Le Tour de Ski s’est achevé le week-end dernier. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une compétition de ski de fond, une course par étape qui tire son modèle du Tour de France cycliste. Les organisateurs n’ont jamais nié ce lien de parenté, source d’inspiration pour une compétition créée en 2006 et qui s’est imposée depuis comme un des évènements phare de l’hiver. Avant le Tour de Ski, le ski de fond était un sport globalement ennuyeux. Il se courrait majoritairement sous la forme d’un contre-la-montre sur diverses distances dont le seul intérêt se bornait à scruter les temps intermédiaires. Pour un non-initié, ce n’était clairement pas attirant et ce sport ne se prêtait alors pas à une diffusion de masse en dehors de ses frontières historiques. Pour capter l’attention, le ski de fond a commencé à diversifier ses épreuves avant de créer la touche finale grâce au Tour de Ski. Il détient là une épreuve charismatique, avec des étapes variées aptes à mettre toutes les qualités en valeur, entretenir le suspense et sacrer le skieur qui aura su se montrer le plus complet et le plus régulier.
Le sport professionnel est devenu un spectacle
La création du Tour de Ski résulte d’une logique simple, sortir le ski de fond de son image de sport vieillot et séduire un nouveau public. A partir de là, tout s’enchaine assez facilement et permet d’attirer médias, annonceurs et investisseurs, donc de l’argent. L’argent est le nerf de la guerre pour qu’un sport professionnel puisse survivre. Il se doit de garder une image moderne et cette image moderne passe par le spectacle. Le sport professionnel s’est lentement mué en une distraction pour les foules, des jeux du cirque moderne où le spectateur réclame sa dose de sensations. Loin d’une pratiquement sportive en amateur, les valeurs véhiculées par celle-ci ne sont pas très télégéniques, en particulier pour un sport d’endurance. Le cyclisme n’échappe pas à la règle et les étapes paraissent parfois bien longues et ennuyeuses. Ceci est d’autant plus vrai que les leaders d’aujourd’hui tendent à minimiser les prises de risques et à choisir l’instant idéal pour produire leur effort. Il en résulte des courses formatées, parfois soporifiques qui ont du mal à égaler le spectacle d’antan. Sans succomber à la nostalgie de nos souvenirs d’enfance, nombreux sont ceux qui suivent le cyclisme depuis longtemps et peinent à retrouver leurs souvenirs dans les courses actuelles. Le cyclisme doit-il se renouveler et emprunter à son tour les bonnes idées du ski de fond ? Deux types d’épreuves pourraient ainsi élargir les formats existants, le sprint et la poursuite.
Le sprint, cultiver l’instant
En ski de fond, un sprint est une épreuve bien codifiée, à ne pas confondre avec l’emballage massif qui anime la fin de certaines étapes. Une manche qualificative est d’abord organisée, un prologue consistant en un tour du circuit. Les trente meilleurs accèdent à la finale et leur classement détermine le tableau des manches suivantes. Chaque manche voit s’affronter six skieurs. Les deux meilleurs se qualifient pour le tour suivant et les qualifiés restants sont repêchés au temps. Le format nécessite trois tours (5 quarts, 2 demis et une finale) pour désigner le vainqueur. Pour le Tour de Ski, les temps des qualifications sont ajoutés au classement général, tandis que les finales offrent des bonifications, de 1 à 60 secondes à tous les qualifiés. Le même format est facilement reproductible pour une course cycliste, en adaptant le nombre et la taille des manches.
Sur le papier, le sprint offre une forte garantie de spectacle. L’enchainement des manches permet ainsi aux spectateurs de profiter de plusieurs passages et d’un spectacle renouvelé. Le téléspectateur profite lui des plans variés que le réalisateur lui offre, celui ayant eu tout loisir d’installer son matériel pour couvrir efficacement l’épreuve. L’épreuve se marie fort bien avec la culture de l’instant qui règne dans le cyclisme moderne, celle de coureurs qui attendent le meilleur moment pour produire leur effort plutôt que de se lancer dans une entreprise hasardeuse. Le format peut se décliner sur des multiples parcours, du circuit plat en passant par le mur, le secteur pavé ou le mini-col. Il ne serait pas alors incongru de voir le circuit World Tour se doter d’une catégorie sprint, qui viendrait se greffer en parallèle des grandes courses. Ne serait-il pas séduisant de voir les meilleurs mondiaux s’affronter à plusieurs reprises dans des lieux mythiques tels que la Via Roma, le Mur de Grammont, la Trouée d’Arenberg, le Cauberg, le Mur de Huy, le Muro di Sormano ou encore les Champs-Elysées ?
Il faut néanmoins se méfier d’une telle forme d’épreuve qui n’est pas sans présenter quelques inconvénients. Injectées à haute dose dans le cyclisme, elle risque alors de l’individualiser et de détruire toute forme de tactique sur les autres étapes. La notion d’équipe disparait, même si le hasard réunira toujours ça et là quelques coéquipiers dans la même manche. Le cyclisme est avant tout un sport collectif et même si un coureur s’impose en solitaire, son équipe n’est jamais très loin derrière ce succès. De même, un sprint est amené à distribuer de généreuses bonifications en cas d’intégration à une course à étapes, ce qui risque au final de paralyser la lutte pour le général. Il ne serait alors plus nécessaire de prendre des risques pour distancer ses adversaires sur des étapes classiques, puisqu’il est bien plus rentable d’attendre le sprint et de produire un court effort. Une généralisation de ces sprints ne serait pas sans danger pour le cyclisme, déjà touché par un resserrement de l’élite dans une poignée d’équipes. Il suffirait alors pour les équipes d’accumuler les stars pour briller, en abandonnant les porteurs d’eau, gardant tout au plus quelques fidèles équipiers pour assurer le soutien dans les étapes conventionnelles.
