Nom : Tinkov. Prénom : Oleg. Profession : milliardaire. Signe particulier : fantasque. L’homme d’affaire russe, propriétaire de l’équipe Tinkoff-Saxo, vient de secouer le monde du cyclisme d’une nouvelle frasque : il a décidé de mettre à pied son manager danois Bjarne Riis, à titre provisoire, laissant une des meilleures équipes du circuit sans directeur de course.
Oleg Tinkov a encore frappé : l’éviction de Bjarne Riis, manager de son équipe, presque son « bébé », laisse l’armada fantastique composée des Contador, Sagan ou autre Majka sans direction sportive. Une décision qui peut surprendre, même si les méthodes fantasques du milliardaire russe ne sont plus à démontrer.
C’est donc au tour du manager danois de faire les frais de ce nouveau contrepied pris par son patron. Il faut dire que l’ambiance n’était plus au beau fixe ces dernières semaines, le boss regrettant amèrement le manque de résultats de ses coureurs. Et comme tout bon propriétaire sportif russe, lorsque les résultats ne suivent pas les millions investis, l’entraîneur est en première ligne quant aux choix des têtes à faire tomber. Sauf qu’ici il ne s’agit pas de football. Oleg Tinkov n’est pas aussi riche que Roman Abramovitch, propriétaire du club londonien de Chelsea, ou que Dmitry Rybolovlev, son homologue du Rocher monégasque. Toujours est-il que ses méthodes tendent à y ressembler. Aussi bien sur le fond que dans la forme. Sa maîtrise excessive de l’outil Twitter n’est qu’un exemple parmi d’autres, et ce n’est pas Jean-Michel Aulas, grand manitou de l’Olympique Lyonnais et fervent adepte du réseau social à l’oiseau, qui le contredira.
Malgré ses origines sibériennes, le russe est un sanguin. Et s’il retourne très souvent – et rapidement – sa veste, il ne dévie pourtant pas de ses objectifs. Il est vrai qu’une fortune estimée à 1,5 milliards de dollars (selon Forbes en 2015) aide bien lorsqu’il s’agit d’entreprendre des projets, alliés à ses hobbies. Mais après une première expérience douloureuse débutée en Continentale en 2005 dans le monde du cyclisme, qui lui a surement coûté plus qu’elle ne lui a rapporté, rien n’obligeait le natif de Polyssaïevo de persévérer dans le milieu. Preuve que le cyclisme lui est… « cher ».
Girouette à tous vents
En termes de revirement de situation, le russe est loin d’en être à son coup d’essai. Il fait son entrée dans le monde du cyclisme par une petite porte, via une équipe continentale qu’il a lui-même créée, Tinkoff Restaurants. Rapidement devenue Tinkoff Credit Systems, du nom de sa banque en ligne qui a fait une partie de sa fortune, la structure gagne en importance. Certains leaders, certes sur le déclin, vont même adhérer au projet, à l’image d’un Tyler Hamilton revenant de deux années de suspension. Mais l’expérience prend rapidement fin pour l’ami Oleg, qui finit par définitivement quitter le bateau, renommé Katusha.
Il n’a cependant pas dit son dernier mot. Si certains s’en seraient trouvés découragés, le phénomène russe, lui, ne baisse pas les bras. Il revient en force en 2012, en tant que sponsor cette fois ci. Il apporte ses fonds et son naming à une formation Saxo Bank loin d’être moribonde en termes de résultats, mais en manque cruels de soutiens financiers. Et après un an de partenariat, soit d’un Tour de France à l’autre chronologiquement, nouveau rebondissement : au sortir d’une Grande Boucle en demi-teinte pour l’équipe danoise, à laquelle Alberto Contador termine « seulement » quatrième devant son coéquipier Kreuziger, Tinkov et Riis ne trouvent pas d’accord en vue de la prolongation de partenariat. Le Russe d’abandonner une nouvelle fois le navire à grand coup de déclaration choisie, sur Facebook à l’époque. «Je veux avoir un vrai contrôle sur l’équipe, ne pas être qu’un simple sponsor», déclare-t-il alors.
