A l’occasion des récentes performances de Chris Froome ce 14 juillet, un lourd climat de suspicion était presque inévitable. L’ombre du dopage plane de nouveau sur le cyclisme, portée avec entrain par certains médias intéressés particulièrement dénonciateurs, jusqu’au sensationnel.
Le cyclisme professionnel fait sa grande messe chaque mois de juillet. Pendant trois semaines, les coureurs gagnent une exposition internationale, pour souvent retomber dans un oubli familier de la presse autre que sportive ou spécialisée vélo. On appelle cela l’effet Tour de France. Une bonne chose pour tous les amateurs de cyclisme, qui peuvent ainsi profiter de la visibilité accrue de leur sport favori, sur une courte période. Une bonne occasion également pour la presse généraliste, grands quotidiens nationaux généralistes ou autres hebdomadaires reconnus pour rattraper leur retard en la matière. Alors que des résultats aussi importants que Paris-Roubaix, les Championnats du Monde ou le Giro et la Vuelta n’ont droit qu’à de minuscules places dans ces relayeurs d’informations – quand ils ne sont pas complètement escamotés – le Tour de France a droit à la Une. Grand classique du genre, car en qualité de vaste événement populaire, la Grande Boucle fait vendre. De bonne guerre si l’on tient compte de la conjoncture, avec une presse papier qui se porte de plus en plus mal. Les rédactions restent des entreprises, et si l’idée de faire des bénéfices doit décrépir quelque peu ces dernières années, les grosses machines que sont Le Monde, Le Figaro ou Libération se doivent de faire vendre leur canard sous peine d’accélérer une mort à petit feu promise par nombreux spécialistes, souvent prophètes du numérique.
Chers amis cyclistes, voici mon statut Facebook du soir. Je vous remercie d’en prendre note #TDF1015 #Twittcyclos pic.twitter.com/kTAxrpLTGn
— Nicolas Fritsch (@fritsch_nicolas) 14 Juillet 2015
Mais comme souvent lorsque la bête se porte mal, les vautours commencent à tournoyer. Dans le cas présent, le problème est plus grave lorsque les oiseaux de mauvais augure sont internes aux rédactions. Evidemment la démonstration de Froome à la Pierre-Saint-Martin ne pouvait pas ne pas soulever les sempiternelles questions, réactions traditionnelles comme relents des années EPO et de « l’Arnaque-mstrong ». Si le train Sky a des goûts de l’ultra-dominance de l’US Postal à l’époque ? L’amateur comme le néophyte, qui n’est forcément pas étranger à une des plus grandes impostures sportives du siècle, sont en droit de se poser la question. Et tel est ainsi le problème : le grand public fera bien assez vite l’amalgame de son propre chef, sans besoin d’un relais pour le faire s’interroger. La beauté du cyclisme réside dans l’émerveillement devant la performance. Alors que la diffusion du Tour de France sur France Télévision bat de nouveau des records d’audience, prouvant le regain d’intérêt du grand public pour l’événement, pourquoi venir le gâcher avec d’éternelles suspicions ?
A la une de @libe jeudi : Tour de France, le péril jaune http://t.co/VQhPnG39Sj pic.twitter.com/c8EcgcU4qq
— Libération (@libe) 15 Juillet 2015
Ces messieurs de Libération, grands amateurs de (souvent très bons) jeux de mots et traits d’esprit se sont littéralement fait « péter le caisson » comme le veut l’expression du jargon cycliste consacrée. Préméditée telle une « attaque de marlou », leur Une d’aujourd’hui paraîtra comme un affront pour tous les amoureux de ce sport, bien plus que la facilité du Kenyan blanc dans les Pyrénées. Clairement partisane, elle incite à raviver les doutes que nombreux peuvent se poser devant ladite performance, et raffermir un climat de suspicion déjà bien trop présent. Libération, où le traitement du sport est rare, « ratonne » donc les roues de la presse spécialisée pour mieux la contrer et faire vendre avec sa Une accrocheuse.
Le numérique a créé non seulement le buzz, mais aussi et surtout le besoin de faire du buzz. Une politique du clic que le journal reprend sur papier sans état d’âme. D’autant que la qualité et l’objectivité des papiers intérieurs sont loin d’être à jeter, juste ternis par cette Une digne des « meilleurs » journaux à scandale. Peut-être tout l’inverse du Froome dénoncé en somme : propre à l’intérieur, mais loin de l’être à l’extérieur.
Brice-Alexandre Roboam