"Point de bascule"
''– Faster, faster, faster !
Pete criait de toute ses forces sur ses équipiers (et un peu sur lui-même), les mains crispés au maximum sur son guidon. Il ne voyait plus rien d'autre que son cadre et, parfois, le cuissard du coureur devant lui. L'effort était total.
Le maillot jaune s'était fait distancer, il fallait en profiter. Un moment d'inattention, une équipe pas réactive, des équipiers trop faibles, et voilà la course au général totalement relancé à dix kilomètres de la fin du Tour de Selangor. Ceux qui s'attendaient à une petite parade pour en finir étaient désormais passé en mode survie.
Les cris se mélangeaient aux craquements des pédales, grincements des freins et aux applaudissements des spectateurs. Osman, loin de se douter du drame qui se jouait devant ses yeux, agitait furieusement son petit drapeau malais quand les groupes le passèrent à toute allure. Que ça devait être excitant de foncer à toute vitesse sur la route !
On se retournait de temps à autres, constatant avec satisfaction que l'écart était conséquent et que le maillot jaune était plus que jamais remis en jeu. Les équipiers donnaient tout ce qu'ils possédaient encore d'énergie, conscients du coup qu'ils allaient frapper. Un bluff sublime qui allait décrocher le jackpot.
Un équipier s'écarta et Pete sentit qu'il allait bientôt devoir passer à la planche lui aussi si il voulait cette victoire. Tao imposait désormais un rythme soutenu. Le britannique lui faisait confiance. Après tout, Tao était probablement le meilleur rouleur de la formation. Mais serait-ce suffisant ? Tout allait se jouer pour quelques secondes à peine.
Hafiz se précipita vers la ligne. Dès le premier groupe arrivé, il entrepris de se faufiler avec son appareil au plus proche des coureurs pour capturer leurs premières émotions. Une explosion de joie comme il n'en avait jamais vu. L'adrénaline et l'euphorie faisaient un cocktail détonant ! Le risque avait payé, le maillot jaune était pour eux ! Ils sautaient sur place, s'embrassaient, chantaient, fêtaient comme s'ils étaient seuls au monde.
Puis il se retourna pour s'intéresser le maillot jaune qui venait d'en finir. Il était complètement amorphe, les dents serrés, peinant à reprendre son souffle. Ne jetant qu'un regard plein de déception à ceux qui fêtaient, il erra quelques temps entre les barrières avant de laisser son vélo à terre, de saisir son bidon et de l'exploser contre le sol. La rage s'empara peu à peu de lui et Hafiz, en bon photographe, n'en perdit pas une miette. Le maillot jaune était transfiguré, abandonnant le peu d'énergie qui lui restait pour évacuer sa frustration. Aucun de ses équipiers n'osa l'approcher.
"La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline."