Comme chaque année, la période des transferts a offert aux grosses équipes du World Tour l’occasion de procéder à un minutieux jeu de chaises musicales. Chez Sky, Mikel Landa a remplacé Richie Porte, en partance pour BMC. Entre Cannondale-Garmin et Etixx-Quick Step, quand Rigoberto Uran a signé pour rejoindre les premiers, Dan Martin a fait le chemin inverse.
Chez Katusha, la déception du départ de Daniel Moreno a été consolée par l’arrivée de Jürgen Van Den Broeck. Bien sûr, d’autres équipes s’en sortent moins bien, perdant des forces vives sans parvenir réellement à les remplacer. C’est le cas d’AG2R, qui voit partir Carlos Betancur sans avoir eu l’occasion d’en connaître réellement le niveau, ou encore de Direct Energie (ex-Europcar), qui n’a trouvé personne pour remplacer Pierre Rolland. Ces quelques leaders, et bien d’autres encore, ont pour point commun d’avoir changé d’équipe à l’intersaison, décidés ou contraints. Pour le reste, les raisons à l’origine de leurs départs et du choix de leurs destinations sont multiples. On peut les diviser en quatre catégories, que voici.
Ceux qui avaient besoin de changer d’air
Tout d’abord, il y a ceux dont on ne pensait même plus qu’ils pourraient changer d’équipe. Pourtant, cette année, trois leaders bien installés dans leur formation ont décidé de faire leurs valises : Pierre Rolland, qui a quitté Europcar pour Cannondale, Dan Martin, qui est parti de cette dernière équipe à destination de la Belgique et d’Etixx-Quick Step, et Jürgen Van Den Broeck, qui a dit adieu à Lotto-Soudal pour rejoindre la Russie et Katusha. Ces trois coureurs étaient pourtant, dans l’esprit des suiveurs, comme attachés à jamais à leurs équipes. Pierre Rolland est arrivé chez Bouygues Telecom, devenu ensuite Europcar, en 2009. Il a donc couru sept saisons aux côtés de Jean-René Berneaudeau. Dan Martin a couru huit ans chez Cannondale-Garmin, connaissant toutes sortes d’appellations. Jürgen Van Den Broeck, dans la même veine, était lié à Lotto depuis neuf ans, et on en avait presque oublié qu’il avait avant ça couru chez Discovery Channel.
Dès les premières courses de l’année, il va falloir se faire à l’idée que Pierre Rolland, Dan Martin et Jürgen Van Den Broeck auront définitivement changé de couleur de maillot. Les trois ont leurs raisons :
• Pierre Rolland a connu beaucoup de choses avec Europcar : équipier lors de l’épopée de Thomas Voeckler sur le Tour 2011, vainqueur à l’Alpe d’Huez, plusieurs fois leader sur cette même course par la suite, quatrième du Tour d’Italie il y a deux ans, le Français a su briller sur les Grands Tours, ce qu’il n’a pas su reproduire sur les courses de plus courte durée, à l’exception des modestes Tour de Castille-et-Leon et Circuit de la Sarthe. Chez Cannondale, il ne sera plus le seul leader en montagne. Rigoberto Uran, Andrew Talansky, ou encore le jeune Joe Dombrowski, se faire une place ne sera pas tache facile pour Rolland. Surtout, on peut se demander ce qu’il va chercher chez eux. Si on estime que le Giro est pour Uran et le Tour pour Talansky, que reste-t-il au Français ? La Vuelta ? Les tours d’une semaine, sur lesquels il n’a jamais réussi à briller ? Le choix du transfert est surprenant, mais peut-être faut-il y voir des raisons extra-sportives…
• Dan Martin, lui, sort d’une saison très difficile. Certes, il a fait quelques top 10, mais comparons ça à ses deux saisons précédentes : en 2013, il gagne Liège-Bastogne-Liège et se fait un (grand) nom. En 2014, il remporte un deuxième monument, cette fois-ci le Tour de Lombardie, se vengeant ainsi de sa chute dans le dernier virage de la Doyenne. En 2015, rien. Pas une victoire. 15e de l’Amstel, forcé à l’abandon lors de la Flèche Wallonne et de Liège-Bastogne-Liège, Martin a ensuite fini 52e du Tour de Lombardie. Sur ces classiques, qui correspondent normalement tant à son profil, il n’a pas pu s’exprimer. Même chose sur la Vuelta, qui a pris fin pour lui au bout d’une semaine. Changer d’équipe, pour Dan Martin, c’est peut-être la meilleure façon d’oublier cette année noire, de se remobiliser, et pourquoi pas d’aller chercher une troisième classique en mars, avril ou octobre prochains. Reste à savoir comment s’effectuera la relation entre l’Irlandais et Julian Alaphilippe, deuxième de la Flèche et de Liège-Bastogne-Liège, et qui aura sûrement également envie d’être leader en avril.
