Le forum du Gruppetto vous permet de vivre votre passion du cyclisme au plus près. En plus de l’actualité des courses professionnelles, c’est aussi un repaire de passionnés qui n’hésitent pas à enfourcher la petite reine. Alors que la saison 2015 se referme bientôt, nous vous proposons de partager nos plus beaux carnets de route de l’année, exceptionnellement sous le format d’un article. Nous démarrons aujourd’hui avec Leinhart et son périple sur l’étape mythique des Pyrénées : Pau-Luchon. Bonne lecture.
Le fan du Paris Saint-Germain que je suis depuis tout petit (personne n’est parfait) ne pourra probablement jamais fouler la pelouse du Parc des Princes, terrain réservé exclusivement aux idoles. Le fan de cyclisme que je suis a plus de liberté. La moindre portion de route est susceptible de devenir un jour légendaire et sera toujours accessible au commun des mortels. Une côte, un secteur pavé, un col, voire une étape ou classique entière… le cycliste peut, selon son niveau, marcher sur les pas de ses héros, sans aucune autre limite que celles imposées par son corps. En me lançant dans un Pau-Luchon, grand classique pyrénéen sur le Tour de France, je voulais justement atteindre mes limites. En réalité, j’étais plus proche des étoiles.
Depuis 1947, l’étape Pau-Luchon a connu 11 éditions, le trajet Luchon-Pau a été à l’honneur 7 fois. Si le tracé a souvent été escamoté dans l’histoire récente, il ne faut tout de même pas oublier que c’est sur ces routes que tout a commencé, en 1910, avec un dantesque Luchon-Bayonne de 320km empruntant le Peyresourde, l’Aspin, le Tourmalet et l’Aubisque. Octave Lapize, vainqueur de l’étape en 14h10, s’insurgeait alors contre cette folie : « Vous êtes des assassins », lancera-t-il aux organisateurs, alors qu’il mettait pied à terre pour terminer au courage la montée du Tourmalet. Aujourd’hui, la distance s’est faite plus raisonnable mais les quatre mythes, parmi les cols les plus empruntés par le Tour, sont toujours là. C’est donc motivé et effrayé que je me lançais à l’assaut de cette légende.
Le 17 août, la journée commence par un réveil à 5h et un petit déjeuner bien garni. Départ à 6h15, direction Montréjeau en voiture. Là-bas, je pars en train pour Pau à 7h45, où j’arrive 1h30 plus tard. A 9h15, je peux entamer mon périple. La première heure et demi de route jusqu’à Laruns parait bien longue car je veux attaquer les cols au plus vite. Ce temps parait dérisoire en comparaison avec le temps de selle total mais ce furent sans doute les kilomètres les plus durs à parcourir. Après une quarantaine de kilomètres de faux-plat montant, je m’attaque enfin à l’Aubisque, premier des quatre grands cols de ma journée.
Je ne suis monté en haut de l’Aubisque qu’une fois, par le versant opposé, plus long mais aussi plus simple. La montée par Laruns, la plus raide, est inédite pour moi. Les premiers kilomètres sont roulants et je gère tranquillement mon effort. Arrivé aux Eaux-Bonnes, la donne change complètement. La pente descendra rarement en dessous des 8% et il faut gérer son effort. Je suis bien, je monte au train, rattrapant les cyclos qui me devançaient, m’alimentant en gels et boisson, avant de pénétrer dans la brume qui domine la montagne aujourd’hui. Des 6 derniers kilomètres d’ascension, je ne verrai jamais plus loin que vingt mètres devant moi. A Gourette, la pente se relève brusquement à l’entrée et la sortie d’une station où j’ai réussi à me perdre… Les derniers kilomètres sont durs mais passent assez bien. Je me dis toutefois que j’aurai du mal à arriver à Luchon. Car en haut, il me reste encore trois cols et quasiment 200km à parcourir…
Dans la descente, on ne voit rien et les voitures n’avancent pas, ce qui devient vite très gênant. Je ne profiterai pas du magnifique cirque du Litor reliant l’Aubisque au Soulor, faute de visibilité. Je mange un gel avant d’attaquer la remontée vers le Soulor, sans me rendre compte qu’il n’y a même pas 100m de dénivelé à gravir. Vient alors le premier arrêt sandwich. Le but est de mettre toutes les chances de mon côté en prenant le temps de m’alimenter, car la moindre fringale peut m’être fatale sur ce parcours. Une fois le coupe-vent enfilé, je me lance dans la descente où il fait très froid. J’avale sans trop de difficulté les kilomètres jusqu’à Argelès-Gazost, où je m’arrête à nouveau pour manger un sandwich.
