Rappel : il s’agit d’une sélection arbitraire concernant des progressions ou régressions assez impressionnantes sur l’année 2015. Ne sont concernés que des coureurs du Top 100 au CQ Ranking, qu’ils y aient accédé cette année, où qu’ils en soient sortis. Tous les résultats et calculs de points sont effectués à partir de ce classement si particulier.
Partie 1 : Les progressions
Mikel Landa
2014 : Astana Pro Team | 273ème au CQ | 239 points | 1 victoire
2015 : Astana Pro Team | 34ème au CQ | 967 points | 4 victoires
+239 places, +728 points, +307%, +3 victoires
Mikel Landa est sans aucun doute LE coureur qui sera passé cette saison de la catégorie « coureur de seconde zone » à celle des stars du peloton en cette année 2015. Rappelez-vous, en octobre 2013, à l’arrêt de la mythique équipe basque Euskaltel – Euskadi. On parlait beaucoup à l’époque de Juan-José Lobato, de Samuel Sanchez, d’Igor Anton ou des frères Izagirre. Mais le coureur le plus courtisé, celui qu’il fallait absolument signer, c’était plutôt Mikel Landa. Beaucoup avaient repéré chez le jeune grimpeur basque un gros potentiel, le plus important parmi tous les coureurs libérés par feu l’équipe basque. Il avait finalement surpris en signant chez Astana, qui pourtant avait coupé tous liens avec les coureurs hispaniques depuis le départ d’Alberto Contador. La franchise kazakh faisait là un pari sur l’avenir, mais pas un pari trop risqué en ne le signant que deux ans. Et la première saison dans ce nouvel univers a été dure pour Landa. A l’exception d’un Giro del Trentino plutôt passable (10ème du général, vainqueur en costaud de la 4ème étape), son année fut quelconque. A seulement -ou plutôt déjà- 25 ans, Landa semblait lentement glisser vers la case « grands espoirs n’ayant jamais confirmé » pour rejoindre entre autres, Romain Sicard, Janez Brajkovic, Oskar Svendsen, Fabio Duarte ou bien les frères Kreder…
Oui, mais ça c’était avant. Avant un Giro 2015 qui l’a fait complètement changer de dimension, à la manière d’un Chris Froome sur la Vuelta 2011. C’est dans ce genre de moments que l’on se dit que les Grands Tours représentent bel et bien une classe à part dans le calendrier des courses cyclistes. Car si, par exemple, Ilnur Zakarin a remporté le Tour de Romandie, il n’est toujours pas cité parmi les coureurs majeurs du peloton, à l’image d’un Simon Spilak. Ce Giro 2015 donc, où Mikel Landa arrivait en position d’équipier pour Fabio Aru. Mais on pensait que le dernier « étage » de la fusée Astana serait plutôt Tanel Kangert. Il n’en a rien été, car l’espagnol était plus fort. Bien plus fort. Plus fort au point d’enchainer deux victoires d’étapes d’affilée lors d’arrivées au sommet (étapes 15 et 16). Mais surtout plus fort au point de terminer ce Giro à la 3ème place finale, devant des leaders confirmés du peloton comme Ryder Hesjedal, Leopold Konig, Rigoberto Uran, tandis qu’un Richie Porte n’avait lui même pas fini la course. C’est véritablement ce Giro qui aura été le point fort de la saison de Landa, il y aura notamment empoché près de 560 points au CQ Ranking. La Vuelta n’aura été qu’une confirmation de son talent, et ce en dépit de son anecdotique classement final, puisqu’il y a remporté l’étape reine après s’être montré de loin le plus costaud de l’échappée matinale.
Certains diront que l’explosion Landa était prévisible avant le Giro, au vu notamment de sa victoire d’étape, chez lui sur le Tour du Pays Basque, ou encore d’un Tour du Trentin qu’il avait fini 2ème derrière Richie Porte. Mais combien sont nombreux les coureurs aux performances épisodiques, que l’on présente comme des favoris de courses plus prestigieuses et qui ne confirment pas ! Cela rend la performance de Mikel Landa cette année encore plus impressionnante, car confirmer, c’est sans aucun doute la chose la plus difficile en cyclisme. D’ailleurs Mikel Landa devra lui aussi confirmer son année 2015 l’an prochain. Pas la chose la plus facile quand on sait qu’il a signé chez Sky…
Fabio Felline
2014 : Trek Factory Racing | 342ème au CQ | 202 points | 0 victoire
2015 : Trek Factory Racing | 35ème au CQ | 965 points | 3 victoires
+307 places, +763 points, +378%, +3 victoires
Cela faisait longtemps que Fabio Felline était attendu au tournant. Depuis la saison 2010 en fait, où jeune néo-pro de 20 ans chez Footon – Servetto, il avait réalisé une très bonne année : vainqueur du Circuit de Lorraine, 10ème du GP E3 et surtout première participation au Tour. Depuis Felline s’était un peu perdu, même si ses résultats étaient toujours honorables. Mais il n’y avait tout de même pas grand chose à retirer de son année 2014, avec pour meilleur résultat une 4ème place d’étape au Tour d’Autriche. C’était sans aucun doute lié à une adaptation difficile pour sa première année chez Trek, car ce fut vraiment tout autre chose cette année.
Fabio Felline a cette fois-ci réussi à montrer de très belles choses, et ce sur tous les terrains. Véritable 4×4 des pelotons, il a fait parler sa classe pour finir avec 3 victoires cette année, et à un très haut niveau. Victoire sur le contre-la-montre du Critérium International tout d’abord, où on ne l’attendait pas, devant un coureur aussi puissant que Bob Jungels. Victoire sur la 2ème étape du Tour du Pays Basque par la suite, au sprint après un parcours très accidenté et devant, excusez du peu, Michal Kwiatkowski, Michael Matthews, Philippe Gilbert ou encore Tony Gallopin. Victoire, dans un tout autre registre, en anticipant le sprint sur le GP de Fourmies, une classique au parcours relativement plat, devant Tom Boonen et Nacer Bouhanni. « Dis moi devant qui tu as gagné, je te dirais si tu es un grand vainqueur » dit le dicton. Dans le cas de Felline, c’est clair ! Car réussir à transformer sa grande polyvalence en victoires, c’est quelque chose de difficile, un coureur comme Tony Gallopin, souvent placé mais très rarement vainqueur, pourra en témoigner. Et puis la saison de Felline ne s’est pas arrêtée à ces 3 victoires, loin s’en faut… 23 Top 10, dont une 5ème place au général de l’Eneco Tour, un podium au général du Criterium International, une deuxième place d’étape sur le Giro, et j’en oublie. Une feuille de route bien respectée par Felline cette année, et cela donne logiquement un classement flatteur au CQ Ranking. Le prochain défi pour l’italien ? Courir plus souvent en World Tour, où il a les moyens de bien faire. Car sur ses 23 Top 10, seuls 9 l’ont été en World Tour. C’est peu pour se faire connaître du grand public…
Kris Boeckmans
2014 : Lotto – Belisol | 489ème au CQ | 129 points | 0 victoire
2015 : Lotto – Soudal | 59ème au CQ | 674 points | 8 victoires
+430 places, +545 points, +422%, +8 victoires
Fin 2014, absolument rien ne peut distinguer Kris Boeckmans de n’importe quel équipier du World Tour. Il sort d’une saison tout à fait médiocre, dans la lignée de toute sa carrière. Ses 129 points en WT ont été cumulés en à peine 3 jours de course, entre une 2ème place de Halle-Ingooigem (derrière Démare), une 2ème place d’étape sur le Dauphiné (derrière Nikias Arndt) et un Top 10 sur son championnat national de Belgique. Rien de faramineux donc, rien qui puisse le distinguer d’un Marcel Sieberg ou d’un Mickael Delage finalement, équipiers précieux parfois pour leurs leaders, mais n’ayant absolument pas le niveau pour performer de manière régulière. D’autant qu’il a déjà 27 ans, et s’il rentre dans ce qu’on dit être les meilleures années d’un cycliste, rien ne peut laisser présager qu’elles seront remplies de bon résultats.