• Jürgen Van den Broeck, enfin, fait partie de ces coureurs capables du meilleur comme du pire. Si sa carrière s’arrêtait au moment où j’écris ces lignes, on retiendrait de lui un podium miraculeux sur le Tour de France 2010, podium obtenu après déclassement d’Alberto Contador et Denis Menchov. Mais podium quand même, le premier (et le seul à ce jour) pour un Belge depuis Lucien Van Impe (deuxième) en 1981. Bien sûr, ce n’est pas là le seul fait d’armes de Van den Broeck. Quatrième du Tour 2012, septième du Giro 2007, huitième de la Vuelta 2011, il a montré qu’il était capable de s’illustrer sur tous les Grands Tours. En quittant Lotto pour Katusha, par contre, il vient se trouver face à l’opposition d’un coureur à l’aura bien plus grande, et au palmarès plus garni : Joaquim Rodriguez, deux Tours de Lombardie, 14 étapes et cinq podiums de Grands Tours au compteur. Mais « Purito » fêtera ses 37 ans en mai, et, chez les Russes, on sait bien qu’il n’est pas éternel. Ensemble, Rodriguez et Van den Broeck seront au départ du Tour et de la Vuelta. C’est en juillet et en août qu’on verra, donc, qui sera le leader, et qui sera l’équipier (de luxe).
Ceux qui veulent plus de considération et un bel entourage (le beurre et l’argent du beurre)
Cette catégorie regroupe ces coureurs qui ont un vrai talent, un nom qui peut se faire connaître en-dehors des frontières formées par les seuls amateurs de cyclisme, et sont encore assez jeunes (pas tous, on le verra) pour briller. Mais, surtout, ces coureurs étaient dans une belle équipe, et c’est ce qui faisait leur malheur : ils étaient équipiers. Ils ont changé d’équipe entre 2015 et 2016, et rêvent maintenant d’une meilleure place. Problème pour eux : ils ne seront plus forcés d’accompagner leur leader historique, mais devront bien jouer les équipiers de temps en temps, ou verront peut-être leur place de leaders discutée. La raison en est simple : ces quatre coureurs ont quitté une top team pour en rejoindre une autre. Mikel Landa et Michal Kwiatkowski, respectivement chez Astana et Etixx-Quick Step, ont ainsi rejoint Sky, et seront entourés de presque trop de leaders. Rigoberto Uran a quitté Etixx-Quick Step, où il pouvait avoir le leadership quand il le désirait, pour Cannondale, et une concurrence légèrement accrue. Richie Porte, enfin, cantonné au leadership sur le Giro et aux seconds rôles sur le Tour chez Sky, aura normalement un rôle plus à son aise chez BMC, même si, là encore, la concurrence sera rude (moindre que chez Sky, bien sûr).
Voici pourquoi ces coureurs sont intéressants, et leurs transferts également : ils ont quitté un environnement connu, dans lequel ils pouvaient s’illustrer, mais ce de manière limitée, dans l’ombre d’un ou de plusieurs leaders, pour se plonger dans une nouvelle équipe, qui leur posera les mêmes problèmes au niveau de l’encombrement de coureurs de classe internationale.
• Mikel Landa aura donc attendu 26 ans pour vraiment exploser. Présenté depuis la Vuelta a Burgos 2011 comme un grand espoir (il avait alors 21 ans et avait battu Joaquim Rodriguez et Samuel Sanchez dans un final d’étape), l’Espagnol a enfin confirmé les espoirs placés en lui. De belle manière, il faut bien le dire. Brillant sur le Giro et la Vuelta, il a cumulé trois étapes sur ces deux épreuves, et on retiendra surtout sa troisième place en Italie. De troisième, il aurait pu passer deuxième, mais on a privilégié chez Astana Fabio Aru, chouchou du staff et plus jeune, qui a fini deuxième de l’épreuve. On aurait pu se dire que, pour rendre la pareille à son coéquipier espagnol, Aru aurait aidé Landa sur la Vuelta. Il n’en a rien été et, si le choix a été le bon pour Astana qui a vu son coureur italien remporter le troisième Grand Tour de l’année, ça a sans doute été de trop pour Landa, qui a préféré quitter la formation kazakhe que s’enfermer dans un carcan d’équipier. Ce qui est étrange, c’est que son choix d’équipe ne semble pas lui ouvrir plus grandes les portes du leadership : en choisissant Sky, il a dans un premier temps semblé se condamner à remplacer Richie Porte comme équipier privilégié de Chris Froome. Pourtant, son programme dit le contraire : avec le Giro et la Vuelta en prévision, il semblerait que Landa ait fait le bon choix, gagnant ainsi une meilleure place, dans une meilleure équipe, et ce en étant mieux entouré. Reste à voir si Sky tiendra promesse.
