Tenerife est une des îles de l’archipel des Canaries, situé en plein Atlantique à 300 kilomètres de la côte Ouest Marocaine. Tenerife est une île pleine de contraste. Le nord de l’île est peu touristique, très humide. Le sud rassemble une quantité de stations balnéaires importantes, grâce à sa température excellente quasiment tout au long de l’année.
En cyclisme, Tenerife a également une réputation contrastée. C’est un petit coin de paradis pour les pratiquants, car les températures sont douces toute l’année et il est aisé de trouver des terrains variés et escarpés. Cependant, Tenerife a également une réputation sulfureuse dans le monde du cyclisme professionnel. « Dénichée » par le Docteur Ferrari, cette île a été un des camps de base de Lance Armstrong et d’autres leaders de l’époque, qui profitait de son isolement pour se préparer sans risquer le moindre contrôle. Tenerife est une destination qui m’a toujours intrigué, voire fasciné. C’est ici que beaucoup de vainqueurs du Tour de France ont bâti leur fondation. Le point culminant de l’île est le volcan du Teide, perché à 3718m d’altitude, c’est l’endroit le plus haut d’Espagne. Il est bien sûr impossible d’atteindre à vélo ce sommet mais il est possible de s’en approcher. Toutes les ascensions du Teide commencent pratiquement au niveau de la mer, pour se terminer à 2356m d’altitude. Ce qui donne un dénivelé positif de plus de 2300m sur près de 50km ! Pour comparaison, le Mont Ventoux par Bedoin présente un dénivelé positif de 1615m, c’est vous dire la difficulté de cette ascension et le challenge que cela représente pour un simple cycliste ordinaire. En plein mois de novembre, alors que le mercure dépasse difficilement les 10 degrés sur Paris, je décide donc de partir à Ténérife afin de défier le monstre, le Teide. En terme de logistique, c’est excellent. Le vol entre Paris et Tenerife dure environ 3h30. C’est relativement court, le décalage horaire n’est que d’une heure et on atterrit sur une île où les conditions climatiques sont excellentes, avec la possibilité de s’entrainer à plus de 2000m d’altitude. Les sportifs de haut niveau ont trouvé pour refuge l’hôtel Parador, situé à 2100m d’altitude. Il est situé au centre d’un « bassin » de 30km de diamètre dans lequel on peut trouver de longues route vallonnées placées 2000m et 2300m au-dessus du niveau de la mer. Cette altitude est idéale pour pouvoir bénéficier des bienfaits de l’altitude, car plus bas, les effets de l’altitude ne se font pas beaucoup sentir alors que plus haut, l’altitude peut causer des problèmes de récupération. De mon côté, je n’aurais pas la chance de séjourner à l’hôtel Parador, mais seulement dans une simple et modeste auberge de jeunesse située à 1km au bord de la mer et surtout à 1km du pied du Teide.
Après une journée d’échauffement, je décide de m’attaquer à l’ascension qui me fera partir un peu au-dessus de la mer, pour arriver 2260m plus haut. La température est très chaude pour un mois de novembre, plus de 30 degrés mais les nombreuses rafales de vent donnent un ressenti plus frais. Les 21 premiers kilomètres de l’ascension sont assez réguliers et oscillent autour des 6%, ils nous amènent à Vilaflor. Il n’existe aucune végétation durant ses longs kilomètres, totalement exposés au vent. Chaque pratiquant le sait, le vent est l’ennemi des cyclistes. Et lors de mon ascension, je devrais escalader en grande partie vent de face. Il faut avouer que ses 21km peuvent sembler très longs, la vue est redondante, le paysage est désertique et l’état de la route vous fait parfois sentir sur le Tour des Flandres.
J’arrive donc à Vilaflor, c’est la dernière ville du parcours, le dernier lien entre le monde civilisé et ce volcan impitoyable. Après cette ville, on peut dire que c’est le néant, le vide pendant près de 30km. Aucune habitation, aucun commerce, le paysage change complètement, on est totalement seul contre la nature. Les 12 kilomètres après Vilaflor sont les plus exigeants de l’ascension, ils tournent à 6,6% de moyenne. Sur le papier, ce n’est pas monstrueux mais après plus de 1h30 d’effort, la difficulté est accrue et je parviens tout juste à la grimper à plus de 10km/h. Cette portion est pratiquement entièrement couverte par la végétation et de longs arbres, cela n’est pas sans rappeler la portion de l’Izoard peu avant la Casse Déserte. Je termine la première partie et le plus dure de l’ascension en près de 2h57’. Près de 3h d’efforts sans relâchement pour grimper 32,7km et on peut enfin admirer une vue agréable. Au bord de l’agonie et de l’abandon, je suis miraculeusement « secouru » par un couple Suisse, qui m’offre son hospitalité et de quoi me ravitailler. Cela me donne des forces et je déguste un faux plat descendant bien méritée, pour entrer dans le Parc National du Teide.
Au bout de 5km, le paysage change complètement. On entre dans un nouveau monde, totalement surréaliste. Les paysages sont sublimes. Je n’ai jamais été aussi émerveillé sur un vélo, on ne peut qu’aimer souffrir dans ces conditions et les 10 derniers kilomètres seront un mélange de plaisir pour la vue et de souffrance pour les jambes. Les effets de l’altitude se faisant sentir alors que le revêtement est parfois catastrophique.

Los Roques Garcia, situé en face de l’Hôtel Parador, est un des sites les plus spectaculaires du Parc.
Qu’importe avec ce panorama exceptionnel, impossible de faire demi-tour, la température est excellente autour des 20 degrés, je fonce jusqu’au sommet, le sourire aux lèvres. C’est incroyable de partir du niveau de la mer et de se retrouver aussi haut « rapidement », à plus de 2300m. J’ai rarement été aussi heureux sur un vélo. Près de 3 mois après cette aventure, je reste marqué par la beauté de ses paysages, et je suis également très heureux d’avoir pu gravir cette ascension. Tenerife a été en tout point de vue une excellente expérience pour moi, en particulier pour le cyclisme. On est en été pratiquement toute l’année et il est compréhensible de voir que tant d’équipes viennent sur les hauteurs du Teide. Beaucoup d’équipes viennent à Majorque ou dans le sud de l’Espagne durant l’hiver pour se préparer. Cependant, ces régions n’offrent pas le potentiel de Tenerife, en termes d’entrainement en altitude ou en termes de diversité d’ascensions. Aucun autre endroit d’Europe n’offre les mêmes avantages que Tenerife durant la trêve hivernale.
Par David S.
Crédit Photo : David S. pour Le Gruppetto