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La volonté des organisateurs du Tour de France était de faire une étape démesurée, à l’image du Mont Ventoux. C’est chose faite. Sur le centième Tour, le 14 juillet, la dernière journée de la deuxième semaine de course, à la veille de la journée de repos, se forme une étape de plus de 240 kilomètres qui aura mené, depuis Givors, le peloton de la Centième Grande Boucle au Géant de Provence. Ce col mythique, qui n’a eu besoin que de huit arrivées d’étapes pour être l’un des cols les plus attendus et craints de France, a retrouvé à l’occasion de cette édition 2013 la place qui a toujours été la sienne, celle d’un juge de paix. 

En 2009, en plaçant le Mont Ventoux la veille de l’arrivée sur les Champs, les organisateurs du Tour de France avaient gâché le passage par ce col. Nous n’avions pas eu droit à un combat entre les favoris, et les meilleurs grimpeurs avaient laissé Juan Manuel Garate et Tony Martin s’envoler vers le sommet, seuls. Ce n’est pas ce que l’on peut espérer du Ventoux. Lorsqu’il apparaît au programme du Tour de France, c’est quasiment un événement, puisque l’édition 2013 n’est que la neuvième à s’arrêter au sommet du Mont Chauve, en 56 éditions. La frustration de 2009 était d’autant plus grande que, sur les cinq étapes en lignes qui s’étaient achevées par l’ascension de ce col, aucune n’avait été aussi peu disputée. Retour sur les étapes qui ont fait la légende du Ventoux, ce col qui a formé et brisé des destins, mais aussi des hommes.

1958: Gaul se remet dans la course

Le luxembourgeois Charly Gaul n’a pas connu un début de Tour simple. Il est hors du podium alors que la 18e étape arrive. Mais celle-ci lui correspond. Un contre-la-montre entre Bédoin et le sommet du Ventoux, c’est exactement ce qu’il lui faut pour se relancer. Ce rouleur hors-pair va allier ses capacités dans l’effort individuel à son talent de grimpeur pour remporter l’étape. Vainqueur quelques jours plus tôt du premier contre-la-montre du Tour, il domine ce jour-là de la tête et des épaules l’ascension du Ventoux. Même Bahamontes, l’Aigle de Tolède, est tenu en échec, échouant à 31 secondes du vainqueur. Derrière, les écarts sont énormes. Jean Dotto, troisième de l’étape, perd près de 3 minutes. Raphaël Géminiani n’est que onzième, à plus de 5 minutes ! Pourtant, le français s’empare du maillot jaune, profitant du très mauvais chrono de Vito Farero, jusque-là leader du général. L’italien concède ce jour-là 7 minutes et 59 secondes à Gaul. Ce dernier ne le sait pas encore, mais cette étape lui permettra de remporter le Tour de France. A l’arrivée à Paris, le luxembourgeois s’impose avec 3 minutes 10 de marge sur Favero, et 3 minutes 41 sur Raphaël Géminiani. Sur les pentes du Ventoux, Charly Gaul a assis une domination qui lui permettra plus tard de remporter son premier et unique Tour de France.

1965: Poulidor si proche du Graal

Raymond Poulidor ne participe qu’à son quatrième Tour de France en 1965, mais il terminera pour la troisième fois, déjà, sur le podium final. Si cette année ne dérogera pas à la règle universellement acquise que Poupou ne remportera jamais le Tour, elle aurait pu être celle qui aurait permis au coureur adoré des français de porter enfin le maillot jaune. Au sommet du Mont Ventoux, il s’en est réellement rapproché, et a pu toucher du bout des doigts ce paletot dont il aura tant rêvé. Mais, malgré sa victoire, il lui manque 31 secondes pour se parer de jaune. Julio Jimenez termine ce jour-là deuxième, à seulement six secondes de Poulidor. Felice Gimondi, quatrième de l’étape à 1 minute 38 secondes du français, conserve donc son maillot. Il en sera de même jusqu’à l’arrivée finale. 2 minutes 40 seulement sépareront les deux hommes le 14 juillet, jour de fin pour ce Tour de France. Et, encore une fois, le maillot jaune s’est refusé à Poulidor, tout au long de l’épreuve.

1970: Merckx sans adversaire

On ne dira pas que cette troisième arrivée au sommet du Mont Ventoux restera dans l’histoire de l’épreuve française. Avant l’étape, le vainqueur du Tour était déjà connu. Mais cette journée a eu son importance puisque, au soir des 170 kilomètres entre Gap et le sommet du Ventoux, on pouvait être encore plus certain du nom du lauréat: Eddy Merckx. Déjà vainqueur de cinq des douze premières étapes, le belge, tenant du titre, en a remporté une sixième au sommet du Mont Chauve. Avant l’étape, il comptait 6 minutes 39 d’avance sur Joop Zoetemelk. Après celle-ci, il avait augmenté son matelas à 9 minutes 26 sur ce même néerlandais. Un gouffre qui augmentera encore légèrement jusqu’à Paris. Mais, sur un Tour dont l’issue était à ce point dessinée, le Mont Ventoux n’a pu que confirmer la domination d’un seul homme.