From 2014 Tinkoff.Credit Systems bank will stop sponsoring Riis Cycling.We have decided it for two reasons:-Poor…
Posté par Oleg Tinkov sur jeudi 25 juillet 2013
Se méfier de l’eau qui dort – ou de la vodka en l’occurrence ! L’histoire ne s’arrête évidemment pas là. Après avoir de nombreuses fois cassé du sucre sur le dos du « trop payé » Pistolero, l’aventure amoureuse à la Gainsbourg « Je t’aime, moi non plus » prend une toute autre tournure : cinq mois après l’annonce de son départ, le Russe revient avec fracas. Tel le meurtrier qui retourne toujours sur le lieu du crime, revoilà Oleg, plus puissant que jamais, seul propriétaire d’une équipe sous licence World Tour.
Ayant attendu la dernière limite des contrats de sponsoring en décembre 2013, il propose le rachat pur et simple de la structure à Bjarne Riis, contraint d’accepter. Une manœuvre en douceur pour Tinkov, quoique parfaitement exécutée, en bon homme d’affaire. L’équipe devient alors Tinkoff-Saxo, et dispose de moyens impressionnants. Oubliés les noms d’oiseaux, bonjour les mots doux. Qui aime bien châtie bien, comme le veut l’expression consacrée. Une maxime que doit vénérer le milliardaire au franc parler.
Seul maître à bord
Oleg est donc unique propriétaire d’une des écuries les plus impressionnantes du plateau. Seul maître à bord, il conserve tout de même son nouveau meilleur ami Bjarne Riis, et ce malgré l’accumulation de casseroles remplies de seringues de ce dernier. De patron, le danois passe à employé. Un statut différent, mais un rôle toujours prépondérant lors des courses, à la différence près qu’il doit désormais rendre des comptes à son nouveau boss. Au moins, les coureurs y voient le bon côté des choses. Contador lui-même se rassure : « Bjarne va pouvoir se focaliser sur l’aspect sportif ». Et une saison pour le moins très réussie pour l’équipe, malgré le (gros) accros du Tour et l’abandon du leader espagnol. Le point d’orgue sera la Vuelta, et la victoire du même madrilène, qui comble de joie le richissime homme d’affaires. S’en suit une merveilleuse « période bisounours », où tout le monde il est beau et tout le monde il est gentil. Pour couronner le tout, la terreur sprinteur-puncheur-flahute slovaque Peter Sagan vient grossir les rangs de l’ogre Tinkoff-Saxo. Et Contador recule ses envies de proche retraite en prolongeant son contrat. De quoi ouvrir de prometteurs horizons pour 2015.
Oui mais voilà. A peine deux mois après le début de saison, Bjarne Riis est débarqué. Pas viré, juste mis à pied… pour le moment. Malgré de bons débuts, Contador s’avère ne pas être le meilleur à l’heure actuelle, comme le prouve son état de forme sur le Tirreno-Adriatico. Majka n’a pas « remporté Paris-Nice » comme le souhaitait – ironiquement – le patron russe, et Sagan donne l’impression d’avoir été contaminé par le « syndrome Van Avermaet » (entendre par là enchaîner les podiums sans victoire). Son étape gagnée à Porto Sant’Elpidio n’y changera rien, et la déroute de Milan San Remo sera le coup de grâce. Alors qu’aucun grand tour ne s’est encore déroulé, que presqu’aucune classique n’a pour le moment été courue, les têtes tombent. Ou plutôt LA tête. Celle qui, depuis longtemps, empêchait le petit monde d’Oleg de tourner en rond. Il l’affirme d’ailleurs lui-même: » [Riis] est trop orgueilleux, il a un trop gros égo ». Ou comment l’hôpital se moque de la charité!
