L’Erythrée, vous connaissez ? Peut être pas. Alors avant d’aller plus loin, plongeons nous un court instant dans nos livres d’histoire et de géographie …
L’Erythrée est un petit état d’Afrique de l’Est, coincé entre la Mer Rouge, le Soudan et l’Ethiopie, indépendant depuis 1993. Sa superficie n’est que de 120 000 km², soit un peu plus grand qu’un pays comme la Bulgarie, peuplé d’un peu plus de 6 millions d’habitants. La capitale des Erythréens est Asmara. L’Erythrée a été une terre longuement occupée : c’est au cours du XIXème siècle que les Italiens commencèrent à s’intéresser à ce bout de terre appartenant autrefois à l’Empire Ethiopien. L’Erythrée a d’ailleurs été le premier point d’ancrage des Italiens en Afrique, avant qu’ils occupent toute l’Ethiopie voisine. Les Anglais libèrent l’Erythrée du joug italien pendant la 2ème guerre mondiale, l’administrent pendant une petite dizaine d’années, puis l’ONU décide de la rattacher à l’Ethiopie. S’en suivit alors une terrible guerre d’indépendance qui dura 30 ans. Ainsi naquit l’Erythrée que l’on connaît aujourd’hui. Entre 1998 et 2000, une autre guerre éclata, et fit des centaines de milliers de morts … A noter que la situation du pays, politiquement, n’est toujours pas joyeuse. Un parti unique gouverne d’une main de fer cet état de la pointe africaine, et des milliers d’immigrés tentent de quitter leur terre natale pour chercher refuge, notamment en Europe.
En sport, l’Erythrée est une nation montante. Ceux qui suivent l’athlétisme ont peut-être remarqué les maillots bleus clairs des Erythréens sur les courses de fond / demi-fond, en second plan derrière leurs voisins Ethiopiens ou les Kenyans. Enfin le second plan ne concerne pas Zersenay Tadesse, premier et unique médaillé olympique pour son pays (en bronze sur 10 000 mètres à Athènes 2004), et qui détient aussi 5 titres de champion du monde de semi marathon et un titre mondial en cross country.
L’ahtlétisme est donc la grande spécialité du pays … A tel point que l’homme dont nous allons parler, Daniel Teklehaimanot, est le premier sportif non athlète à représenter son pays lors des JO !
Un jeune espoir en Afrique …
Daniel Teklehaimanot fut le fer de lance de son pays. L’éternel espoir … celui qui a commencé à voir le monde du cyclisme se pencher sur l’Afrique. Celui qui a, lentement mais sûrement, placé l’Erythrée sur la carte du cyclisme international. Et pourtant, tout aurait pu se passer différemment.
Les premières traces de Teklehaimanot sur le circuit UCI remontent à 2007. A peine âgé de 19 ans, ce jeune érythréen réussit quelques placettes sur les championnats d’Afrique et jeux d’Afrique. Il faisait partie de cette première équipe d’Erythrée à s’aligner sur les récents championnats d’Afrique … Mais les solides Sud-Africains avaient alors dominé tous leurs adversaires, et nul ne prêta réellement attention à lui.
C’est en 2008 qu’il commença à faire parler de lui, lors du Tour Ivoirien de la Paix. Organisé pour l’unique fois en 2.1, elle avait vu Bouygues Telecom, le Crédit Agricole, LPR, Elk Haus et Amore & Vita se frotter aux équipes africaines. Et d’Africains, il n’y en eut qu’un à être au niveau : Daniel Teklehaimanot, 5ème à une poignée de seconde du vainqueur, Rony Martias. Des contacts ont alors eu lieu avec Amore & Vita pour l’intégrer en tant que stagiaire, mais malheureusement, l’opportunité n’eut pas l’occasion de se conclure, suite au refus de sa fédération nationale.
