Écrit le par dans la catégorie Carnet de route, En roue libre.

Dans le jargon du vélo on parle de monuments en évoquant Milan San Remo, Paris Roubaix, Liège Bastogne Liège, le Tour de Lombardie et le Tour des Flandres. Installé devant notre poste de télévision ou aux abords de ces routes mythiques empruntées par les professionnels, ces classiques me font rêver. En 2013, j’apprends par un proche qui revient de la Granfondo Milan San Remo l’existence de challenges ou cyclos la veille des professionnels. C’est décidé, moi aussi je veux accrocher ces monuments à mon palmarès personnel de cyclotouriste.

En 2014, je terminai Liège-Bastogne-Liege, en 2015 Paris Roubaix. En 2016, le Tour des Flandres était au programme et par le biais de ce carnet de route, je compte vous faire partager cette expérience que tout cyclo devrait vivre au moins une fois dans sa « carrière » peu importe son niveau car passer la ligne de ces épreuves entraîne un sentiment de fierté peu égalable dans notre sport.

Samedi 2 avril 2016, départ à 5h30 de Lille en direction de Bruges… Là bas, la barrière de la langue est importante. On parle Flamand et si vous êtes aimable, un peu Anglais. Après avoir trouvé une petite place dans une ruelle de Bruges à l’ambiance vraiment typique (des petits pavés, des petites maisons, Bruges est vraiment magnifique) je remonte le vélo et pars avec un ami pour retirer le dossard. Malheureusement, autant le fléchage en course s’avèrera parfait, autant le fléchage pour venir et l’orientation sans GPS dans Bruges s’avérera catastrophique sans compter l’aide des forces de l’ordre à même de me renseigner en Flamand uniquement… puis au bout de 3 reprises en Anglais. Après quelques péripéties, je passe enfin sous le portique de départ aux environs de 8h. La ville est splendide, le temps est de la partie et les pavés agréables (après avoir terminé Paris Roubaix de toute manière, n’importe quel pavé est agréable).

C’est donc parti pour 227 km, 227 ? Oui car avec 16000 participants annoncés, nous parcourons un circuit qui emprunte tous les secteurs mythiques de la course en suivant le parcours des pros mais sans pouvoir faire les boucles autour d’Oudenaarde que réalisent les pros sur routes fermées. Sur le petit sticker collé sur mon cadre, Koppenberg, Oude Kwaremont et Paterberg me font déjà saliver d’avance…

La forme en ce début de cyclo n’est pas là… Pas de jambes, pas d’énergie, la course contre la montre pour mon dossard m’ayant empêché de bien déjeuner j’avale une compote et une gaufre lancé à plus de 35km/h en direction d’Oudenaarde. Les 80 premiers km se limitant uniquement à du plat et de la piste cyclable, de la piste cyclable et de la piste cyclable ! Affreux ! Car rouler à 35/40 à l’heure sur une bande d’un mètre voire des fois 60cm en peloton avec des poteaux, des ornières et autres dangers de ce genre, c’est folklorique ! D’ailleurs une chute interviendra juste derrière moi après 60km… Néanmoins, chez les Flamands on ne rigole pas avec cela… C’est ultra strict et tout le monde respecte cette règle du code de la route. Cela change de notre bonne vieille France et c’est terriblement frustrant de se battre contre trous et bosses sur la bande cyclable quand on voit la qualité du bitume sur la route, on enrage ! Mais on ne peut pas retirer que niveau sécurité vis à vis de la circulation routière cela reste un gage de qualité.

Après 42km, la route dévie pour entrer dans un immense hangar. C’est en fait le premier ravitaillement ! Ultra copieux comme d’habitude sur ce genre de cyclo challenge : gaufres, biscuits, pain d’épices, fruits etc… Je prends mon temps pour essayer de manger mais je suis totalement éteint. Je repars un peu embrumé mais toujours à rythme constant (~31km/h de moyenne). Je ne prends pas le vent et tente juste de m’économiser. Plus les km défilent et plus cela devient compliqué dans la tête… Je ne pense déjà plus qu’au second ravitaillement alors qu’on est au km 60… Passé les 70 et approchant Oudenaarde, c’est désormais une seule envie qui me passe par la tête : poser le vélo et abandonner. Je suis dans un état identique à la fringale malgré le fait que je me sois alimenter depuis… Je continue malgré tout en mettant le cerveau sur off avec l’idée que je n’irais pas au bout. Terrible désillusion. Et puis arrive les premiers passages pavés et là : magie ! Toute mon énergie est de retour ! Je suis sur mon terrain (je suis du profil rouleur, Flahute et pas grimpeur) et j’exulte de bonheur tout simplement. Entre l’entrée du secteur et la sortie c’est le jour et la nuit et je vais finalement m’amuser ! La machine s’est mise en route, il lui en aura fallu du temps !

