De quelle manière doit se développer le cyclisme féminin ? La réclamation d’un Tour de France pour les femmes passe généralement par la demande d’une course en parallèle, passant avant la course masculine, mais ce modèle ne tend-t-il pas à inscrire le cyclisme féminin comme quelque chose d’inférieur, et finalement accessoire ? De même, si l’on peut légitimement réclamer la version féminine des plus grandes courses, est-il pertinent de construire le calendrier en miroir du cyclisme « traditionnel » plutôt que de développer ses propres particularités ?
Reproduire le calendrier masculin ?
Pour les non-initiés, le trofeo Alfredo Binda ou le Tour de l’Ardèche méridionale sont forcément des noms inconnus. Quelles que soit les qualités de ces courses, face à des courses ancrées dans le monde du cyclisme depuis des décennies et porteuses d’une légende, d’une mythologie ancrée dans l’inconscient collectif, elles sont forcément moins attractives. Avoir la version féminine des cinq monuments serait une avancée forte pour le prestige du cyclisme féminin, tout comme une version féminine du Tour de France (comme celle du Giro), serait tout de suite plus éloquent aux oreilles du grand public. En profitant de la renommée de leurs homologues masculins, ces courses peuvent permettre de faire émerger épisodiquement le cyclisme féminin de l’anonymat où il est souvent confiné, et par là, peut-être, d’intéresser davantage de gens à celui-ci.
Mais au-delà de ces quelques rendez-vous épisodiques, le cyclisme féminin serait de toute façon incapable de s’aligner sur le cyclisme masculin, par manque de moyens (y compris côté organisateurs), de structures et d’un collectif actuellement insuffisant. Même, ce serait priver le cyclisme féminin de ses propres mythes, de l’empêcher de créer des courses qui ne renverraient qu’à lui seul et qui lui serait davantage adapté que la reprise constante des finals des courses masculines. Une course comme le trofeo Alfredo Binda serait condamnée à un sprint chez les hommes, et c’est pourtant une des courses référence au sein du cyclisme féminin. Le cyclisme féminin est encore jeune, et sa professionnalisation récente. Les courses références restent encore à créer, des parcours à expérimenter, et certainement une internationalisation nécessaire.
Dans ce cadre, que faire d’un Tour de France féminin qui collerait strictement au parcours proposé par la course masculine ? Les parcours seraient mal adaptés (surtout avec la tendance actuelle de la concentration des difficultés dans le final) et il y aurait certainement beaucoup de frustration à louper la course sur les étapes ennuyeuses côté masculin et beaucoup plus nerveuses côté féminin. Tout comme le Giro, une solution plus juste serait de décaler l’épreuve (en juin ou en août) afin que la course ne soit pas totalement assimilée et digérée dans la surmédiatisation de la grande boucle, devenant une simple animation comme la caravane avant le passage des coureurs masculins. Surtout, ce serait empêcher une retransmission propre qui pourtant est nécessaire à son développement.
Le nécessaire développement médiatique
On pourrait arguer qu’un résumé vidéo de quelques minutes lors de l’émission d’après-Tour ferait profiter des grosses audiences de l’épreuve. Mais le modèle existait déjà lors de l’ex Tour de France féminin, et à par faire connaître Jeannie Longo il n’a pas eu beaucoup de suites. Et son successeur, la Grande boucle féminine internationale, ne sut pas capter l’attention du grand public. En ce sens, La course by Le Tour est plus intéressante puisqu’elle permet de constater de visu l’intérêt du cyclisme féminin, sur la durée, n’étant pas juste un simple récapitulatif des résultats. Dans la même veine il serait temps que la Flèche Wallonne masculine cesse d’être diffusée, au profit de la course féminine, une des plus belle du calendrier féminine, la simple reprise pour les derniers kilomètres étant largement suffisant au vu de la certitude d’une course de côte chez les hommes.
De fait, les retransmissions des courses féminines se multiplient, jusqu’à dernièrement la première course par étapes en live (l’Energiewacht Tour). Internet a sans doute beaucoup aidé dans le processus, à la fois comme support de diffusions beaucoup plus pratique que les télévisions peu promptes à sortir de leurs programmations-types, mais aussi pour permettre le suivi des résultats, des coureuses, et la création de communautés de passionnés prêtes à défendre ce cyclisme et à la faire découvrir à un plus grand nombre. D’autres phénomènes jouent certainement : l’amélioration de l’égalité hommes/femmes, les initiatives de l’UCI, des stars comme Marianne Vos ou Pauline Ferrand-Prévot (beaucoup moins austères qu’une Jeannie Longo)… Mais, pour l’instant, le cyclisme féminin demeure trop peu mis en avant.
Surtout, une médiatisation accrue permettrait une meilleure structuration. Le cyclisme féminin reste un milieu très précaire, avec la très grande majorité des coureuses non rémunérées, ayant un travail en parallèle de leur activité cycliste, pour quelques stars qui grâce à des contrats publicitaires peuvent se consacrer tout entier à leur sport. Le budget des courses comme des équipes reste minimal, et en ce sens précéder les grandes épreuves masculines permettrait au moins de profiter des infrastructures présentes. Le cyclisme féminin n’est plus à un stade pionnier, mais reste assez balbutiant. Il lui reste à se construire un calendrier plus stable, plus emblématique, à se professionnaliser davantage, mais ce qui encore implique une médiatisation accrue. Par quels moyens y accéder, voilà le débat.
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Article rédigé par bullomaniak ; crédit photo : Wikicommons (BaldBoris, Diliff), Akitsuki