Levé 10h, légère gueule de bois, mais tout fan de cyclisme se doit d’honorer les rendez-vous. Je réveille mes amis, et l’on part pour les hauteurs de Mont-Royal, afin d’assister aux 17 ascensions de la côte Camilien-Houde, lors du GP Cycliste de Montréal 2013.
1er tour : on rate le premier tour, en train d’acheter la réserve de pain et carottes pour la journée.
2ème tour : on rate le deuxième tour. Arrivé en haut de l’avenue de Mont-Royal, on entraperçoit quelques coureurs échappés qui passent devant la ligne, suivi du peloton. On n’entend crier mais on voit vraiment rien. Il est temps de monter.
3ème tour : sur la première partie de la côte Camilien-Houde, on peut distinguer cette fois les sept hommes de tête. Il y a Paulinho, il y a Agnoli, pour le public il y a surtout Zachary Bell de l’équipe nationale. En témoigne cette fille habillée de haut en bas avec le drapeau à l’érable, et qui s’égosille dans son haut-parleur « you make us proud you make us proud come on Zach» avant de tousser, la gorge brûlée.
4ème tour : on est monté un peu plus haut, à 600m du sommet. Il commence à faire bon, la course a trouvé son rythme, les échappés, Jérôme Pineau pour le peloton… Mais est-ce vraiment le 4ème tour ?
Tours x,y,z sqq. : on se perd, combien de tours ? C’est la question qui occupe tous les spectateurs, tentés par la sieste à force de voir la même chose toutes les vingt minutes. Le lecteur vidéo tournerait-il en boucle ? Abrutis par cet éternel retour, on devise, on essaye de distinguer les souvenirs, 7, 8, 10 tours… on regarde l’heure… La réponse vient grâce à sa sainteté Twitter, qui diffuse jusqu’à nos hauteurs le déroulement exact instantané de la course. Hallelujah, la course prend son rythme, répétitif, ritualisé. Quinze minutes la route se vide, les Montréalais montent acheter des hot dogs, remplissent à nouveau la route de leur ventre, quelques motos annonciatrices, le troupeau de voitures, la rumeur en bas, bourdonnement d’hélicoptère… Et les premiers coureurs ! Visage fermé, de moins en moins, rougissants, 5 minutes, motos, voitures, Jérôme Pineau, berger du peloton ! Des coureurs bien empaquetés, oh j’ai vu Chavanel, oh Arthur Vichot a l’air bien, dis-donc Sagan traîne au fond du peloton depuis un moment, les enfants vous avez vu Contador ? Petit à petit l’écart fond, les coureurs reviennent plus vite, les muscles se tendent, on s’ennuie un peu, quand même…
Tour z+a, z+a+1, … : on est monté à l’entrée du dernier virage, à 300m du sommet. L’endroit parfait pour voir les coureurs souffrir en haut de la bosse, après une longue ligne droite aux pourcentages redoutables. Parfait pour le sadisme de divertissement. Étrangement, pas grand monde… Et je comprends ! Le passage coupé dans la montagne produit un effet tunnel redoutable, le vent froid s’engouffre, on gèle ! Réconfort : c’est l’endroit où les coureurs prennent un magnifique rictus de souffrance, lorsqu’au moment d’entamer le virage ils reçoivent cette claque vigoureuse au visage. Jouissance de spectateur. L’occasion d’ajuster son regard, de sentir que Froome n’est pas au mieux, que Sagan semble cacher son jeu, que Ryder, ô Ryder, espoir de la nation, est à l’aise… ! Les paris vont bon train, à l’image du peloton. Pineau, ce héros !
Arrivée – 3 tours (à peu près) : échappée reprise, enfin presque ! Quelques mètres, et un Garmin attaque ! Est-ce Ryder, Ryder, Ryder ? Danielson il me semble messieurs. L’équipe Sky embraye, pourquoi ? Froome n’est pas si bien, alors ? La routine, sans doute… (Le peloton passe) et mes compagnons du jour qui s’étouffent pour acclamer les coureurs Canadiens décrochés, eux aussi à l’agonie, solidarité, probablement… Mes Arthur, Sylvain, Cyril se mêlent aux Ryder, Ryder, Ryder, David, François dans la cacophonie internationale habituelle. Seul Blel Kadri est suffisamment décroché pour entendre son prénom et décrocher un regard, peu lucide… le sympathique toulousain aura probablement détaché son dossard en bas.
Arrivée – 2 tours (à peu près) : Danielson a déjà disparu de la circulation, prévisible. Des attaques à l’avant, j’ai pu voir Cyril Gautier, Van Garderen et un Contador à l’agonie, d’autres couleurs, un Chavanel à la lutte… Il aurait accéléré avant, peut-être… Sagan ramène le peloton, facile. Côté français, Vichot est le mieux placé, et semble le plus à l’aise. Plus loin, François Parisien reçoit des tonnerres d’applaudissement, j’ai l’impression qu’il a grimpé ces deux kilomètres en tenant le guidon d’une seule main, l’autre en l’air pouce levé pour remercier un public qui n’a d’yeux que pour lui et ses compagnons canadiens d’infortune.
Arrivée – 1 tour : l’intervalle entre les deux passages s’est considérablement raccourci, d’autant que les Twitters autour de nous s’agitent : Sagan revenu, peloton compact, attaque d’Albasini ! Repris ! Que se passe-t-il donc à l’instant, sous cet hélicoptère qui scrute les premiers mètres de l’ascension ? Une attaque, au fond là-bas… c’est Gesink ! Une puissance ! Et devant nos yeux Sagan recolle, à l’aise. Derrière tout le monde est à bloc, ça se sent dans l’atmosphère moite, fraîche aussi. Le sang glacé, Arthur Vichot, Rui Costa, Ryder aux lunettes stylées suivent en file indienne, conscient peut-être qu’ils ne pourront gagner que des accessits. Les attardés passent, tous aussi turgescents…
Au revoir Mont-Royal, descente à l’allure de course d’orientation, chacun cherchant les raccourcis pour rejoindre l’Avenue du Parc au plus vite. Un flic nous arrête « il reste encore une gang sur la route », et quelle gang ! François Parisien et ses apôtres, toujours présents, dix, quinze minutes derrière, par fierté ! On applaudit, on repart en courant. Descente à travers champ, comme des cyclocrossmen, foulée insensée, et l’on passe la ligne au moment où Pieter Sagan abaisse les bras, empoigne le guidon, et fait voler sa machine. La roue avant impressionnée poursuit sa rotation, timide… Le speaker lui est probablement devenu fou, ses hurlements ne s’arrêtent plus, les cordes vocales entonnent un chant modulé qui perce les tympans, RYyYYYyYYYYyYYYDEeEEeERRR. Bref je suis allé voir le Grand Prix de Montréal c’était cool il est temps de partir.