Km108, place à la première difficulté répertoriée sur notre sticker collé sur le cadre. Le Wolvenberg et ses 17,3 % max annoncés ! Une bien belle montée de 500m environ non pavée, qui offre effectivement un sacré pourcentage mais qui s’avère malgré tout assez roulante. Je l’engloutis en un peu moins de 2’30 ».

On est désormais en plein dans THE RONDE et déjà s’annoncent Ruiterstraat et Kerkgate, 2 secteurs pavés de 700 et 1100m. Je les dévore et me régale, emmenant du braquet par moment ou en moulinant quand le pourcentage augmente. Hormis quelques avions de chasse, je double surtout un maximum d’autres cyclos en passant dans des petits trous tel un flahute des grands jours avec a chaque fois la petite joie liée à un bon passage. Les pavés n’ont rien à voir avec Paris-Roubaix, ils sont beaux, propres et se survolent à grande vitesse. Rares sont les endroits où l’un d’entre eux me dépasse.

Km120, place au premier mont pavé : le Molenberg ! Une belle première mise en bouche avec une pente qui avoisine les 14% à plusieurs endroits. Une route très étroite qui serpente un peu. Bref, tout pour mettre en bouche au regard de ce qui nous attend au cours de cette journée. Les sensations sont excellentes, je n’en reviens pas mais je fais attention à ne pas m’enflammer et j’en garde sous la pédale pour le reste de la journée. La température extérieure remonte, ce qui ne fait pas de mal non plus !

Km128, nouveau ravitaillement. Une petite pause s’impose et je m’alimente pour ce qui sera quasi identique à chaque ravitaillement : 2 ¼ d’orange, 1 portion de banane, 1 demi pain d’épice et 1 demi-gaufre + quelques biscuits sans oublier de l’eau. Mais il reste encore plus de 100km à parcourir et mon compteur n’affiche pas un gros dénivelé pour l’instant alors je repars sur un passage que j’adore : 2500m de pavé magnifique : le Paddestraat. A fond, tout le long. De toute manière, un secteur pavé se passe en force sur le haut du pavé non ? Un régal enchainé 10km après par le Haaghoek et ses 1700m de pavés plat que je passerai en 4’48 ». 2km plus loin, on enchaîne avec une trilogie de montées non pavées avec le Leberg, Berendries et Valkenberg. Les sensations sont là et je monte ces difficultés sur mon 34*25 sans trop forcer mais en doublant toujours plus de cyclos !

Les kilomètres défilent et se profile l’Eikenberg. Ce dernier long de 1200m avec pavés s’avérera bien plus compliqué qu’imaginé après trois difficultés asphaltées mais 4’40 » plus loin je file dans la descente et le ravitaillement salvateur avant d’affronter le prochain nom qui se profile sur mon cadre et qui me fait froid dans le dos : le Koppenberg.

 

Au ravitaillement, je ressens une douleur au creux de la main gauche. J’enlève mon gant et surprise : une belle cloque avec déchirement de la peau s’est créée à force de frottement des gants. Je n’avais eu aucun problème (hormis les douleurs liés aux chocs) sur Paris Roubaix l’an dernier donc cela provient clairement d’un mauvais choix d’équipement… Un peu plus de deux centimètres de large et je sens que je vais devoir serrer les dents bientôt… En parallèle, la couleur est annoncée : un écran géant diffuse en direct l’entrée du Koppenberg. Je m’aperçois que peu de monde semble être dedans actuellement et après avoir vu quelques vidéos la veille pour m’imprégner de ce monstre, je décide de me lancer à son attaque afin d’éviter de me retrouver à pied dedans. Malheureusement, je me retrouve avec un petit peloton à son approche… Virage à gauche et on attaque la pente qui grimpe rapidement à 10%… Alors que sur chaque secteur j’affronte régulièrement le haut du pavé, je suis tétanisé dans ce berg et pars sur le bas côté pour reprendre un peu de vitesse. Cela ne durera pas longtemps puisque je me retrouve bouchonné à cause d’un mauvais choix de trajectoire. C’est parti pour l’ascension à pied dans la gadoue. Cela crie de partout pour laisser passer les courageux qui arrivent encore à dompter le monstre ! Les cyclos a pieds tiennent à peine debout dedans mais encouragent ceux qui sont encore sur leur monture les gratifiant d’une poussette pour arriver au sommet ! Je ne suis même pas certain qu’avec une bonne trajectoire j’aurais réussi à dompter ce monstre ! C’est MYTHIQUE ! Bravo à ceux qui y sont arrivé. Ce Koppenberg est certainement la pire difficulté que j’ai rencontré sur mon vélo à ce jour.