• Michal Kwiatkowski a également rejoint Sky. C’est sans doute le seul coureur de cette liste à être (bien) plus à l’aise dans les côtes que dans les cols. Vainqueur de l’Amstel en 2015 et, surtout, champion du Monde 2014, le Polonais a déjà un beau palmarès pour ses 25 ans. Mais, avec l’explosion de Julian Alaphilippe, il s’est peut-être senti menacé chez Etixx-Quick Step, et il a fait le choix de rejoindre la formation britannique Sky. Il faut dire qu’il sort d’une année compliquée : aucune victoire, ni performance remarquable, depuis sa victoire sur l’Amstel, justement. Six mois se sont écoulés entre ce succès et la fin de saison, et jamais Kwiatkowski n’a rappelé son niveau, à part peut-être lors du Mondial, sur lequel il a pris la huitième place, abandonnant sa couronne avec les honneurs. Mais voilà, s’il y a bien un terrain sur lequel on ne brille pas totalement chez Sky, c’est bien les classiques ardennaises. Le meilleur résultat d’un Sky lors du triptyque ardennais d’avril 2015 ? Deux septièmes places pour Sergio Henao. Bien loin des standards victorieux des Britanniques. Avec l’arrivée de Kwiatkowski, c’est donc du gagnant-gagnant. Le Polonais sera au moins co-leader, il sera bien entouré, et apportera une plus-value à Sky. Par contre, en choisissant Sky, il a probablement définitivement dit adieu aux généraux des Grands Tours.
• Rigoberto Uran, lui aussi, sort d’une année compliquée. Comme Kwiatkowski, c’est avec Etixx qu’il a subi 2015. Deuxième des Giro 2013 et 2014, le Colombien est passé à côté cette année, terminant à une quatorzième place bien loin de ses objectifs. Ses troisièmes places lors des deux dernières étapes de montagnes pointent un pic de forme placé trop tard, erreur qui peut être imputée au coureur comme au staff (surtout au staff). La conséquence ? Uran a choisi Cannondale pour 2016, pour se relancer. Là-bas, il remplace numériquement Dan Martin, qui fait le chemin inverse en direction d’Etixx-Quick Step. Mais, comme le cas Pierre Rolland évoqué plus haut, l’avenir d’Uran n’est pas certain. Chez Cannondale, il sera opposé à Rolland, mais aussi à Talansky, ainsi que de nombreux espoirs. Si le Colombien commence la saison en grand leader de Cannondale en montagne, il doit savoir qu’une obligation de résultats entoure son statut. Et qu’un nouveau Giro raté mettrait en péril son leadership, au moins jusqu’à la fin de saison.
• Richie Porte est sûrement, des quatre, celui qui s’en tire le mieux. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on ne peut pas avoir plus de concurrence en montagne que chez Sky. En quittant la formation britannique, l’Australien a affirmé son indépendance et son envie de leadership. Et c’est peut-être maintenant que le plus dur commence, puisqu’il va falloir que Porte démontre ses qualités sur trois semaines. Pour l’instant, et depuis le début de sa carrière, on reste sur notre faim. Certes, il a terminé septième de son premier Grand Tour, le Giro 2010, mais quel aurait été son résultat sans la grande échappée de l’Aquila, qui avait vu 56 coureurs prendre plus de 12 minutes au peloton ? Il aurait fini hors du top 10, sans doute. Le top 10, depuis, il ne l’a d’ailleurs pas atteint sur les Grands Tours. Equipier de Wiggins puis Froome sur le Tour, il a bien eu sa chance en 2014 mais une pneumonie le met K.O. et le général ne devint très vite qu’un doux espoir. Sur le Giro, ce n’est pas mieux. Leader l’an dernier (c’était d’ailleurs la première fois qu’il prenait le départ d’un Grand Tour avec le statut de favori depuis son arrivée chez Sky en 2012), il a subi une succession de contrecoups malchanceux (deux minutes de pénalité pour avoir été aidé par un autre coureur après une crevaison, pris dans une chute collective) qui l’ont vite vu rétrograder au général, et abandonner lors de la seizième étape. Avec Porte, c’est ça : il n’a jamais eu tous les éléments en mains pour aller chercher un gros résultat, à l’exception de son tout premier Grand Tour. En quittant Sky pour BMC, l’Australien sera probablement leader sur le Tour (son palmarès sur les courses d’une semaine est suffisamment impressionnant pour ça), mais il y sera encore en concurrence avec un autre grimpeur : Tejay van Garderen, qui faisait un très gros Tour de France 2015 avant une étape cauchemardesque le poussant à l’abandon. Et là, il faudra que Porte démontre toutes ses qualités, montre qu’il peut être leader, et il faudra également, pour une fois, que la chance lui sourisse pendant 21 étapes.
Bien sûr, ces sept coureurs, et les sept dont la situation sera abordée dans une autre partie, peuvent entrer dans plusieurs catégories. Le simple fait de cataloguer les coureurs selon des catégories ouvre à la contradiction, aux débats. Mais, catégories ou non, ces grimpeurs ont tous de grands espoirs de résultats pour 2016, et, équipe ou non, ce sera d’abord à leurs jambes de parler.
Par Kenan
Crédit Photo : Guillaume Zaracas via https://www.facebook.com/GZaracas-Sport-Photographies-1445995779057162/ / Dacoucou, Filip Bossuyt, Bert de Boer & Sébastiaan ter Burg via wikimédia commons