C’est ainsi, le cyclisme est imprévisible. Et Kris Boeckmans était sans doute, à l’aube de la saison 2015, le coureur dont il aurait été le plus difficile de prévoir la présence dans cet article parmi les 10 méritants. Le sprinteur belge s’est mué en une seule intersaison en un leader redoutable sur le circuit continental. Huit victoires, c’est spectaculaire. C’est surtout deux fois plus que le total des ses victoires sur l’ensemble de ses 6 saisons pro jusqu’alors ! Cela avait commencé dés son deuxième jour de course, avec une victoire sur la 1ère étape de l’Etoile de Bessèges. Idéal pour se mettre en confiance. Et le belge va enchainer, victoire sur le Samyn et sur Nokere-Koerse en mars. Mais c’est son mois de mai qui aura définitivement marqué sa transformation en leader de la Lotto-Soudal : il enchaine victoire sur le Tour de Picardie et sur la World Ports Classic, avec 3 étapes pour enjoliver le tout. Soit 5 victoires…en 5 jours de course du 15 au 24 mai ! Tout simplement impressionnant, et cela aide bien au moment de dresser le bilan de la saison. La fin de saison sera plus poussive, mais on ne peut s’empêcher de déplorer sa dramatique chute sur la 8ème étape de la Vuelta, qui l’a plongé dans le coma et a effrayé tout le peloton : il a heureusement repris le vélo récemment. Car quand on voit que des coureurs comme Stuyven ou Sbaragli ont réussi à remporter leur étape, on se dit que ce Boeckmans de 2015 aurait largement pu décrocher sa première victoire sur un Grand Tour. Partie remise pour l’an prochain ?
Marko Kump
2014 : Tinkoff – Saxo | 1251ème au CQ | 28 points | 0 victoire
2015 : Adria Mobil | 88ème au CQ | 534 points | 18 victoires (9 victoires pro (HC et 1) et 9 victoires .2)
+1163 places, +506 points, +1807%, +18 victoires
Marko Kump a sans aucun doute les chiffres les plus impressionnants des 10 coureurs sélectionnés. Pas bien difficile quand on partait de si bas me direz vous… Souvenez vous (si tant est que cela est possible de se souvenir de la saison 2014 de Marko Kump…), le slovène, si prometteur chez Adria Mobil en 2012, avait passé deux années galère chez Tinkoff-Saxo, et n’avait pas été prolongé par sa formation, de manière totalement logique. Il avait en effet été victime de la stratégie de la formation russe, qui ne lui avait jamais vraiment fait confiance, et n’avait rien montré. 28 points CQ au niveau World Tour, c’est famélique, surtout quand on sait que le simple fait de finir une classique WT en apporte déjà 5… Bref, arrêtons là sur ces deux années, il n’y a de toute façon plus rien à en dire.
Marko Kump a alors décidé de revenir aux sources. Et la source pour lui, c’était la meilleure équipe de son pays, la formation de niveau continental Adria Mobil. Celle où il avait réalisé sa meilleure saison, celle qui ne l’avait jamais perdu de vue et qui se frottait les mains au moment de récupérer celui qui allait redevenir son leader. Et la transformation est flagrante, les chiffres l’ont montré. 18 victoires, même si elles ne sont pas les plus prestigieuses, c’est énorme, seul Alexander Kristoff a plus levé les bras en 2015 que Marko Kump. Les Trofej Purec et Umag, le GP Adria Mobil ou le Velothon Stockholm ne vous disent rien, mais ils ont tous été remportés par Kump. Et le sprinteur slovène a également effectué quelques razzias sur certaines courses par étapes : le Tour of Malopolska (victoire + 2 étapes) et surtout le Tour of Qinghai Lake, une 2.HC tout de même, où il a remporté 5 étapes sur 13 et fini sur le podium de 4 autres. Dans l’anonymat le plus complet ou presque, Marko Kump a a engrangé, engrangé et le classement des victoires en 2015 comporte aujourd’hui cette jolie anomalie que ce coureur slovène à la 2ème place…