La poursuite, ouvrir l’éventail des possibilités tactiques
La poursuite fait ici référence au format décliné dans les sports d’hiver, fond, biathlon ou combiné nordique, et non à l’épreuve sur piste portant un nom identique. Dans ce cas, les coureurs s’élancent dans l’ordre du classement général, avec un handicap correspondant à leur retard sur le leader. La course se dispute ainsi en temps réel, permettant à tous les spectateurs de suivre aisément ce qu’il s’y passe et de connaitre le leader à tout instant. Il n’est plus nécessaire d’attendre le verdict du chrono pour connaitre le vainqueur, même si les moyens techniques ont fait des progrès pour permettre de suivre l’évolution du classement au plus près de la réalité (écarts GPS, points intermédiaires, projections…).
La poursuite offrirait une nouvelle donne tactique. Jamais les coureurs ne se sont retrouvés dans une telle situation, à devoir gérer leur avance réelle sur toute une étape. Eparpillés ainsi, ils devront faire les bons choix, sans pouvoir compter sur une stratégie d’équipe bien huilée et mise en place dès le briefing matinal. Il faudra donc se trouver des alliés de circonstances, éviter de traîner des équipiers du leader qui aurait tout intérêt à saborder l’entente du groupe, ou encore choisir entre conserver l’avance durement acquise les jours précédents ou se relever pour faire cause commune avec ses adversaires. Evidemment, il est nécessaire de bannir les oreillettes pour forcer les coureurs à réfléchir d’eux-mêmes, n’autorisant au maximum que quelques consignes et écarts sur une ardoise lors des zones de ravitaillement. S’il s’agit d’une épreuve individuelle, elle laisse toute sa place au collectif, car les équipiers auront leur rôle à jouer pour épauler leur leader ou marquer les adversaires désignés selon leur position, tout comme dans les étapes précédentes. Au-delà de la simple étape, le format peut avoir un effet bénéfique sur l’ensemble de la course, en forçant les leaders à creuser les écarts dans les étapes précédentes. Il en effet plus difficile de gérer son avance en partant seul face à ses adversaires qu’en les contrôlant dans une course en peloton, de même qu’il peut être dangereux de ne pas profiter des opportunités des jours précédents et de vouloir tout miser sur une seule étape.
Il faut néanmoins se méfier des belles promesses. Sur le papier, la poursuite semble une épreuve alléchante, mais elle repose sur un équilibre instable. Si les conditions ne sont pas réunies, elle risque de se transformer en véritable ennui pour tous les spectateurs. Les écarts doivent tout d’abord être suffisamment importants pour éviter un regroupement général, tout en étant suffisamment limités pour maintenir le suspense. Le parcours doit également être bien conçu, par sa longueur et sa difficulté pour éviter que l’épreuve ne se résume à un contre-la-montre ou n’avantage trop les groupes face aux coureurs seuls. Les vitesses atteintes en cyclisme favorisent nettement la course en peloton ce qui rend le format difficile à mettre en place sans que cela n’appelle à rester grouper un maximum. Ainsi, la poursuite monopoliserait l’attention au point d’être la seule étape réellement courue. Enfin, elle s’avère très difficile à organiser. Ainsi éparpillés, les coureurs ne pourront compter sur la voiture de leur directeur sportif, ce qui obligerait l’organisateur à déployer des grands moyens pour assurer un dépannage rapide à tous, une logistique lourde et coûteuse à mettre en place. De même, un risque pèse sur la sécurité des coureurs, potentiellement privés d’une prise en charge médicale rapide en cas de chute grave.
Une introduction nécessairement progressive
Les deux épreuves ne manquent pas de qualités et pourraient donner un souffle nouveau au cyclisme, la poursuite restant tout de même complexe à organiser. Le sprint est quant à lui, parfaitement compatible pour une introduction dans les circuits professionnels. Néanmoins, il mérite d’être testé tout d’abord en tant qu’épreuve individuelle ou sur des courses à étapes de seconde zone, avant éventuellement d’intégrer des courses historiques. L’intégration doit être nécessairement progressive, mais cette épreuve doit tout de même avoir un véritable enjeu. Il en existe par exemple une version simplifiée disputée en ouverture du Grand Prix de Québec, le Challenge Sprint Pro, mais encore à améliorer faute d’enjeu valable. La poursuite est plus difficile à intégrer et nécessiterait certainement d’être associée à une ou plusieurs étapes de format sprint pour forcer les écarts à se créer un minimum. Elle semble mieux s’adapter au cyclo-cross, aux courses plus individuelles, rythmées et naturellement sélectives que la route. Elle pourrait prendre place lors de certaines manches du Trofee, déjà couru au temps et non aux points. Incorporer des formats innovants est en tout cas une bonne opportunité pour des courses exotiques de se tailler une réputation sans pour autant avoir les moyens de concurrencer les courses historiques du calendrier cycliste. Les pays n’ayant pas de culture cycliste pourraient ainsi le regard plutôt que de proposer des courses qui ne se démarquent pas des autres.
Pensez-vous également que le cyclisme gagnerait à se renouveler en suivant l’exemple de sports d’hiver tel que le ski de fond ou le biathlon ? Avez-vous d’autres idées innovantes à nous soumettre ? N’hésitez pas à venir réagir et participer sur le forum.
Par CSC_3187
Crédits photos :
Oskar Karlin, Wikipedia
Petr Novak, Wikipedia
Vincent Lefèvre, reflexe.photo.free.fr
Maxime Lafage
Ciclocross, Wikipedia