Séjour dans les Asturies
J'avais commencé à suivre et regarder le Tour d'Espagne en 1999. A l'époque, FTV diffusait les étapes du weekend et je me contentais de regarder les résumés de Tout le Sport en semaine.
C'était l'année où Jan Ullrich, mon idole, avait chuté sur le Tour d'Allemagne, il avait voulu retourner au premier plan sur cette Vuelta. Ce n'est ni sa victoire finale ni les démonstrations déconcertantes de Franck VDB qui m'auront marqué durant cette édition, mais bien le final exceptionnel au sommet de l'Angliru.
La région des Asturies est différente du reste de l'Espagne car elle est très humide. L'étape s'était déroulée sous la pluie, ce qui est déjà source de dangers. Chechu Rubiera avait prévenu que les routes Asturiennes pouvaient devenir une vraie patinoire quand la route était humide. Ses inquiétudes s'avéraient juste puisque son leader Fernando Escartin devait abandonner avant l'Angliru et toutes les étapes arrivant à l'Angliru sous la pluie ont fait des dégâts. Je suis heureux de ne pas avoir de pluie donc.
La pluie a donné une dimension épique à l'Angliru. Grimper cette difficulté sous la pluie, c'était tout simplement de la folie. Je revois encore ces images de Jan Ullrich, totalement pendu dans les passages les plus raides. Je revois Chris Froome proche de l'arrêt sur ses mêmes passages. L'Angliru n'est pas un col comme les autres,
"ici, tous les cyclistes du monde ont souffert" comme l'indique une des inscriptions sur la route.
C'est aussi dans cette ascension de l'Angliru que j'ai découvert, ce que j'appellerais la "tricherie d’État Espagnol", qui avait privé Pavel Tonkov d'une victoire bien méritée au profit de José Maria Jimenez, bien aidé par les motos Espagnols acquis à sa cause...
Quoiqu'il en soit, l'Angliru est un col particulier et chaque passage est pour moi un grand moment de cyclisme. Je me devais de l'accrocher à mon palmarès. J'ai rendez-vous avec lui ce jeudi 18 août. A 11h, j'ai mon vélo de location. Un Felt Z5, équipé d'un 34x28, qui pèse un kilo de plus que mon Canyon. Je ne suis pas très rassuré dès les premiers coups de pédales, je suis gêné par ce nouveau vélo et je me sens pas à l'aise.
Il y a 17km pour rejoindre le pied de l'Angliru avec de nombreux faux plats pour s'échauffer. Je trouve le temps long. J'arrive dans une petite bourgade Asturienne, j'avais bien repéré l'intersection pour rejoindre le pied de l'Angliru grâce à Google Maps, je me rate pas. Voilà, ça commence.
L'Angliru me fait peur. Mes watts, mon chrono, ma VAM, rien à branler, je veux juste monter en haut sans m'arrêter. Les 6 premiers kilomètres sont les moins difficiles, je l'ai fait bien en dedans. Comme l'avait signalé valjo, on trouve quand même de longues rampes à 9/10/11%. Ce n'est pas une première partie facile, mais j'arrive à la gérer et à garder des forces.
J'arrive ensuite à Viapara. On trouve du plat sur près d'un kilomètre, cela permet de me ravitailler une dernière fois avant de partir à l'assaut de la partie bestiale de l'Angliru qui fait 6500m. Soudainement, la route se cabre, le compteur affiche 12/13%. Je parviens quand même à grimper en gardant de la réserve. Je me dis même que je pourrais accélérer mais j'arrive à Les Cabanes.
La pente va dépasser 20% sur 200m, l'effort est violent et dans la foulée, je dois me coltiner la courte mais violente portion de Xonceo.
J'ai l'impression d'avoir sprinter dans le col. Il faut que je me remette, la chaleur ne m'aide pas, le soleil tape, il fait entre 25 et 30°. Heureusement pendant un peu moins de 3km, la pente va s'adoucir entre 10 et 15%. Je peux grimper sans être "au seuil", mais mes sensations ne sont pas excellentes.
Au bout d'une ligne droite, j'aperçois un virage. Je tourne la tête à gauche et je vois la route se cabrer d'une manière insensée. Le plus dur arrive. Je vois "Cobayos" sur un panneau. Des cobayes, c'est comme ça que les organisateurs de la Vuelta devaient considérer les coureurs.