1972: Le Cannibale, encore

Entre 1970 et 1972, il n’y a eu que deux années. Le monde du cyclisme est sensiblement le même. Mais une chose a changé. Eddy Merckx n’est plus simplement un jeune coureur belge. A présent, il est le Cannibale, ce coureur qui avale tout sur son passage et à qui aucune course ne résiste. le Tour 1972 ne va pas déroger à la règle, au contraire. Merckx remportera le général avec plus de 10 minutes d’avance sur Felice Gimondi et Raymond Poulidor. Cette année-là, le peloton présent sur le Tour était probablement l’un des plus denses de l’histoire: Les trois coureurs cités plus haut étaient accompagnés de Thévenet, Ocaña, Agostinho, Van Impe, Zoetemelk, Guimard et Janssen. Trop peu pour approcher ou inquiéter le Cannibale. Au sommet du Ventoux, il ne l’emporte pas, mais crée encore des écarts. Même si cela n’était pas nécessaire, Merckx a décanté la course, terminant deuxième de l’étape à 34 secondes de Bernard Thévenet mais reléguant Gimondi à plus d’une minute, et devançant encore une fois tous ses principaux rivaux, assommant une fois de plus la course.

1987: A la recherche d’un leader

Quinze ans après son dernier passage, le Tour de France revient au Ventoux. Cette fois-ci, le Géant de Provence a une mission, désigner le nouveau patron du cyclisme. Greg LeMond, tenant du titre, a été grièvement blessé dans un accident de chasse et est écarté du cyclisme pour les deux ans qui suivent le 25 avril de cette année 1987. Bernard Hinault, qui aurait pu remporter un sixième Tour de France, a décidé de mettre un terme à sa carrière à l’issue de la saison 1986, qui l’a vu terminer deuxième du Tour, à la loyale, derrière le jeune américain. Urs Zimmermann, troisième, n’a pas encore la carrure d’un leader. Dans une période de doute, le peloton va débuter le contre-la-montre entre Carpentras et le sommet du Mont Ventoux. 36.5 kilomètres pour un vainqueur. Au matin, le Tour était encore indécis, Charly Mottet ne portant le maillot jaune qu’avec 1 minute 11 secondes d’avance sur Jean-François Bernard et 1 minute 26 sur Stephen Roche. Au sommet, les positions sont plus assurées. Jeff Bernard a remporté l’étape, et l’a même écrasée. Lucho Herrera, deuxième, pointe à plus de 1 minute 30 secondes. Stephen Roche, qui talonnait le français avant le contre-la-montre, concède 2 minutes 19 et perd le contact. Charly Mottet, maillot jaune sur le dos, vit un calvaire. Seulement neuvième de l’étape, il termine à près de 4 minutes de Jean-François Bernard. Ce dernier s’empare, pour la première fois de sa carrière, du jaune. On pense alors tenir la relève du cyclisme mondial. Mais, et c’est bien connu, Stephen Roche réalise en 1987 sa plus belle saison, remportant le Giro, le Tour et les Mondiaux. Le lendemain, l’étape de Villard-de-Lans est fatale à Jean-François Bernard, qui perd 4 minutes et ses espoirs de victoire. Mais le Ventoux lui aura permis, pour une journée, de porter le jaune.

2000: Le roi des cimes devient le dieu des sommets

Cette année-là, le général n’est pas réellement important. Lance Armstrong a déjà écrasé l’épreuve, dominant de plus de 4 minutes le général avant le Ventoux, sans avoir remporté une seule étape. Mais cette étape du Ventoux a quand même créé le spectacle. Petit à petit, le groupe de tête s’est réduit, se composant finalement de quelques grimpeurs d’exception seulement: Pantani, Armstrong, Ullrich, Beloki, Botero et Heras. Les deux Kelme sont les premiers à craquer. Ils termineront cinquième et sixième, ensemble, à 48 secondes du vainqueur. Puis Pantani attaque. Le pirate revit. Vainqueur de l’épreuve en 1998, l’italien n’a pas pu prendre le départ l’année suivante, à cause de son exclusion du Giro. En attaquant dans l’ascension du Ventoux, Pantani est proche de gagner pour la première fois depuis plus d’un an. Mais Armstrong revient, lâchant à la fois Beloki et Ullrich. L’Américain et l’Italien conservent la tête jusqu’au sommet, où le maillot jaune laisse le vainqueur 1998 s’imposer. Mais, après plus d’un an sans gagner, Marco Pantani s’impose et triomphe du Mont Chauve, ce qui restera sa dernière victoire au sommet d’un col mythique.

2002: Virenque au bout de la douleur

Encore une fois, Lance Armstrong écrase la course. Encore une fois, le Mont Ventoux sera un pas de plus vers un succès humiliant pour ses adversaires. Ce jour-là, il relègue son principal rival, Joseba Beloki, à presque 2 minutes. Mais, ce jour-là, l’américain n’est pas au centre des attentions. Pour une fois, il est même quasiment éclipsé. Et, pour d’autres raisons encore que celles citées plus haut, cette étape 2002 suit assez similairement les traces de celle remportée par Marco Pantani deux ans plus tôt. Tout simplement parce que, comme le Pirate, le vainqueur du Ventoux revient sur le Tour après l’avoir raté l’année précédente, pour dopage. Et, tout comme Pantani, ce coureur rappelle son retour par une victoire au sommet du Géant de Provence. Cette fois-ci, il n’est pas italien, mais français. Richard Virenque se rachète aux yeux de ses compatriotes en triomphant, après une échappée titanesque de plus de 200 kilomètres, de ce sommet qui entre un peu plus dans la légende et bien plus encore dans le cœur des français.

Par Kena // Image : BlueBreezeWiki CC BY-SA 3.0 via Wiki Commons

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