

Obtenir un départ du Tour passe forcément par un lobbying appuyé. La candidature du Yorkshire pour 2014 est un exemple du genre. ASO était réticent à l’idée de renvoyer le Tour si tôt en Grande Bretagne, après Londres 2007. Mais la ténacité de Gary Verity, directeur général de Welcome to Yorkshire (WTY), agence de tourisme en charge de la promotion de la région, a convaincu les décideurs, au détriment de Lille, unique candidature française. « Il y a un savoir-faire anglais en matière de lobbying que nous n’avons pas en France, estime Frédéric Retsin, journaliste spécialisé cyclisme à La Voix du Nord. La communauté urbaine lilloise ne pouvait débourser que 4 millions grand maximum, et sa candidature n’a jamais été le premier choix d’ASO. »  D’autant que les coureurs anglais (Cavendish, Wiggins) étaient particulièrement compétitifs. Avec des campagnes de communication en pagaille, WTY est parvenu à persuader ASO via de nombreux survols du comté en hélicoptère. Si le montant versé reste confidentiel, les retombées engrangées par la région ont été fièrement affichées : 102 millions de livres (134 millions d’euros) pour plus de 4 millions de spectateurs. Un succès populaire que recherche principalement ASO : « nous allons là où la passion existe », se justifie Christian Prudhomme. Jusqu’à créer pour le Yorkshire sa propre course par étapes dès 2015.

 

Problèmes de gros sous

Si les retombées semblent attrayantes, accueillir le départ du Tour peut paraître risquer vu les montants versés. Alors même que les tickets d’entrée des dernières candidatures françaises en Corse en 2013 et dans la Manche pour 2016 n’ont pas dépassé les 2,5 millions d’euros chacune, les moyens financiers déployés à l’étranger sont loin de faire l’unanimité au sein des municipalités. La candidature de Düsseldorf a été actée au conseil municipal d’extrême justesse, 40 voix contre 39. Toujours en Allemagne, Münster avait précédemment abandonné la course suite au refus de son conseil municipal pour « raisons financières ». Et l’exemple est loin d’être isolé. Barcelone était en lice pour le départ 2014. Le cyclisme espagnol surfe alors sur une génération dorée (Contador, Valverde) et souhaite accueillir sur ses terres un départ qu’il n’a connu qu’une seule fois, en 1992 à San Sebastian. Si Jordi Hereu, alors maire de la capitale catalane continue de voir là « un des meilleurs investissements possibles », ce n’est pas l’avis de son successeur en 2011 Xavier Trias, qui procède à des coupes budgétaires, n’est pas disposé à « débourser une forte somme d’argent », et annule la candidature barcelonaise.

 

Cocher les années

Un effort financier conséquent auquel s’ajoutent des coûts logistiques (infrastructure, transport, sécurité…) qui doublent l’investissement. Raison pour laquelle Londres a fait machine arrière alors que sa candidature était validée. Après le succès de sa première organisation en 2007 et plus de deux millions de spectateurs dans les rues, la capitale anglaise souhaitait renouveler l’expérience pour 2017. Avant que la municipalité ne se rétracte. En cause, selon le mayor Boris Johnson, « les 35 millions de livres (45 millions d’euros), qu’il faudrait plutôt dépenser pour des projets à long terme ». Les 120 millions d’euros de retombées commerciales et touristiques attendus n’ont pas fait pencher la balance en faveur du Tour. Une désagréable surprise pour Christian Prudhomme, qui a de ce fait fortement incité Düsseldorf à avancer d’un an sa candidature, initialement prévue pour 2018, pour remplacer Londres. « Les villes ne se présentent pas pour une année particulière, sauf cas spécifique » affirme un proche d’ASO. Or la liste d’attente peut être longue. Utrecht par exemple avait déposé son dossier en 2002. Si la Grande Boucle s’est bien élancée des Pays-Bas en 2010, c’était de Rotterdam, et non d’Utrecht. En cause : une promesse d’ASO faite à Bruxelles d’être ville arrivée de la première étape. Et rallier la capitale belge depuis Rotterdam était plus pertinent. Entre ferveur plus importante, lobbying plus appuyé de la part d’autre candidats ou soucis logistiques, Utrecht aura du patienter treize ans pour accueillir l’événement en 2015.

 

Et en France ?

Si la ferveur à l’étranger est incontestable, elle se retrouve lors des départs en France. Pour des tickets d’entrée bien moins onéreux. En 2013, pour le Tour du centenaire, le peloton est pour la première fois parti de Corse. L’Assemblée territoriale avait adopté à l’unanimité un budget de 2 M d’euros, hors coûts logistiques à la charge de la collectivité. Selon l’office du tourisme de Porto Vecchio, les retombées sont estimées à 20 M par an, sur 5 années. Même son de cloche pour la Manche, d’où s’élancera le Tour en 2016. « Nous misons sur 4 à 5 euros par euro investi, affirme Paul-Vincent Marchand, directeur de l’organisation. Le Tour n’est qu’un prétexte. C’est une véritable démarche d’attractivité territoriale. » Avec une nouveauté cette année au niveau du financement : si 56 % du budget est pris en charge par le Conseil départemental, certains fonds proviennent de sponsors privés, comme les 150 000 euros de Brittany Ferries.

 

Pas si forts, les sponsors

Contrairement à ce que l’on pourrait croire compte tenu des sommes engagées, les sponsors du Tour n’ont pas leur mot à dire quant au choix de la ville de départ. Pas même LCL, sponsor du maillot jaune pour 7 millions d’euros. Néanmoins, si tous respectent les choix d’ASO et profitent de la médiatisation, certaines destinations les arrangent moins que d’autres. C’est le cas de l’Allemagne pour Carrefour qui n’a pas d’enseigne outre-Rhin. « Il est plus intéressant pour nous d’aller là où nous avons des magasins », avoue à demi-mot Eric Marchyllie, responsable sponsoring de groupe. Même son de cloche pour Orange, partenaire officiel en télécommunication, qui avait déjà vendu sa filiale britannique quand les coureurs s’y sont rendus en 2014. ASO n’aurait-il pas intérêt à favoriser ses sponsors qui représentent 40 % du chiffre d’affaire réalisé par la Grande Boucle (180 millions d’euros en 2013) ? Selon un proche de la société, « mieux vaut se cantonner à l’aspect sportif, ou alors il faudra jongler avec les requêtes de tous. Qui privilégier alors ? Celui qui paye le plus ? » La flambée des sommes versées par les villes européennes pour accueillir le Grand Départ pourrait le laisser croire. Et nous n’avons peut-être encore rien vu, car lorsque argent et sport français sont liés, le Qatar n’est jamais loin. L’émirat souhaite ardemment accueillir un grand départ et a déjà réfléchi à un contre-la-montre dans un tunnel climatisé. Irréaliste ? Pour mémoire, ASO organise le Tour du Qatar, et Qatar Airways est le transporteur officiel du Tour de France…

 

Brice-Alexandre Roboam

Crédit photo : Ronan Caroff & Tejvan Pettinger via Flickr.fr
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Re: Grand Départ : à qui le Tour…de payer ?

Messagepar Tilo » 02 Juil 2016, 10:49

Très bel article...sinon la Belgique est parfaite pour les sponsors du TDF, on a des magasins Carrefour, Orange vient de racheter Mobistar, Krys est présent aussi manque juste des banques LCL :mrgreen:
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Re: Grand Départ : à qui le Tour…de payer ?

Messagepar thor_husvod » 02 Juil 2016, 10:57

Très bon article, passionnant à lire :up
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