Le Gruppetto en est maintenant à se faire offrir des livres sur le cyclisme par les éditeurs. Mais, notre devoir d’objectivité nous impose les règles les plus strictes. Le Gruppetto se laissera-t-il corrompre ?
Totalement.
Cela ne nous empêchera pas d’émettre un avis objectif. Et puisqu’il faut bien commencer par quelque chose, on va commencer par le titre : Vingt journées qui ont écrit la légende du Tour de France. C’est un fait, le Tour, c’est vendeur. Richard Moore a beau avoir écrit un certain nombre d’ouvrages, notamment sur Robert Millar (prix de la meilleure biographie aux British Sports Awards), c’est bien son premier travail traduit en français. Et par-dessus on te rajoute un titre digne de Topito pour appâter le chaland : The untold stories of Tour de France’s defining stages, ça n’était pas assez épique. Cohérent avec le contenu mais pas assez épique.
Tous ceux qui s’attendent à du Anquetil-Poulidor, vous pouvez partir. Au sein du forum on avait parié sur l’oubli (une fois de plus) de la victoire de Charly Gaul à Aix-les-Bains. De fait, elle n’y est pas et pour une raison tout à fait logique. Le but du livre n’est pas, comme il est généralement d’usage, de raconter une fois encore les grandes histoires connues du Tour, celles qu’on a déjà vues, lues, entendues partout ailleurs. Richard Moore propose une orientation différente : revivre ces étapes par le témoignage des acteurs de la course. Avec des interviews promises comme inédites. D’où l’impossibilité logique d’évoquer les Tours trop anciens : au plus vieux 1971, mais majoritairement les années 1990. On notera une certaine esquive des années Armstrong ; une unique occurrence pour le Tour de France 2003, une édition de trop bonne facture pour être négligée.
Et donc, qu’est-ce que ça donne ? Premier bon point : tous les aspects du cyclisme sont présents. De l’échappée solitaire à la journée galère dans le gruppetto. Des sprints massifs aux contre-la-montre. Les pavés, la montagne, le vent… Sa sélection a beau être affirmée comme « personnelle », on ne peut que saluer la diversité des histoires choisies. Une des beautés intrinsèques du cyclisme est d’être aussi profondément hétérogène, y compris au sein d’une même épreuve : on passe sans mal d’un effort d’endurance à un sprint d’une violence comparable aux coureurs du 100 mètres. Richard Moore ne privilégie rien, et mettant tout sur un même pied d’égalité, il parvient à insuffler le même souffle épique à une victoire de Mark Cavendish à Aubenas qu’à la chevauchée solitaire de Luis Ocana vers Orcières-Merlette.
Ce n’est d’ailleurs pas dans les récits connus que le livre est le plus intéressant. C’est davantage lorsqu’il s’attarde sur le cas oublié de José Luis Viejo ou l’improbable sabotage entre Marc Sergeant et Frans Maassen que l’ouvrage prend de la valeur. Revoir une fois encore l’histoire des huit secondes, du point de vue de Lemond, n’a pas un grand intérêt. Ça n’empêche pas certains cas connus d’être étoffés et racontés de manière plus qu’intéressante, comme lorsque Lance Armstrong explique s’être épuisé sur le Dauphiné 2003 pour empêcher la victoire d’Iban Mayo. Richard Moore n’oublie pas d’évoquer la problématique du dopage et des arrangements entre équipes, mais cela ne fait que renforcer le livre d’une impression de vrai, de l’impression que celui-ci touche au cœur du cyclisme dans toute sa diversité, sa complexité, et finalement son humanité.
Très agréable à lire, remarquablement traduit par Clément Guillou, Étapes n’est pas un indispensable dans la bibliothèque d’un amateur de cyclisme, mais certainement une lecture très recommandable.
par Bullomaniak