Après ça, je me lance dans une nouvelle vallée très dure à encaisser pour un homme seul qui sait qu’il lui reste 150km avant de pouvoir rentrer chez lui… Le privilège du cycliste pro est au moins de pouvoir se cacher dans ces parties sans saveur pour attendre le moment opportun pour faire étalage de ses qualités de grimpeurs. Mais la motivation est plus forte que tout le reste, et j’arriverai au pied du Tourmalet pour gravir mon deuxième géant de la journée, sans aucun doute le plus impressionnant : 18,6km, 7,4% de pente moyenne pour une montée qui a de quoi faire peur.
Le pied est très dur avec rapidement un kilomètre indiqué à 9% de moyenne. A la sortie de Barèges, la pente s’élève encore et commence à faire mal aux jambes. Il reste 12km à monter, je m’alimente et gère mon effort pour ne pas exploser. Puis vient ensuite une accalmie avec, parfois, un kilomètre à 5% qui permet de faire tourner les jambes et de récupérer. Là encore, je me retrouve très vite dans le brouillard, dans le néant. Il n’y a personne, peu de voitures, encore moins de cyclos, le froid a du démotiver les moins téméraires… On ne voit pas à vingt mètres, il n’y a pas de bruit en dehors des petits ruisseaux de montagne, des troupeaux de moutons traversent la route, il règne une ambiance assez mystique qui est loin d’être déplaisante. C’est aussi la première fois que je monte par ce versant (quatre montées à mon actif par Sainte-Marie de Campan), et j’ai vraiment pris beaucoup de plaisir dans cette montée difficile, longue, régulière, qui offre des gros pourcentages sans jamais trop en faire. Le dernier kilomètre à plus de 10% de moyenne permet un final en apothéose, le GPS affichant parfois 12 ou 13%, notamment dans les derniers hectomètres.
Arrivé en haut, la satisfaction est entière. Grimper le Tourmalet est toujours quelque chose d’unique car on se sent, plus que n’importe où ailleurs (dans les Pyrénées, en tout cas) au cœur d’une légende. Ce col n’est pas forcément le plus beau ni même le plus difficile des Pyrénées, mais c’est un mythe, un rite de passage pour tout cycliste qui cherche à s’accomplir. Je n’ai fait que la moitié du kilométrage, mais déjà 3500m de dénivelé positif, et je sens que plus rien ne pourra m’arrêter ! Pour l’anecdote, une petite fille demande à son père si je suis le même cycliste qu’ils ont vu dans la « montée d’avant », l’Aubisque, j’imagine. Ce dernier lui répond sèchement, et sans aucune hésitation un : « Bien sur que non ! ». Je ne peux pas m’empêcher de lui glisser qu’il n’est pas étonnant que les gens voient du dopage partout s’ils ne pensent pas qu’un cycliste un minimum entrainé est capable de franchir l’Aubisque et le Tourmalet… Ces gens-là ne croient plus en la performance humaine et justifient ce qui leur parait, à eux, impossible, par le dopage… Petite photo souvenir et redescente, encore freiné par des voitures, et surtout transi par le froid (le compteur affichait 7 degrés à 2115m et je n’avais qu’un petit coupe-vent sans manches…).