Au sommet, j’enfourche de nouveau ma monture et file à toute vitesse vers le dernier secteur plat du jour : Mariaborrestraat. 2000m de pavés que j’avale à plein régime en 7’55 » malgré une douleur de plus en plus forte à la main gauche. Je ne peux plus serrer a fond le guidon et dois soulager au maximum la main en lâchant ce dernier. Heureusement, les pavés sont linéaires et beaux. Suivent Steenbeekdries et le Taaienberg avec son pourcentage max à 16% avant le dernier ravitaillement où je compte bien trouver un espace bandage comme au précédent. Malheureusement il n’y en aura pas… Je prends donc 10 minutes pour bien me ravitailler et repars en serrant les dents pour un programme démentiel : Kruisberg, Karnemelkbeekstraat, Oude Kwaremont et Paterberg ! Rien que ça !

Le Kruisberg est la première difficulté. Je profite de la ferveur d’un mariage au sommet pour mettre en route la Go Pro et taper dans les mains (avec ma main valide…). Des petits encouragements qui font toujours plaisir ! Le secteur est très propre et les pavés impeccables. Quel plaisir !

7km plus loin, on attaque le Karnemelkbeekstraat et sa route boisée très sympathique. Petite anecdote : le lendemain, mon ami sur la cyclo et moi-même y repasseront à pied en nous disant « ça serait bien de la faire celle là… elle grimpe fort et est super jolie ». On ne devaient donc plus être très frais l’un comme l’autre !

Descente par la route des vainqueurs et arrive on attaque le mythique Oude Kwaremont ! Là je lâche tout ! Il reste environ 15 km et je décide de me faire exploser les cuisses jusqu’à la ligne d’arrivée ! Cet enchaînement incroyable avec le Paterberg mérite qu’on y laisse nos dernières calories. Au final, l’Oude Kwaremont n’est finalement pas si « compliqué » que cela pour un cyclo. 2000 m c’est long effectivement mais la pente n’est pas très forte comparée au Paterberg ou à l’infernal Koppenberg. Bien sûr chez les pros c’est assez pour faire la différence mais à mon humble niveau il s’avale avec plaisir. 11’13 » plus tard, le sommet est atteint et je file en direction du Paterberg, dernière difficulté qui annonce fièrement une pente à 20,3 % !

Les Watts sont lâchés, en descente je frôle les 70km/h sur des routes étroites mais tellement propres. Et puis arrive ce virage à droite tellement légendaire. Clac clac clac, 34*25 et on mouline car là la pente augmente, je zigzague entre les cyclos, double ceux qui sont à pieds, la roue arrière patine sur quelques traces de boues, la roue avant se soulève ! C’est vraiment un passage monstrueux mais après 220 km c’est un sentiment incroyable de rester sur sa machine et fracasser ses pédales pour arriver au sommet. Je serre les dents, la douleur a la main est forte mais peu importe, je vais au bout ! C’est tout ! Je me mets en danseuse et finis le Paterberg en 2’53 ». Prêt à foncer sur l’arrivée.

Désormais c’est full gas ! Tout à droite et je remonte les pelotons avant de me caler derrière une équipe au maillot « délirium » lancée en CLM à plus de 40-45km/h. Je finis les trois derniers kilomètres en menant un petit groupe après avoir remercié les membres de cette équipe qui s’est aussi fait péter les cuisses avec plaisir et franchis la ligne des pros en 8h44 environ pour les 227km programmés.

 

« Liège Bastogne Liège 2014
Paris Roubaix 2015
Tour des Flandres 2016″

Mon rêve continue… et je le prolongerai une semaine plus tard sur un nouveau Paris Roubaix.

akit

Remy Tr. / Akitsuki

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Re: Ronde Van Vlaanderen 2016 Cyclo Challenge : le monument

Messagepar nitrams » 07 Avr 2016, 11:00

Bravo, super résumé qui a le mérite de vendre du rêve même aux non cyclos
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Re: Ronde Van Vlaanderen 2016 Cyclo Challenge : le monument

Messagepar Leinhart » 11 Avr 2016, 17:01

Superbe :ok:
Dommage que ton compagnon de route ne soit pas plus présent dans le CR :mrgreen:
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Re: Ronde Van Vlaanderen 2016 Cyclo Challenge : le monument

Messagepar Nephilim66 » 07 Déc 2016, 09:55

Super expérience. Merci pour le partage.. :love:
T'as l'air de bien avoiner bien sur le plat :ok:
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