Mais bien sûr, ce retour en grâce n’est pas sans poser quelques questions. Comment peut on ainsi passer en 6 mois du néant le plus total à la Tinkoff à une saison qu’un José Joaquim Rojas aurait rêvé d’effectuer ? Plusieurs hypothèses peuvent être ici avancées. D’abord le fait d’être dans une formation en pleine bourre. Adria Mobil a réalisé une saison fantastique, portée par Kump bien sûr, mais aussi par l’ancien sauteur à ski Primoz Roglic, vainqueur du Tour de Slovénie et du Tour d’Azerbaidjan et qui aurait lui aussi pu être cité dans cet article. Au final, Adria Mobil est la 3ème formation continentale au CQ, devant des formations comme Roubaix, Auber, SkyDive Dubai ou RusVelo. Une bonne osmose collective, pour une équipe aux si faibles moyens (elle n’avait sous contrat que 9 (!!!) coureurs pour 2015), cela aide à avoir confiance en soi. Il est possible également que la personnalité de Kump fait qu’il se soit senti plus à l’aise, et donc plus à même de performer, en étant plus proche de chez lui, en Slovénie. Enfin, il faut aussi poser la question du barème du CQ, qui accorde autant de point à une victoire d’étape sur le Tour of Qinghai Lake qu’à une victoire d’étape sur le Tour du Trentin. Et la question se pose également sur le niveau des circuits continentaux hors pays traditionnels. Est il trop faible ? Une partie de la réponse se trouvera dans les résultats l’an prochain de Marko Kump, qui a signé pour deux ans chez Lampre, et de Primoz Roglic, qui s’est lui engagé pour la Lotto-Jumbo. Deux ans pour rien avant de retourner chez Adra Mobil à nouveau ? On ne le leur souhaite pas…
Diego Rosa

Diego Rosa fut l’un des acteurs majeurs de cette fin d’année, avec une victoire marquante sur Milan-Turin.
2014 : Androni Giocattoli – Venezuela | 501ème au CQ | 127 points | 0 victoire
2015 : Astana Pro Team | 98ème au CQ | 507 points | 1 victoire
+403 places, +380 points, +299%, +1 victoire
Il faut bien avouer que le recrutement de Diego Rosa par Astana fin 2014 a surpris. Le coureur italien est passé pro sur le tard dans la formation Androni, à presque 24 ans. Son absence quasi totale de résultats (en 2014, il n’a pas fait mieux qu’une 10ème place au général de la Settimana Coppi e Bartali) dans une formation pourtant habituée aux scandales de dopage ne faisait vraiment pas de lui un candidat sérieux à postuler pour une place dans une formation World Tour. Pourtant, Astana a offert un contrat d’un an à cet italien de presque 26 ans, qui n’apparaissait pourtant pas comme le plus prometteur des coureurs de la Botte. Clairement, en lisant l’effectif de la formation kazakh à l’aube de la saison 2015, celui-ci apparait alors comme un bouche-trou chargé de renforcer le contingent italien de l’équipe.
Et bien tout le monde s’est trompé ! Rosa s’est littéralement révélé cette année dans son rôle d’équipier de Aru. Cela avait commencé par une jolie 5ème place sur les Strade Bianche en février (54 points sur cette seule course, soit plus de la moitié de son total 2014…). Puis il a disputé un Giro et une Vuelta au service de son leader, et à chaque fois la formation Astana est apparue comme la formation la plus forte de la course, et Rosa y a largement contribué. Alors qu’avec 2 GT au compteur, il aurait pu finir l’année sur les rotules, il n’en a rien été et il a fini la saison en boulet de canon : victoire sur Milan-Turin et 5ème au Tour de Lombardie, et une prolongation de contrat de deux ans jusqu’à 2017. Ces derniers résultats lui donnent une vraie légitimité sportive pour l’an prochain. Mais avec Aru et Nibali en leaders, les places sont chères chez Astana. S’il continue ainsi sa progression, la place va vite lui sembler trop étroite. De quoi envisager un départ à la fin de son contrat pour un vrai rôle de leader ? Ou bien une place de leader chez Astana à la fin du contrat de Nibali ? Mais peut être que la saison de Rosa sera un plafond de verre sur l’ensemble de sa carrière. Après tout, il va bientôt avoir 27 ans…
Par Médéric
Crédit Photo : Jérémy Gunther Heinz & Filip Bossuyt via Wikimédia Commons / gunger30 via Flick.fr