En bas, à Sainte-Marie de Campan, c’est l’heure du 3e arrêt sandwich (en plus d’une banane achetée dans l’épicerie locale), avant d’attaquer Aspin sans transition.
La difficulté du col parait bien dérisoire par rapport à ce que je viens d’enchainer, et pour cause : 12km à seulement 5% de moyenne… En réalité, ce sont 7 kilomètres très roulant, entre 2 et 6%, qui mènent au lac de Payolle, avant d’attaquer le vif du sujet avec 5 kilomètres jamais en dessous de 7%. Le corps répond encore bien et je me dis déjà que ce col ne devrait pas trop poser de problème. Arrivé à Payolle, un nouvel élément va apporter un nouveau côté épique à ma sortie : la pluie. De bruine légère, on passe rapidement à un déluge qui viendra inonder la route et ses occupants. Il n’y a d’ailleurs plus de cycliste. Je suis seul, très seul. J’arrive en haut et me lance dans une nouvelle descente, faite pour une grande partie derrière un camping-car pas pressé, sur une route détrempée et complètement glacé par l’eau, le vent et le froid…
A Arreau, la dernière difficulté se profile. J’ai déjà roulé 170km et pourtant, je sens, à ce moment, que ça va le faire. Je n’ai pas les jambes lourdes, je me suis bien alimenté, jamais mis dans le rouge, et plus motivé que jamais, je me lance à l’assaut du Peyresourde. Ni la pluie, ni la pente, ni les kilomètres avalés jusque-là ne réussiront à me décourager ! J’ai bien mérité mon moment de gloire qui, paradoxalement, arrive dans une solitude extrême, après 8h passées seul avec moi-même, sans personne avec qui le partager. Peu importe, l’accomplissement est total, être allé au bout de soi-même est une satisfaction bien suffisante pour qu’il n’y ait pas besoin d’en faire part, sur le moment, avec qui que ce soit.
Dans Peyresourde, je continue à m’alimenter et ne perds pas l’objectif de vue. Les panneaux kilométriques défilent et décuplent ma motivation. J’arriverai même à accélérer dans le dernier kilomètre. En haut la délivrance est totale, toute la lassitude du parcours disparait ! Il me reste encore une descente et 40km de vallée pour rejoindre la voiture, mais je sais déjà que je l’ai fait. J’ai été au bout de moi-même pour réaliser un rêve que je pensais encore inaccessible il y a deux ans, quand je terminais raide mort une sortie de 160km et 3600m de dénivelé (Portet d’Aspet, Core, Latrape, Agnès, Port). Et pourtant…
Dans la dernière descente, sous une pluie plus forte que jamais, je tremble, les mains sur les freins, je veux arriver en bas, et vite ! A Luchon, je remplis une dernière fois mes bidons et entame la dernière partie du parcours. Je roulerai encore pendant une heure et quart, mais je ne sens plus mes jambes. J’ai déjà des souvenirs plein la tête alors même que je ne suis pas arrivé à ma voiture. Empli de fierté, je soigne ma moyenne, comme pour flatter une dernière fois mon ego qui n’a plus besoin de ça aujourd’hui. Je l’ai fait, Pau-Luchon, comme les grands, comme Robic, Bahamontes, Merckx, Hinault ou plus récemment notre grimaçant national Thomas Voeckler.
Le temps (quasiment 10h en comptant les 40km jusqu’à Montréjeau) n’a rien de comparable mais je suis seul et bien entendu pas au même niveau. Un coup d’œil à Strava me permet de me comparer à Levi Leipheimer sur l’étape de 2012. Je pers 15 minutes dans l’Aubisque, une vingtaine dans le Tourmalet et moins de 15 minutes dans Aspin et Peyresourde. S’ajoute un gros débours dans la vallée et les descentes. Je m’en contente largement. Au final, 242 kilomètres, 4 mythes, 5250m de dénivelé et surtout, le sentiment d’avoir plus que jamais effleuré la légende.
Compte-rendu et photos par Leinhart
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