Ca commence à se corser sérieusement et psychologiquement plus j'avance, plus la pente est sévère. Je commence à être dans le dur et je vois ce panneau.
La Cueña les Cabres. Ce passage a occupé mes pensées pendant de longues semaines. Je sais que c'est l'instant de vérité. Si je passe cette portion, c'est gagné. Ou soit je craque. Aucun mot, aucune parole, aucune photo ne pourront décrire ce que j'ai éprouvé durant ce passage. La vision de la pente est terrible. Mes cuisses brûlent. Je reste assis durant toute la portion, totalement à l'arraché, pour avancer à une allure de 5km/h.
C'est dans la tête. Cette portion me parait interminable. Mais je parviens à aller au bout de cette portion ! La pente descend progressivement, elle atteindra 8% à un virage, ça a l'air tellement facile. Ce n'est pas fini, la flamme rouge arrive et un panneau annonce le dernier passage extrême, El Aviru.
Dans l'euphorie, je passe bien cette portion. Il reste 800m, la pente se calme, avant de retrouver une portion à 15%. C'est le dernier effort.
La pente redescend ensuite. Je suis gêné par un troupeau de vaches, mais rien ne pourra m'enlever le sourire de mes lèvres. Une dizaine de personnes sont présentes au sommet et m'applaudissent. Je lève le poing en l'air, comme si j'avais remporté une victoire d'étape. Un rêve se réalise. Franchir l'Angliru, sans mettre pied à terre.
Le sommet est assez rocheux. Quelques mètres avant le sommet, il y a un belvédère qui permet d'admirer le panorama de la région.
La descente est périlleuse, je ne prends aucun risque et en profite pour me ravitailler dans un restaurant situé à mi-pente. Je repars, il fait 35°. J'ai l'idée de grimper le Monte Naranco pour clôturer cette sortie. C'est une montée qui part d'Oviedo, c'était l'arrivée traditionnelle de l'épreuve "Subida al Naranco".
Je passe par la Calle Samuel Sanchez et j'attaque la montée. Je me sens encore bien. Mais les 1500 premiers mètres sont trop urbains, beaucoup de feux, de circulation, de piétons, de chaleur. Je stoppe mon effort, je vais pas faire grand chose dans cette montée et en profite pour admirer la vue sur Oviedo. Mais je suis rattrapé par un cycliste espagnol de passage, je me cale à son rythme sur la montée même s'il me fait mal. On s'arrête tous les deux devant le panneau à l'honneur de José Manuel Fuente, une de mes "légendes" favorites puis on repart voir le Christ et admirer le panorama sur Oviedo.
79km, l'Angliru en poche, plus de 2000m de D+, je suis content.
http://www.strava.com/activities/375904482Dans l'euphorie, je ne fais pas trop attention à ma récupération. Je dois faire un peu près tout ce qu'il ne faut pas faire. Et le lendemain, je craque totalement sur la Cobertoria. Mentalement, je n'étais pas dans le coup, je commençais à faire une overdose de col alors si le physique ne suit pas...
http://www.strava.com/activities/375904313Sur le coup, je n'avais aucun regret à faire demi-tour. Aujourd'hui, j'en ai. C'est la première fois qu'un col m'a vraiment vaincu. Mais j'avais réalisé un rêve avec l'Angliru. C'est un col qui est à faire une fois dans sa vie. Je ne sais pas si je le referais. Ce n'est pas un col agréable à grimper. La pente est inhumaine, il faut être beaucoup sur la réserve. Je pense que je vais garder le souvenir de ma première expérience et c'est tout.
J'ai pratiquement clôturé ma saison. 7, 8 ou 9 mois sans col, ça va faire beaucoup.
J'ai la tête déjà tourné vers l'année prochaine. Le Ventoux sera ma prochaine échéance probablement. Et un voyage en Italie me trotte de plus en plus dans la tête. J'ai progressé, je sais ce que je vaux sur une semaine en montagne, je sais un peu près gérer maintenant. Le Stelvio, le Mortirolo, le Gavia, la Fedaia, les Trois Cîmes, c'est encore un cran au-dessus dans ma tête...