He is just too proud, has big ego and wants that World think that it was his decision, but you can’t foolish the reality) . I left him.
— Oleg Tinkov (@olegtinkov) 2 Octobre 2013
Abramovitch a bien su débarquer son entraîneur d’alors, Roberto Di Matteo, au sortir d’une tant attendue victoire en Ligue des Champions de football ; pourquoi Tinkov ne pourrait pas se séparer de son « entraîneur » aux prémices de la saison ? Et quoiqu’en dise le communiqué tombé peu après l’annonce de l’éviction de Riis sur le site officiel de l’équipe, affirmant que le danois n’avait pas été suspendu « en raison d’un manque de résultats ou de problèmes financiers », il est fort à parier que le milliardaire a profité de la situation pour assurer un peu plus sa domination. Qui dit argent doit dire résultats probants. Sauf que, même dans le football, les limogeages de début de saison sont très rares. Mais des considérations, Oleg en fait peu. Quant à l’éthique il s’assoit dessus.
L’éthique ? Connais pas…
« Je me fiche de ce que vous faites, tant que vous ne vous faites pas prendre ». Tels sont les termes que le fantasque Russe aurait prononcés à ses coureurs lors de la première réunion de son équipe en 2007. Réunion à laquelle participait Tyler Hamilton, qui a balancé depuis sur son ancien patron. « Je n’aime pas Oleg Tinkov. Je ne lui fais pas confiance, et je ne pense pas que je devrais le faire », crache-t-il, cinglant, avant de finalement conclure « son retour est un pas en arrière pour le cyclisme ». Des propos amers de la part de l’américain, ancien protégé de Riis chez CSC.
« Je me fiche de ce que vous faites, tant que vous ne vous faites pas prendre ».
Si les paroles semblent dures, choquantes, elles ne tranchent pourtant pas avec le style du personnage. En effet, outre les changements d’avis intempestifs, Oleg est un spécialiste de la provoc’, notamment sur Twitter. Il annonce d’ailleurs ouvertement la couleur : « Internet, c’est pour le porno et pour s’amuser. Ne prenez pas au sérieux ce que je dis ». Merci pour la précision, le public aurait effectivement pu se méprendre. Car au-delà des taquineries continuelles sur son coureur fétiche Contador, l’ami Oleg s’attaque à d’autres sujets, plus sensibles, variant de la politique à l’économie. Aux critiques provenant de fans danois ou espagnols mécontents, il répond en placardant le taux de suicide au pays d’Hamlet et celui du chômage sur les terres de Don Quichotte. A l’idée de sponsoriser une équipe féminine, il n’y voit comme intérêt que la possibilité d’engager des « salopes aux longues jambes ». Enfin dernier exemple si besoin est, en commentaire de la législation sur le mariage homosexuel, il demande si désormais « les Français peuvent épouser une vache et les Danois un mouton ».
The internet is for porn and fun. Don’t get that serious with what I’m saying here. It entertains. All trouble is coming from serious faces — Oleg Tinkov (@olegtinkov) 29 Novembre 2013
Raciste, misogyne et homophobe. Un tableau parfait, auquel il ne faut tout de même pas oublier une bonne grosse dose de mégalomanie (qui le poussera peut-être à entraîner lui-même son équipe un jour qui sait). Mais c’est malheureusement ce qui fait son personnage. Controversé à l’évidence, et dont les pratiques dans le monde du cyclisme sont sujettes à réflexion. Ses méthodes sont brutales, peu communes, mais l’armada qu’il a réussi à construire fait tout de même peur sur un plan strictement sportif. Comme Chelsea en somme : on peut faire beaucoup de choses avec de gros moyens, mais il n’est pas dit que la recette fonctionne du premier coup. C’est peut-être ce que devra comprendre M. Tinkov. En attendant, l’argent reste et restera pour lui le nerf de la guerre…
Brice-Alexandre ROBOAM