Premiers pas en Europe
Ce n’était que parti remise. En effet en 2009, Daniel arrive en Europe : en Suisse, à Aigle, au Centre Mondial du Cyclisme. Cet organisme sous la tutelle de l’UCI a pour but de développer des talents venant des pays qui ne disposent pas des infrastructures pouvant le faire. Elle a vu passer sous son toit de nombreux coureurs aujourd’hui professionnels : Rafaa Chtioui (Tunisie), Tsgabu Grmay (Ethiopie), Alexandr Pliuschin (Moldavie), Youcef Reguigui (Algérie), Eduardo Sepulveda (Argentine) ou encore Chris Froome, courant alors sous licence kenyane. Le Centre Mondial aligne sa sélection, autant que faire se peut, sur la Coupe des Nations Espoirs, que l’on pourrait qualifier de circuit World Tour, par nation, à l’échelle des U23. L’occasion pour Teklehaimanot de prendre part au Tour de l’Avenir, premier grand rendez vous à l’histoire pour le jeune Erythréen. En effet lors de l’étape reine, à travers les Vosges, il termine à la 6ème place, avec Peter Stetina, et à seulement 30 secondes du vainqueur, le russe Kristkiy. Autour de lui on retrouve Romain Sicard, Tejay van Garderen, Darwin Atapuma, ou encore Sergio Henao ! En accrochant la 10ème place lors du chrono d’Ornans, il termine 6ème de la plus prestigieuse des compétitions espoirs, réalisant ainsi le premier grand exploit international du cyclisme Erythréen. Et pourtant … tout cela aurait pu ne jamais arriver. En effet, lors de sa visite médicale en début de saison, un problème au cœur fut décelé. Opéré du coeur, il ne reprit le cyclisme qu’en mai 2009. De suite il brillait sur les routes françaises, remportant notamment la Classique Ain Jura et le Prix du Jura Nord, En juin, il fit une prestation honnête lors de la Coupe des Nations de Saguenay, et en septembre il brillait sur les routes françaises …
En 2010 il rempile au CMC, et montre de beaux signes de polyvalence, en accrochant la 16ème place du Tour des Flandres espoirs, dans le petit groupe de tête, dans lequel évoluaient Michael Matthews ou John Degenkolb ! Puis il remporta en juin une étape sur la Coupe des Nations de Saguenay. La suite fut un peu plus compliquée, avec notamment un abandon sur le Tour de l’Avenir… Mais en octobre, Cervelo lui offre une place de stagiaire ! L’occasion de prendre part à deux courses en ligne italiennes, le GP Beghelli et le Gran Piemonte, qu’il termina modestement. Malheureusement pour lui, cette place de stagiaire ne débouchera sur rien de concret, Cervelo mettant la clé sous la porte quelques semaines plus tard … retour à la case départ ! Rentré en Afrique, il décroche trois titres continentaux, lors du CLM par équipe, du CLM individuel et de la course en ligne. Les premiers d’une longue série … puis quelques semaines plus tard remporte sans coup férir le Tour du Rwanda, devant son équipier Natnael Berhane, et avec une belle marge sur le reste du peloton …
C’est donc sans contrat pro qu’il aborde 2011. Il rentre alors en Afrique et fait la saison Africa Tour sous les couleurs Erythréennes, alors que le CMC reste proche de lui, notamment via Michel Thèze, alors entraîneur et détecteur de jeunes talents. La saison commence bien avec une victoire d’étape sur la Tropicale Amissa Bongo et une 5ème place au général. Il enchaîne sur un titre national CLM et une domination sans partage sur le Kwita Izina Tour (Rwanda), remportant toutes les étapes et donc logiquement le général. Enfin il brille sur les routes du Tour d’Algérie, auteur d’un magnifique raid lors de l’étape entre Ain Defla et Chrea, mettant plus de 4’ aux autres concurrents, mais il avait malheureusement perdu plus de 10’ le premier jour. De retour en France sous les couleurs du CMC, il ne brillera pas particulièrement lors de la Mi Août Bretonne ou du Tour d’Alsace, avant de participer aux championnats du monde, puis de décrocher deux nouveaux titres africains : en CLM par équipe et individuel.
Débuts professionnels
Et enfin … le peloton professionnel s’ouvrit à lui pour l’année 2012 ! C’est la nouvelle équipe australienne Orica-GreenEdge qui décide de le lancer dans le grand bain, alors qu’il fut en contact avec diverses formations, dont certaines françaises. Pour sa première course sous ses couleurs professionnelles, il débute en World Tour, lors du Tour de Catalogne. Une course écourtée par un abandon lors de la fameuse étape de Port Ainé, où la neige frappa le peloton. On retrouve ensuite Daniel lors du Tour de la Sarthe, où il accrocha une belle 12ème place lors du chrono d’Angers. Puis vain le Tour de Turquie, la première course où il se mit réellement en évidence. Il fut en effet très en vue toute la semaine : emmenant le peloton pour son sprinteur Matthew Goss lorsque la route était plate, ou n’hésitant pas à attaquer dans les diverses ascensions, et notamment celle d’Elmali, à la poursuite d’un Ivailo Gabrovski trop fort pour être honnête … Il décrocha au final la 14ème place, à quelques secondes de Benjamin Noval, mais aussi 30 secondes devant Alexandre Vinokourov ! Le moment d’un bref passage en Afrique il décrocha deux titres nationaux, en ligne et CLM, puis on le retrouva à l’offensive sur le Tour de Pologne, où il lutta pour le maillot de grimpeur (finalement décroché par Marczynski). Il s’aligna ensuite au départ des Jeux Olympiques et termina au cœur du peloton. C’est ensuite sur la Vuelta qu’on le revit à son avantage. Chaque jour de sprint était l’occasion de le voir tracter le peloton dans les tous derniers kilomètres pour le compte de son sprinteur, Allan Davis. En bon ange gardien, il restait avec lui lors des ascensions. Puis au Burkina Faso, il décrocha deux nouveaux titres africains : CLM individuel et par équipe.
Mais malheureusement … le gouvernement local choisit de mettre de fortes restrictions à l’attribution de visas. Les sportifs de haut niveau ne furent pas épargnés, notamment suite à la « disparition » de plusieurs athlètes après les JO de Londres, ou d’une partie de l’équipe nationale de football à l’occasion d’un match en Ouganda, tous demandant l’asile politique. Daniel Teklehaimanot fut donc coincé en Erythrée pour le début de la saison 2013. Mais au début de l’été, le voilà qui apparaît sur les startlists. Enfin il est là, enfin sa saison reprend, lors du Dauphiné. Puis des stages en altitude, avant d’être aligné sur la Prueba Villafranca, au Pays Basque. Rejoignant un groupe de 13 hommes en tête de course, il jaillit à quelques kilomètres de l’arrivée pour s’imposer en solitaire ! Une première victoire sous les couleurs d’Orica qui surprit tout le monde, y compris son directeur sportif, qui ne s’attendait pas à le voir briller si tôt, alors qu’il manquait de rythme ! Il enchaîna sur le Tour de Burgos où il ne brilla pas particulièrement, puis disparu des radars. Annoncé sur les World Tour canadiennes, on ne le revit finalement qu’aux mondiaux, et pour une dernière sortie sous les couleurs d’Orica lors d’Il Lombardia. Encore deux petits titres africains pour finir la saison sur une bonne note, toujours en CLM individuel et par équipe, la course en ligne ne voulant pas lui sourire une nouvelle fois.
2014 marque donc un nouveau départ. Daniel Teklehaimanot et MTN-Qhubeka se sont trouvés, presque comme une évidence. Avec un souhait annoncé par Douglas Ryder, manager de l’équipe : donner de la liberté à Tekle. Pour l’instant, son début de saison est discret. Il retrouve la forme tranquillement, et est aligné dans la « grosse » équipe, autour de Sergio Pardilla et Gerald Ciolek. Il est en ce moment même sur les routes de Tirreno Adriatico, où il épaulera ses deux leaders. Ne perdant pas de temps, il fut de l’échappée du jour lors de la première étape en ligne.
MTN, un nouveau départ ?
Si un coup dur à été porté à l’équipe MTN, qui ne s’est pas vue accorder de Wild Card pour le Giro, l’équipe sud-africaine pourrait être au départ de la Vuelta … c’est tout le mal qu’on lui souhaite. Toujours est-il que Daniel Teklehaimanot aura l’occasion de rouler toute l’année dans de bonnes conditions, et avec une certaine marge de manœuvre qui devrait le mettre à son avantage. Et espérons le, l’occasion de s’illustrer sur tous types de terrains. Car si vous avez bien suivi, on parle là d’un coureur très complet. Excellent rouleur, il a toutes les capacités requises pour étirer un peloton dans un final de sprint massif. Contre-la-montre, il a de bonnes aptitudes, même si elles restent à confirmer en Europe. Il affectionne particulièrement les terrains vallonnés et escarpés, mais reste sans doute trop limité en haute montagne pour espérer briller à haut niveau. Sa formation n’est pas encore totalement terminée, tant il y a de grandes différences entre les pelotons européens et africains, mais il commence à avoir plus de bouteille. Sa belle victoire l’an passé à démontrer ses progrès. Il ne reste plus qu’à en cueillir d’autres …
Par vino_93
crédit photos : wikipedia commons, Laurent Brun (http://www.instants-cyclistes.fr/)
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